Article paru dans le numéro Sport de la revue La vie est belle. Réactualisé et mis à jour le 8 juin 2021.
Le sport, c’est sacré. Le sport rassemble et divise. Le sport promeut la paix et la rivalité. Le sport, c’est aussi et surtout le miroir de nos bipolarités : nous sommes peureux et courageux, pacifiques et guerriers, individualistes et collectivistes. Car le sport a quelque chose d’étrangement social et religieux.
Et si le sport est le miroir de la société, il ne faut pas se surprendre de trouver quelques fantômes dans le forum et quelques prières d’avant-match. La religion faisant partie – parfois plus qu’on l’imagine – de la vie sociale, les dieux finissent toujours par se pointer le bout du nez dans l’arène.
Partisans ou adorateurs
Historiquement, les dieux ont toujours eu leur place dans le stade. Même si notre époque nous donne parfois l’impression que nous vivons dans un monde désenchanté, les symboles et les rituels continuent d’être omniprésents dans les manifestations sportives. Et l’on n’a pas besoin de reculer aussi loin qu’aux antiques jeux olympiques grecs. On dit parfois que le hockey est une religion au Canada. Olivier Bauer, un professeur de l’Université de Montréal, a même fait un cours de théologie sur le sujet.
On adore à la fois Dieu et Jesus Price. Oups… Carey Price, dis-je. On vénère autant les vertus de saint Joseph que les exploits de Maurice Richard. Peut-être pas vous. Peut-être pas moi.
Peut-être un peu nous, par contre.
Collectivement, nous devons admettre que le sport est l’objet d’un culte assez fort. Alors, sommes-nous polythéistes pour autant ?
Historiquement, les dieux ont toujours eu leur place dans le stade. Même si notre époque nous donne parfois l’impression que nous vivons dans un monde désenchanté, les symboles et les rituels continuent d’être omniprésents dans les manifestations sportives.
Pour trouver une réponse à cette question et pour nous convaincre de l’étroite relation entre le sport, la religion et la société, nous sommes allés voir coach Tessier. Anciennement derrière le banc de jeunes joueurs de hockey dans Portneuf, l’homme se tient aujourd’hui devant la classe d’anthropologie au cégep Limoilou. Aussi docteur en anthropologie du sport à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, André Tessier n’hésite pas une seconde face à nos tirs au but.
Avec les mêmes réflexes binaires que Claude Lévi-Strauss – véritable icône de l’anthropologie du 20e siècle –, l’enseignant nous présente une série de symboles sportifs placés dans un monde dualiste.
Dans ce type d’analyse, le monde est un perpétuel face-à-face, une joute éternelle. Homme et femme. Phallique et utérin. Bâton et but. Vous imaginez que la liste peut s’allonger encore et encore !
Rouges contre bleus
Les Rouges contre les Bleus. Montréal contre Québec (ou, ce printemps, contre Winnipeg). Les supporteurs et les opposants.
La rivalité sur la patinoire entretient parfois une étrange coïncidence avec les rivalités « sociales ».
Pas si étrange toutefois quand on apprend par l’historien Richard Holt que les sports modernes (polo, cricket, rugby, tennis, etc.) trouvent tous leur origine dans la Grande-Bretagne parlementariste du milieu du 19e siècle.
En effet, vers 1850, le système parlementaire commence à être bien rodé au palais de Westminster. Depuis quelques années déjà s’y affrontent deux partis politiques. Leurs noms ont changé quelques fois, mais retenons qu’essentiellement le « match » des élus oppose depuis un bon bout de temps la gauche à la droite… libéraux-travaillistes (Labor) contre conservateurs (Tories), si vous préférez.
Le hockey, le baseball et le football américain trouvent tous leurs origines dans les sports anglais mentionnés ci-dessus, lesquels sont nés eux-mêmes d’une organisation sociopolitique très dualiste. Déjà, on voit un peu plus clair dans la relation entre sport et société.
Il nous reste maintenant à fouiller du côté du rapport entre sport et religion.
Dévotions sportives
Nombreux sont les athlètes – et plus nombreux encore sont les partisans – qui accomplissent pieusement des séries de rites avant ou pendant les évènements sportifs. Alors qu’il s’agit bien souvent de superstitions, d’autres font référence à la religion de manière… ostentatoire.
Pour les uns, calmer la colère des dieux se fait par des signes dans le vestiaire ou sur le terrain de l’affrontement sportif (prières, signes de croix), mais pour les autres, le culte est rendu par l’aumône.
Dans la catégorie des superstitions, pensons au gardien Patrick « Casseau » Roy, qui parlait aux poteaux de son but, ou encore à mononcle Gaston qui, les soirs de match, tient toujours la télécommande de la main gauche pour porter bonheur à ses favoris. Dans la seconde catégorie, celle des comportements religieux, soulignons à titre d’exemple que l’ancien capitaine Brian Gionta faisait toujours son signe de croix en entrant sur la patinoire du Centre Bell.
Pour les uns, calmer la colère des dieux se fait par des signes dans le vestiaire ou sur le terrain de l’affrontement sportif (prières, signes de croix), mais pour les autres, le culte est rendu par l’aumône. Les dons aux hôpitaux d’enfants malades, les diverses fondations, les dons d’équipements sportifs aux plus démunis sont autant de manières pour les sportifs de vivre l’idéal de charité tout en ayant l’impression de mettre un maximum de chances de leur côté.
Produits (spirituels) dérivés
Nous venons de voir à quel point la religion peut être présente de diverses façons dans les sports. D’un autre côté, sans l’ombre d’un doute, le sport fait aussi quelques incursions dans le monde de la religion.
Pour preuve, le dernier mème du Verbe.
Amusé par l’apparence trompeuse d’anachronisme, l’anthropologue André Tessier observe le phénomène à travers ce qu’il appelle le « diffusionnisme contemporain ». Qu’est-ce que cela signifie ? Dans le monde d’aujourd’hui se chevauchent et s’enchevêtrent diverses époques. On assiste alors à d’étranges croisements d’éléments appartenant à la tradition et à la postmodernité, à la modernité et à l’hypermodernité, etc.
Dans le monde d’aujourd’hui se chevauchent et s’enchevêtrent diverses époques.
Se diffusent des éléments hypermodernes comme la téléphonie cellulaire jusque dans les zones les plus reculées du globe, là même où on laboure encore au bœuf attelé. On retrouve aussi, dans un Québec qui se veut « laïcisé », des emprunts au monde de la tradition religieuse catholique dans le sport, et vice-versa.
* * *
Nous quittons le balcon du professeur Tessier et sa magnifique vue surplombant le quartier. Nous avons causé sport, religion et société. Bien sûr, des questions restent en suspens.
Mais avant que nous prenions congé du chercheur en anthropologie du sport, il nous relance cette idée fondamentale pour son maitre Lévi-Strauss autant que pour lui-même : l’homme est un être croyant, notre espèce a besoin de croire.
Difficile de nier ça.
Près de là, peut-être à l’étage d’en dessous, et dans des milliers de foyers ailleurs au pays les soirs de match, la télévision est monopolisée. Pas question de regarder autre chose. La scène se répète depuis des décennies chaque fois qu’il y a un match des Canadiens de Montréal.
L’ambiance est à son comble. Les décibels sont au rendez-vous. La partie commence. Tout le monde est assis sur le bout de sa chaise, une grosse Molson sur la table et quelques arachides dans un panier en osier.
« Go Habs Go ! »
Ça gueule fort. Ça boit, ça sacre et ça écoute. Ça écoute religieusement.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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