Le 26 avril 2006, à l’âge de 22 ans, Olivier Lessard tombe dans une flaque d’essence en feu. Il se transforme en torche humaine. Il venait pourtant de rencontrer Dieu et songeait même à lui donner toute sa vie. Histoire d’un ressuscité.
Adolescent, il avait mis le bon Dieu de côté, mais pour faire plaisir à sa grand-mère, il s’était inscrit au parcours Alpha de sa paroisse. « C’était vraiment intéressant ! J’ai été touché par Dieu. Une flamme s’est rallumée en moi, et ça m’a amené à me questionner sérieusement. Je n’avais plus envie de vivre une vie sans Dieu, centrée sur le travail, l’argent, la consommation. Je me demandais si je n’allais pas devenir religieux, ou moine. Je voulais donner ma vie à Dieu sans trop savoir comment. »
Pour discerner tout ça, il décide de se retirer dans un monastère pour un mois. Du moins, c’est ce qui était prévu.
Torche humaine
Quatre jours avant son départ, il fait la fête avec trois amis, question de se dire au revoir.
« On allait souvent dans un petit chalet dans le bois. C’était notre spot. On était en train de jouer aux cartes. Un de mes amis, pour rallumer le feu, utilise le bidon d’essence qui était juste à côté du foyer. Personne ne l’a vu faire ; on avait le dos tourné. »
Un retour de feu se produit dans le bidon. Le feu prend. Son ami lance le bidon en feu en direction de la porte du chalet, mais le bidon tombe juste à côté de la porte et se vide d’un coup. « Les flammes sont montées d’une traite jusqu’au plafond ! raconte Olivier. Le feu grondait ! C’était assourdissant ! »
Les gars se regardent tous. C’est l’unique sortie. Un gars prend son courage à deux mains et traverse le feu en courant. Le deuxième fait de même.
Puis, Olivier tente sa chance. « J’ai pris un manteau pour me protéger la tête, mais je ne voyais pas où j’allais et j’ai trébuché… Je suis tombé dans la flaque d’essence qui brulait. J’étais à quatre pattes et ça brulait tout autour de moi. J’ai réussi à sortir du chalet quand même. J’étais une vraie torche humaine. Je me roulais par terre, et un ami a sauté sur moi pour m’éteindre… Lui aussi, il s’est brulé gravement. »
Olivier était éteint. Le dernier gars venait de sortir, indemne. « Moi, je voyais ma peau qui pendouillait en lambeaux… On s’est rendus à l’hôpital. On m’a enlevé ce qui me restait de mes vêtements et on a mis des gazes partout. Je me souviens d’avoir entendu une infirmière appeler l’hôpital Enfant-Jésus en disant : “On vous envoie un grand brulé au 3e degré sur 50 % de son corps.”
— Comment pouvais-tu endurer ça ?
— Je ne sais pas. Je peux dire que j’ai été impressionné du niveau de douleur que je pouvais ressentir… Je n’ai pas de mot pour le décrire », répond Olivier, avec son ton toujours calme et serein.
Le feu de la colère
Olivier est plongé dans un semi-coma pendant trois semaines. Il demeure à l’hôpital pendant cinq semaines en tout et subit de multiples opérations de greffe de peau saine.
Le semi-coma, explique-t-il, est « comme un cauchemar duquel tu ne peux pas sortir. Tu n’arrives pas à te réveiller. Tu ressens les choses. Tu es conscient de ce qui se passe autour, mais à moitié. La réalité est glauque. Le lit où j’étais, je croyais que c’était une fosse de cadavres dans laquelle j’étais étendu et dont je ne pouvais plus m’échapper. Par contre, je ressentais la présence extérieure, et cela m’apportait beaucoup de réconfort ».
À son réveil, ses amis viennent le voir chaque jour, surtout le responsable du feu, brulé au bras et greffé, lui aussi.
« Comment réagissais-tu face à lui ?
— Ce gars-là, c’était tout un colosse, tu sais, et là, je le voyais au pied de mon lit, complètement défait et en larmes. Il se sentait coupable. C’était terrible de le voir. Je lui ai tout pardonné. Je ne pouvais pas lui en vouloir ; je lui disais que tout était pardonné. »
On transfère Olivier à l’Institut de réadaptation, à Québec. En plus des changements de pansement qui durent plusieurs heures – avec la sensation d’avoir un diachylon qui arrache tout sur son passage –, c’était le pénible travail de physiothérapie et d’ergothérapie. Il devait garder à l’esprit, lui disait-on, qu’il n’y aurait aucune amélioration possible s’il n’était pas prêt à tolérer la douleur.
« Au début, je peux dire que ça allait, mais à la longue, je n’en pouvais plus… Il faut comprendre que je n’étais même pas capable de lever le bras ; chaque fois que je levais le bras, la peau voulait fendre parce que les pansements tiraillaient mes plaies ! La douleur est devenue intolérable.
