Canada : la neutralité carbone pour 2050 ?

Canada : la neutralité carbone pour 2050 ?

Extraits de la Fiche technique # 41 de l’IRÉC, disponible en ligne : https://irec.quebec/ressources/publications/Fiche-41.-Canada-et-la-neutralite-carbone-pour-2050-3.pdf.   

 « La courbe des émissions commence à changer au Canada », affirmait sans aucune gêne le ministre Steven Guilbault à l’occasion du Jour de la terre. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 1990 les émissions canadiennes de GES ont crû de 127 millions de tonnes (Mt) et, après un repli dans la foulée de la crise de 2009, elles ont de nouveau augmenté de 50 Mt.

Malgré une baisse attendue en raison la pandémie, les émissions vont recommencer à augmenter au cours des prochaines années. D’une part parce que les nouveaux pipelines en construction, dont celui financé par le gouvernement, vont susciter de nouveaux projets d’énergies fossiles et parce que, d’autre part, les toujours plus nombreux VUS sur les routes vont y rouler pour encore plusieurs années. Comment, alors, peut-on croire aux prétentions canadiennes d’atteindre les cibles de -45% pour 2030 et de neutralité carbone d’ici 2050 ?

Émissions de carbone : historique et projections

Pour illustrer ce dilemme, mentionnons quelques données sur l’évolution historique des émissions carbone du Canada depuis 1990. Pour l’ensemble de la période 1990-2019, la tendance reste clairement à la hausse, en particulier pour les émissions de CO2 qui ont atteint un sommet de 594 Mt en 2007, pour refluer légèrement par la suite et retrouver rapidement une tendance à la hausse et atteindre 587 Mt en 2019.

Les émissions de méthane ont légèrement augmenté pendant un temps, plafonnant à 110 Mt entre 1996 et 2002, mais sont revenues à peu près à leur niveau de 1990 (environ 90 Mt). Les autres gaz à effet de serre sont plutôt stables, mais restent néanmoins relativement secondaires.

À ce portrait, on peut ajouter des informations sur la courbe de contribution des puits de carbone. Il faut en effet savoir que, de 1990 à 2018, la capacité des puits naturels à capter le carbone est passée de 60,9 Mt à seulement 13,7 Mt. Selon un scénario qu’on pourrait dire optimiste, le Canada devrait parvenir, au cours des trois prochaines décennies, à récupérer cette capacité grâce à une protection élargie des milieux naturels et à une production forestière et agricole plus durable.

Dans cette optique, la cible d’émission de 2050 (la neutralité carbone) correspondrait donc à des émissions de 60,9 Mt. En ce qui concerne la cible d’émission de 2030 (415 Mt), elle correspond à celle proposée par le GIEC dans son rapport de 2018. Partir de tous ces éléments, on peut donc déduire la courbe de la trajectoire de neutralité carbone que devrait suivre le Canada.

Discussions

Lorsqu’on utilise les données de l’inventaire de 2019, on constate que la trajectoire de neutralité carbone de 2050 s’écarte passablement de la cible de 2030 alors que si le Canada avait sérieusement mis en place les mesures pour atteindre cette neutralité carbone dès la signature de l’Accord de Paris en 2015, les cibles de 2030 et 2050 auraient été convergentes. Autrement dit, plus le Canada tergiverse, moins la cible de 2030 semble atteignable et plus la cible de neutralité de 2050 exige des solutions radicales. 

Cette situation est essentiellement due à l’évolution des émissions produites par l’industrie du gaz et du pétrole et de celles du transport, qui annulent les baisses des émissions des autres secteurs. Si, au lendemain de l’Accord de Paris, le Canada avait imposé un moratoire sur le développement des énergies fossiles et avait mis en œuvre une législation contraignante pour bannir, sur un horizon rapproché, la vente des véhicules à combustion interne, la courbe aurait véritablement commencé à baisser. Au lieu de cela, le gouvernement subventionne l’industrie, construit lui-même un pipeline et continue à tromper la population avec des cibles d’électrification des véhicules qui restent au choix du consommateur !

Nos calculs nous montrent qu’en 2016 la moyenne annuelle de baisse des émissions qui aurait été nécessaire pour se conformer à la trajectoire de neutralité carbone de 2050 aurait dû s’élever à 18,8 Mt. Trois ans plus tard, comme les émissions atteintes en 2019 avaient augmenté alors que la période à couvrir se réduisait, le calcul porte maintenant cette moyenne annuelle à 21,4 Mt, soit 14% de plus que celle de 2016. Si les tendances actuelles se poursuivent, en 2022 cette moyenne passera à 23,7 Mt (hausse de 26%) et en 2025 à 26,5 Mt, entraînant un effort de 40% plus élevé que celui qui aurait été nécessaire en 2016. Le report des décisions difficiles a des conséquences néfastes.

Quoiqu’on en dise, la tarification carbone, présentée par le gouvernement comme sa mesure phare, ne fait que repousser les décisions difficiles à plus tard. Cette tarification est certes un geste nécessaire, mais nullement suffisant. À 50$ la tonne (tarification prévue pour 2022), elle ne représentera qu’une hausse de 10 cents le litre, un seuil loin d’être suffisant ! Ce n’est que lorsqu’elle dépassera les 100$ (à partir de 2026) qu’on pourra espérer voir cette mesure peser sur les choix et comportements des consommateurs et, après un certain délai, avoir un effet de réduction des émissions de carbone. Les impacts de cette mesure seraient plus importants et rapides si les milliards de dollars des recettes attendues étaient recyclés dans des investissements massifs d’infrastructures vertes. Malheureusement, le modèle canadien refuse cette approche d’action collective, le gouvernement préférant plutôt reverser l’entièreté de ces sommes aux individus et aux entreprises.

Quelles que soient les modalités envisagées pour la tarification du carbone, en aucun cas cette taxe devrait être un moyen pour ce gouvernement de se soustraire au nécessaire : l’urgence d’un plan de sortie du secteur du pétrole et du gaz, qui représente le moyen le plus sûr d’atteindre la cible de neutralité carbone de 2050.

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