Le roman des damnés. Ces nazis au service des vainqueurs après 1945

Par Brigitte Bouzonnie.

Critique du livre récent rédigé par Eric Branca intitulé : « Le roman des damnés. Ces nazis au service des vainqueurs après 1945« , éditions Perrin, mai 2021.

Pendant mes vacances sous une pluie battante, digne d’un mois de novembre, j’ai lu un livre vraiment passionnant, qui vient juste de sortir, intitulé : « Le roman des damnés. Ces nazis au service des vainqueurs après 1945 ». Il est rédigé par le journaliste Éric Branca, aux éditions Perrin, mai 2021. Depuis la publication de l’excellent ouvrage de Philippe Burin « Hitler et le génocide juif« , Point Seuil, 1989, on savait que Hitler avait défendu à ses subordonnés de METTRE PAR ECRIT sa politique de la solution finale. En principe, tout devait se faire oralement, afin de ne pas effrayer les contemporains, ni alerter plus tard les historiens.

Ce livre justement nous apprend que les nazis en charge de la solution finale n’ont pas obéi à Hitler. Et que des textes normatifs ont bien été pris, ce qui explique l’incroyable obéissance de la Wermacht et de la SS, dans la shoah par balles, les sinistres « einsatzgruppen » ! Le livre de Branca raconte l’itinéraire de nazis poursuivant après 1945 leur triste besogne au sein de la CIA: Gehlen, Schellenberg, Kiesinger, Heusenberg.

1)- HEUSENBERG : Le parcours du Général Heusenberg est particulièrement intéressant : ses obsèques en 1964 en RFA ne seront pas nationales non mais presque, ce qui montre l’importance du personnage dans la nouvelle RFA ! Pourtant Heusinger est un ancien Chef de section des opérations de l’OKH, le commandement suprême de l’armée de terre, chargé entre autre de l’opération Barbarossa, c’est à dire l’invasion et les modalités pratiques d’occupation de l’Union soviétique en 1942. 24 millions de russes y perdirent la vie : un chiffre jamais mentionne par les historiens de l’Ouest ! C’est lui qui coordonne l’offensive de l’été 1942 à Stalingrad. C’est lui aussi qui s’occupe du « nettoyage » politique et ethnique du Peuple soviétique aux fins de « sécuriser » les arrières de la Wermacht. En clair, c’est lui, et donc l’armée allemande, qui ordonnent le répugnant massacre du ghetto de Minsk, la shoah par balles d’un million de soviétiques ! L’agence Tass apporte les preuves irréfragables de la responsabilité personnelle de Heusinger dans le massacre de 45 000 biélorusses. Réponse des autorités américaines de l’époque : « Heusinger aurait été un résistant sincère à Hitler ! »(sic).

En effet il était au courant de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944, mangeant à tous les râteliers ! Comme explique Jean Lopez spécialiste de l’opération Barbarossa, il ne faut pas différencier l’extermination des juifs et la guerre contre les commissaires politiques soviétiques. Et ce n’est pas tout : Heusinger est l’officier supérieur qui a parlé plus de 700 fois à Hitler, le plus souvent à Rastenburg, la « tanière du loup » d’Hitler ! C’était donc un intime de Hitler, un homme du premier cercle, ce qu’on ne dit jamais lorsqu’il devient un dignitaire de la RFA. Pourtant, en 1945, Heusinger ne subit aucun purgatoire. Il devient le responsable de la nouvelle armée allemande avant de devenir NUMERO UN MILITAIRE DE L’OTAN.

En mai 1945, il se rend aux américains en leur donnant sa précieuse documentation sur la puissance militaire soviétique. Heusinger n’est pas condamné à Nuremberg ! C’est une réhabilitation du IIIème Reich en bonne et due forme. Avec Gehlen, Heusinger est recruté par la CIA pour créer le BNB, service de renseignements de la RFA. Il s’agit en réalité d’une CIA bis, dont les ordres viennent directement des États-Unis. En 1955, il est nommé principal conseiller de Bonn dans les questions militaires.

2)-GEHLEN : Reinhard Gehlen est en rapport constant avec Walter Schellenberg, bras droit de Heydrich. En 1945 Gehlen se rend aux américains afin d’éviter le GRU russe, qui le recherche activement pour ses crimes en URSS. En effet Gehlen s’est opposé à Hitler sur l’opération Barbarossa : non pas à cause des crimes de masse commis sur la population civile, que pour des raisons purement stratégiques : Hitler visait prioritairement Moscou, Gehlen les champs de pétrole du Caucase. Gehlen collabore avec l’Institut Wannsee proche de la SS, afin de constituer une documentation économique et sociale précise sur l’union soviétique. Sous la houlette de Gehlen, l’institut Wannsee est mobilisé pour préparer la guerre à l’Est. Gehlen découvre que les cartes routières sont fausses comme les statistiques. Grâce aux informations corrigées de Gehlen, la Wermacht peut atteindre la ville pétrolière de Maïkop le 9 août 1942 alors que la guerre a été déclarée le 22 juin, soit 49 jours ! De plus, afin d’asservir la Russie, Gehlen souhaite s’appuyer sur les nationalistes slaves. Notamment indépendantiste ukrainien Stépan Bandera. Emprisonné et condamné à mort en 1936 par les russes, Bandera est libéré par les allemands, enrôlé dans la SS de Heydrich. Mais Himmler est opposé à une nation ukrainienne. Le 1er juillet 1942, Bandera proclame l’Ukraine indépendante. Colère de Hitler qui fait arrêter l’imprudent. La ligne Himmler triomphe.