— Et Dieu dans tout ça ? Je veux dire, tu t’apprêtais à lui donner ta vie, et cet accident arrive ! Comment vivais-tu ça ?
— Avec ce travail de réadaptation et la douleur physique, j’ai commencé, justement, à me demander pourquoi j’étais là, pourquoi je vivais ça. J’en voulais à Dieu. Pourquoi avait-il laissé ça arriver ? Ça n’avait pas de sens ! J’en voulais aussi à mon ami, finalement. Pourquoi ce n’était pas lui qui était à ma place ? C’était de sa faute, après tout ! »
Olivier glissait sur la pente de la colère et du ressentiment. À la fin, il en voulait à tout le monde. « Tout était négatif dans mon esprit. J’ai glissé comme ça, rempli d’amertume, jusqu’à ma sortie de réadaptation, sept mois plus tard. »
À ce moment-là, ce n’est pas la grand-mère qui est intervenue, mais la marraine. Elle lui suggère de voir un ami, qui est prêtre. « Ça ne me tentait pas du tout ! En moi, ça disait juste que je n’avais pas besoin de lui ! Mais bon. J’ai accepté pour faire plaisir à ma marraine… J’ai reçu la visite de cet ami prêtre, et là, j’ai vidé mon sac. Toute ma haine, ma rancune envers Dieu et envers mon ami ; j’ai tout dit. Je ne sais pas si j’avais le désir réel de pardonner, mais ce que je sais, c’est que je m’en allais vers le suicide… C’était ça que je vivais et c’était plus fort que moi. À la fin de notre rencontre, une parole du prêtre est restée en moi : “Le pardon, c’est une chose qui recommence chaque jour, et la prière est indispensable là-dedans.” »
Olivier est donc reparti, portant un sac un peu moins lourd.
Le doux feu de Dieu
Avant l’accident, Olivier avait l’habitude de se rendre à l’adoration eucharistique le jeudi soir à la chapelle du sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré. Il avait abandonné tout ça, mais sa marraine, encore une fois, lui propose d’y retourner.
« J’y allais de reculons, mais dès la première visite, assis devant Lui, j’ai crié : “Seigneur ! J’suis pus capable ! J’suis pus capable !” Eh bien, 15 secondes plus tard, une paix incroyable a envahi tout mon cœur. Ma switch de colère était à off. Carrément ! Je sentais un grand, un immense amour qui remplissait toute la pièce. Toute la colère envers mon ami venait de se volatiliser. »
En sortant de la chapelle, Olivier réalise que c’est dans la présence de Dieu que sa guérison pourra se faire. Il prend la décision de renouer avec Dieu et avec la prière. « Pour me faciliter la tâche, Dieu ramenait à ma mémoire plein de beaux souvenirs. Non seulement j’étais surpris de ne plus ressentir de colère, mais je l’étais encore plus de voir que tout était remplacé par un amour ardent. »
Au bout d’un an, il veut encore discerner sa vocation et se cloitre pour un mois. Ce qui en ressort ? Une tout autre vocation. « Bon. Je n’y croyais pas vraiment ! Quelle femme me trouverait beau ? Me désirerait ? Je me disais que, comme religieux, au moins, je n’aurais pas à affronter ça… C’était comme une sécurité, une façon d’être à l’abri des regards. »
Pourtant, Marjorie, qui s’occupait de la pastorale jeunesse et des pèlerins au Sanctuaire, avait commencé à lui tourner autour, intriguée par ce gars qui portait toujours des vêtements compressifs. Elle a dû attendre un an avant qu’il ait le courage de lui parler.
* * *
Olivier et Marjorie sont mariés depuis dix ans, ont deux beaux enfants et cheminent ensemble vers le diaconat permanent. Dieu fait dépasser bien des limites.
Dans ce corps meurtri, l’inconfort est permanent pour Olivier. Ses bras n’ont plus les bonnes sensations ; les nerfs ont été attaqués, et ça, c’est irréversible. Quand Marjorie passe sa main sur sa poitrine, même très délicatement, c’est comme un râteau, dit-il en souriant timidement. Il apprend à vivre avec ça et Marjorie l’aime comme ça, comme il dit. De toute façon, n’est-on pas toujours en train d’apprendre à vivre et à aimer ?
« C’est bizarre à dire, confie Olivier, mais je me suis attaché à mes cicatrices. Tout ce que j’ai appris sur Dieu, sur moi-même, sur les autres, c’est grâce à elles, c’est à travers elles. J’ai appris à connaitre notre Dieu ; il ne souhaite pas notre souffrance et notre douleur, mais il nous en fait sortir plus forts, transformés. Il ne voit que la beauté et le potentiel en nous. »
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