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par Serge H. Moïse.
Deux siècles d’histoire au cours desquels la fiction semble plus vraie que la réalité. Christophe Colomb se rendant aux Indes par la route de l’est échoue par accident dans ce qu’il sera convenu d’appeler le Nouveau Monde.
Sans se soucier des autochtones, après la visite des lieux, l’île est rebaptisée Hispaniola en l’honneur de leurs majestés très catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Comme tout bon envahisseur, on commence par essayer d’amadouer ces êtres bizarres vivant de chasse et de pêche, adorant les astres comme divinités, loin de la civilisation. Il faut donc les convertir au christianisme et pour ce faire, la bible dans une main, l’épée dans l’autre, ce sera chose faite le temps de le dire d’autant que le sous-sol est riche en minerais et métaux précieux de toutes sortes.
Ces êtres bizarres appelés dorénavant les Indiens, puisque les conquistadores se croyaient en Inde, feront l’apprentissage des travaux forcés car le royaume a besoin de ressources et pas des moindres. L’or, l’argent et autres métaux précieux y abondaient et ces primitifs n’en connaissaient même pas la valeur. Se les approprier d’une manière ou d’une autre ne posait donc aucun problème, encore fallait-il une main-d’œuvre peu coûteuse mais vigoureuse pour ce faire.
Ces Indiens des Antilles se sont vite révélés inaptes à ce genre de boulot et la population a commencé à décroître rapidement, aidée en cela par les maladies sexuellement transmissibles gracieusement importées.
C’est alors que le révérend Bartolomeo de Las Casas, dans un élan de « charité toute chrétienne », eut la géniale inspiration de suggérer à ses patrons de mettre un terme à ce massacre et de remplacer ces créatures chétives par les Bossales, rudes travailleurs et costauds qui passaient leur temps à s’entre-tuer dans leur lointaine terre d’Afrique.
Ainsi débuta l’immigration massive de nos ancêtres, ces Nègres d’Afrique, vers la terre de soleil, de fer et de feu, agrémentée de vaudou et de christianisme dont nous sommes hélas les héritiers.
La lune de miel dura trois cents longues années, ponctuée de querelles, d’escarmouches, pour dégénérer en marronnage, fugue, révolte et culminer enfin, à travers la geste de 1804, à la rupture spectaculaire des chaînes de l’esclavage.
Le premier janvier 1804, notre fier bicolore symbolisant les notions de liberté, d’égalité et de fraternité ont flotté allègrement, transmettant au monde entier les effluves sacro-saintes de notre volonté inébranlable de vivre libre ou de mourir.
Dès 1805 une première constitution définissait les rapports entre gouvernants et gouvernés, l’article 26 consacrait le règne à vie de l’empereur Jacques 1er avec le droit de choisir son successeur. La tragédie du Pont Rouge, dont les séquelles se font encore sentir de nos jours, en a décidé autrement et comme pour rester dans l’air du temps, le président Boyer se fera plébisciter à vie, suivi dans la même veine par Henry Christophe dans le Nord, plus tard Faustin Soulouque et enfin François et Jean-Claude Duvalier.
Tous ces empires, royaumes et républiques ont une particularité en commun : le mépris de la res publica.
La nation, encore en devenir, a évolué en dent de scie avec le plus souvent des bonds en arrière, zigzaguant de mal en pis. Tous les présidents élus régulièrement ou à la faveur de nos nombreux pronunciamientos ont toujours voulu se perpétuer au pouvoir en dépit des prescrits de nos différentes constitutions, avec les mêmes résultats qu’ils se feront chasser du palais national comme de vulgaires chenapans.
Cette pulsion morbide habite encore nos politiciens d’aujourd’hui, certes de manière un tantinet plus sophistiquée, comme l’ont d’ailleurs démontré les dernières élections boudées par la grande majorité de la population.
Ce simple et rapide survol historique n’a pas la prétention de retracer, dans les moindres détails, toute la gamme de nos gabegies au fil des décennies. Elles sont connues pour avoir été sassées et ressassées par nos brillants analystes et historiens.
Notre propos se veut une modeste contribution à la recherche des causes de nos malheurs dont nous sommes, à n’en point douter les premiers responsables. S’il est vrai que le développement d’une société passe par ses créneaux culturels, il y a lieu pour nous de questionner en premier lieu cet aspect de la question, démarche qui devrait relever d’une équipe pluridisciplinaire réunissant toutes les compétences y afférentes.
À défaut de cette équipe, notre témérité nous incite, avec tous les risques que cela peut comporter, à questionner nos méthodes d’enseignement qui nous ont fait accroire, pendant trop longtemps, que le français était notre langue maternelle – premier pas vers l’acculturation.
Des Afro-Caraïbéens, éduqués à la française, n’appréciant que les valeurs culturelles importées, ignorant et méprisant systématiquement les siennes, au lieu d’en faire une idiosyncrasie enrichissante, une telle approche frisant la dichotomie, ne pouvait que déchirer le tissu social et barrer la route à toute velléité de développement endogène.
De plus, toute société, pour pouvoir évoluer de façon harmonieuse se doit d’établir ses règles de fonctionnement en adéquation avec sa propre culture, et quand ces susdites règles de droit sont elles aussi importées sans la moindre tentative d’adaptation, le dysfonctionnement s’avère inévitable comme nous le constatons depuis trop longtemps avec une passivité déconcertante.
Haïti est dans une impasse, nous le répétons depuis une cinquantaine d’années, et nous refusons d’admettre que c’est là notre œuvre collective, volontairement ou non. Certains d’entre nous ont très mal fait, d’autres, par contre, n’ont pas osé faire ce à quoi ils étaient appelés, nous sommes donc tous, sinon coupables du moins responsables de notre lamentable situation de peuple le plus corrompu et en conséquence le plus pauvre. Nos aïeux ont pratiqué le marronnage contre les colons pour nous délivrer de l’abrutissement, nous le pratiquons avec nous-mêmes espérant nous dédouaner de notre légèreté envers la mère-patrie. Nous inventons arguties et circonvolutions pour nous convaincre que nous n’avons rien à voir dans ce chaos séculaire. Peine perdue sœurs et frères, notre conscience sera toujours omniprésente, comme l’œil du maître qui regardait Caïn.
Sur le plan économique, nous avons choisi le mercantilisme en lieu et place de la production, l’accès au crédit est limité à environ 3% de la population active, qui elle-même ne représente que 25% de la famille haïtienne.
En conséquence, envisager la refondation du pays implique une emphase certaine sur la réforme judiciaire et la sécurité pour tous, la revalorisation des corps socioprofessionnels : avocats, médecins, ingénieurs, professeurs, notaires, arpenteurs, comptables etc., une fonction publique épurée, une politique de plein emploi à partir de nos propres ressources, un encadrement adéquat de nos artistes et pour cause, une éducation innovée qui tienne davantage compte de nos valeurs culturelles, pour une jeunesse saine de corps et d’esprit, la santé à la portée de tous, sans oublier la célérité dans l’urgence : évidemment les logements sociaux pour tous les sinistrés et les démunis. Tout ce qui précède, il va de soi, à partir d’un État structuré de manière efficace et efficiente.
Nous estimons de notre devoir de joindre notre faible voix à toutes celles qui réclament à cor et à cri que nous sortions enfin de l’impasse, car Haïti c’est nous, en tout temps, et où que nous puissions nous retrouver.
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