Mais, accueillis sous les fleurs, les allemands sont très vite détestés par la population ukrainienne Beaucoup rejoignent l’armée ukrainienne anti hitlérienne. Entre 1941 et 1945, on compte 7,7 millions de victimes civiles et militaires, rien qu’en Ukraine : Gehlen y est pour beaucoup. Si la politique raciste de Himmler n’avait pas soudé les ukrainiens derrière Staline, l’armée rouge aurait échoué à reconquérir le pays ! Quand le Reich s’effondre, ce n’est pas moins de 50 caisses d’archives que Gehlen emporte avec lui. C’est avec cette monnaie d’échange que Gehlen se rend aux américains. En août 1945, il est libéré avec six de ses hommes. Direction Fort Hunt en Virginie. Durant les 218 jours du procès du tribunal de Nuremberg, son nom n’est jamais cité, collaboration avec les américains oblige ! Dès juillet 1946, il est de retour en RFA : avec pour mission de collaborer avec la CIA en formant les « organisations Gehlen ». Il s’installe au Camp Nicholas, y gagne le surnom de « général sans visage ». Parmi ses collaborateurs, on compte un certain Klaus Barbie qui a torturé Raymond Aubrac. Obligé Bertie Albrecht à se suicider, pour ne pas dénoncer ses compagnons de résistance. Mais aussi Bandera l’Ukrainien. Et Oscar Reile qui a capturé et torturé Jean Moulin. Gehlen fait parler les prisonniers de guerre allemands emprisonnés en Union Soviétique Il apprend ainsi la construction d’une usine à l’Est de Moscou participant du programme nucléaire soviétique. C’est lui qui met sur pieds les réseaux Stay Behind (réseaux Gladio), c’est à dire, les armées secrètes de l’OTAN, afin d’empêcher le communisme de triompher en France et en Italie. Dresse la liste noire des individus à liquider. Gulio Andreotti reconnaît l’existence de ces réseaux Gladio en1990, devant une commission du Sénat.

Les réseaux Gladio sont derrière les attentats des Brigades Rouges manipulés par le BNB et la CIA. La mise à mort d’Aldo Moro n’est pas le fait des Brigades rouges à proprement parler, mais d’un agent de la CIA infiltré (cf Rendez-vous avec X). En 1956 Gehlen est nommé chef des services secrets de la RFA : le BNB = CIA bis. Mais son seul chef est Allen Dulles patron de la CIA. Il est de tous les coups fourrés face à la naissance de la Vème République, aidant l’OAS. Le KGB n’a pas renoncé à éliminer Gehlen. Il réussit à infiltrer le BNB par un agent double : Felfe qui provoquera l’arrestation de 94 agents du BNB. L’affaire Felfe précipitera sa chute.

Conclusion : Pour finir, on soulignera combien le livre d’Eric Branca faisant le portrait de 12 nazis (1) passés au service de l’État profond n’est que la partie émergée de l’iceberg, QU’ UNE PIECE DU PUZZLE dans la construction de l’État profond américain. En effet, il faut y ajouter aussi le rôle idéologique considérable joué par la firme IG-Farben théorisant, contre l’avis d’Hitler, l’idée d’un « état mondial » chapeautant des nations en ruine, sciemment mises à la poubelle. Il faut aussi avoir à l’esprit le livre remarquable de Jacques Pauwels « Le mythe de la bonne guerre« , où il montre la longue complicité existante entre Hitler, Goering et les patrons des grandes firmes américaines : ITT, Ford, Général Motors. Les longs repas entre les patrons américains et « Monsieur Goering » tant admiré par ces derniers. Donc on voit comment l’intellectuel collectif nazi est passé avec armes et bagages au service de l’État profond : et 50 ans après, personne ne moufte considérant cette trahison des services secrets américains comme « normale », « allant de soi » …!


(1)-Albert Speer, Walter Schellenberg, Reinhard Gehlen, Rudolf Diels, Otto Skorzeny, Ernst Achenbach, Kurt Kiesinger, Hjalmar Schacht, Friedrich Paulus, Wernher von Braun, Hannah Reitsch.

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