Les deux ruptures de la Révolution tranquille

Les deux ruptures de la Révolution tranquille

Sous l’effet des fissures dans le consensus sur l’État-providence, la Révolution tranquille se brise à deux moments. Le premier moment témoigne des limites du projet d’émancipation économique et politique sur le territoire québécois; le second signale l’abandon des idéaux de l’État-providence en matière de droits socioéconomiques au profit d’une logique de gestion budgétaire.

La première rupture a lieu le 2 novembre 1982. Le président de la compagnie Iron Ore du Canada, Brian Mulroney, annonce la cessation des activités minières à Schefferville, et leur relocalisation à Labrador City. La nouvelle de la fermeture à Schefferville sonne le glas de cette ville qui, fondée en 1955 dans la prospérité d’après-guerre, n’a plus que 3 270 habitants non autochtones en 1980.

La fermeture de Schefferville témoigne de la fin d’un rêve, celui de l’enrichissement collectif pouvant assurer le développement de nombreuses régions du Québec. Après Schefferville, c’est au tour de Gagnon de disparaître le 1er juillet 1985, à la suite de la fin des activités minières de la Sidbec-Normines au gisement de Fire Lake.

Le second moment de rupture se produit le 17 février 1983 avec l’adoption de la loi spéciale obligeant le retour au travail des enseignants québécois en grève. La loi 111 marque l’aboutissement d’une escalade de tension entre l’État patron et ses employés. En pleine crise budgétaire, les responsables politiques québécois font des choix qui contredisent le modèle d’État-providence mis en place depuis la mort de Maurice Duplessis.

Obsédés par la dette, ils adhèrent progressivement à l’idéologie néolibérale et à ses solutions jugées efficaces pour réduire le déficit budgétaire engendré par la récession. En agréant implicitement aux thèses néolibérales, ils provoquent la rupture du consensus au sujet de l’État-providence.

Encouragé en ce sens par les ministres Jacques Parizeau et Yves Bérubé, le gouvernement Lévesque veut freiner l’augmentation des dépenses de l’État québécois. Comme les historiens Martin Petitclerc et Martin Robert le rappellent, « par une série de décisions autoritaires », le gouvernement péquiste « en vient à renier son ‘‘préjugé favorable aux travailleurs’’ ». Il rouvre les conventions collectives qu’il avait signées pour annuler les gains salariaux accordés en 1979.  Avec les lois 70 et 105 adoptées en décembre 1982, le gouvernement Lévesque impose entre autres d’importantes réductions de salaire temporaires aux employés de l’État et révoque même leur droit de grève.

Matin Pâquet et Stéphane Savard, Brève histoire de la Révolution tranquille (Boréal), 2021.  

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