Marc Brullemans, Ph.D. Biophysique. Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et enjeux énergétiques au Québec
Jacques Benoit, D.E.S.S. Développement économique communautaire
DES UNIVERSITAIRES / (9e de 15) Plus de 24 000 avions commerciaux parcourent le monde, transportant des passagers sur 8400 milliards de kilomètres (1) . En 2018, ces avions ont réalisé plus de 38 millions de vols vers l’un des 3500 aéroports commerciaux. «À chaque battement de cœur, un avion décolle dans le monde, ce qui représente environ 72 vols par minute». (2)
Le paragraphe précédent met en relief l’utilisation grandissante de l’avion comme moyen de transport, au point où certains touristes en manque ont même volé pendant 7 heures pour le seul plaisir d’être en avion.
Dans notre précédent article, nous avons vu que, selon l’inventaire 2018 des gaz à effet de serre (GES) du Québec, le secteur du transport générait 36,1 mégatonnes d’équivalent CO2, mais, un autre inventaire, canadien celui-là, les chiffre plutôt à 39 mégatonnes. Peu importe l’inventaire, ce secteur représentait le plus grand émetteur de GES, comptant pour plus de 40% de nos émissions.
Mais ces inventaires ne tiennent pas compte du transport aérien et maritime international, toujours en augmentation. Pas plus qu’ils ne tiennent compte des effets complexes des aérosols et autres particules des traînées de condensation des avions.
Depuis plusieurs décennies, les scientifiques tentent de comparer le forçage radiatif causé par l’émission d’une tonne de CO2 en altitude par rapport à celle émise au sol avec la même quantité de carburant. Ce facteur radiatif ou «d’altitude», rarement considéré, est de l’ordre de 2 à 3, multipliant ainsi par 2 ou 3 les émissions «standards» d’un voyage en avion.
QUELS SONT LES FAITS?
Le nombre de touristes québécois prenant l’avion est passé de 2,8 à 4,3 millions entre 2010 et 2019, soit une augmentation de 42% en 10 ans.
Avec une estimation moyenne et crédible de 170 kg d’équivalent CO2 émis par heure de vol, nous constatons qu’il suffit à un passager en classe économique de voler pendant 10 heures en avion pour générer autant de GES qu’un habitant de l’Inde peut en générer pendant toute une année.
Les inventaires canadiens du secteur aérien varient beaucoup: ainsi, l’un chiffre les émissions des vols en partance du Québec à 0,5 mégatonne, un autre à 5,2 mégatonnes, mais aucun ne considère le facteur radiatif.
En comparaison, les émissions du secteur ferroviaire au Québec, selon l’inventaire de 2018, sont de 0,70 mégatonne de GES, incluant le transport de marchandises et considérant l’utilisation du diesel.
Le transport collectif par voie terrestre au Québec émet peu de GES, soit 0,5 mégatonne d’équivalent CO2.
Toujours selon les inventaires, les émissions québécoises du transport maritime étaient de 1,2 mégatonne d’équivalent CO2 en 2018, excluant le volet international (fret et croisières).
Une croisière d’une durée moyenne de 14 jours génère environ 4 tonnes d’équivalents CO2 par passager.
En 2018, le nombre de passagers canadiens était de 971 000 ; au prorata de la population du Québec, l’empreinte totale annuelle des croisiéristes québécois serait d’environ 0,9 mégatonne d’équivalent CO2.
Sur la base de son PIB, la consommation québécoise générerait environ 5 mégatonnes de GES, via le transport international des marchandises.
La dépense énergétique par tonne de marchandises et par kilomètre parcouru est plus de 10 fois inférieure par train que par camion. Le gain peut atteindre 100 fois pour le transport par navire-porte-conteneurs. Pour le transport de personnes, un train électrique consomme environ 50 fois moins d’énergie par personne que l’auto solo.
C’est pourquoi:
• En termes énergétiques, pour le transport de marchandises, plutôt que le camion, il faut favoriser le transport sur rail et le transport par porte-conteneurs.
• Pour le transport de passagers, les réseaux ferroviaires devraient être modernisés, électrifiés (sans carbone) et à fréquence optimale afin de diminuer le recours à l’auto et à l’avion.
Nos gouvernements doivent avoir le courage, par exemple de
• Stopper les agrandissements d’infrastructures aéroportuaires et le développement de nouveaux aéroports.
• Imposer une tarification carbone spécifique au transport aérien et taxer lourdement les vols internationaux.
• Développer des services de transport collectif électrifié en mesure de desservir l’ensemble des municipalités.
• Faire apparaître dans les inventaires gouvernementaux les émissions des vols internationaux et celles liées au transport maritime international.
Nos municipalités devraient notamment
• Favoriser l’accessibilité à du transport en commun, public et électrifié, constant et efficace (et à la mobilité active: marche, vélo)
La population, quant à elle, peut, entre autres
• S’allier aux municipalités pour exiger les investissements urgents des gouvernements supérieurs dans le transport collectif et électrifié de sa région.
• Réduire les déplacements fréquents et non nécessaires, en particulier ceux en avion.
Les «solutions»
Plusieurs s’entendent sur la nécessité de décarboner le transport, mais comment le faire? Via l’intensité carbone ou via la réduction à la source?…
On évoque parfois comme solutions d’accroître le pourcentage de biocarburant dans notre essence ou de faire voler des avions à la moutarde québécoise. Elon Musk préfère voir l’espèce humaine comme «multiplanétaire» et capable de s’affranchir des limites terrestres. Leur optimisme débordant les empêche de voir les conséquences. Par exemple, réduire de 40% notre consommation de produits pétroliers, comme le prévoit le Plan Vert, pour les combler par du biocarburant «made in Quebec» nécessiterait plus de 3 fois la superficie de nos sols en culture. De quoi nous faire monter la moutarde au nez!
Les solutions technologiques ne sont pas salvatrices, pas plus que les solutions «locales» ne peuvent contrebalancer les forces économiques trop souvent destructrices de l’environnement. Les infrastructures «structurantes» verrouillent notre avenir, comme ce nouveau projet de tunnel à Québec le fait «pour les 100 prochaines années».
Le tourisme de selfies les promenades sur les contreforts de l’Everest, les records de vitesse ou de distance, la recherche effrénée de plaisirs axés sur les déplacements: tout cela est en train de tuer notre avenir.
Puisque le transport et notre consommation de biens matériels sont étroitement associés, nous devons aussi réduire notre consommation. L’urgence du réchauffement climatique appelle à ne penser qu’au nécessaire, à l’essentiel.
(Tiré de la Fiche C-DUC 7 du Plan de la DUC)
Marc Brullemans et Jacques Benoit sont membres du regroupement Des Universitaires
Questions ou commentaires?
Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître le Plan de la DUC, élaboré par l’équipe de GroupMobilisation (GMob) dans le cadre de la «Déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique», qui a été reconnue par 525 municipalités représentant 80% de la population québécoise.
NOTES:
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal