Par Moon of Alabama – Le 20 mai 2021
Glenn Greenwald écrit que le président Trump s’est montré plus hostile envers la Russie que le président Biden, alors même que les médias affirmaient que Trump était « un agent russe ». C’est probablement exact, mais dans son article, Greenwald lui-même montre qu’il est tombé dans le non-sens de la propagande anti-russe.
Cela se voit dès le titre :
Que Trump soit contrôlé par Poutine pour atteindre ses objectifs est le contraire de la réalité. D’abord Obama, et maintenant Biden, ont été beaucoup plus accommodant envers Moscou.
Greenwald semble présumer que c’est le droit ou le travail d’un président américain d’« autoriser » l’installation de gazoducs entre deux pays étrangers ? C’est bien sûr complètement faux. Les États-Unis n’ont pas le droit, le devoir ou quoi que ce soit d’interférer dans les affaires courantes entre partenaires étrangers. Une telle ingérence est en fait illégale au regard du droit international. Biden, ainsi que Trump, devraient être critiqués pour avoir ne serait-ce que pensé à pouvoir « l’autoriser ».
Venons-en au point principal de Greenwald :
Lorsqu'il s'agit des intérêts russes vitaux réels - par opposition aux gestes symboliques mis en avant par les tweets du cirque libéral et les pages d'opinion - Trump et son administration ont affronté et sapé le Kremlin d'une manière que le prédécesseur de Trump, Barack Obama, avait, à son crédit, résolument refusé de faire. En effet, le trait de politique étrangère attribué sans relâche à Trump pour soutenir la théorie du complot alimentant la guerre froide médiatique - à savoir une aversion pour la confrontation avec Poutine - était, en réalité, une croyance primordiale et explicite de la politique étrangère du président Obama, et non de celle du président Trump.
Obama a mené une guerre secrète massive pour renverser le gouvernement syrien, un vieil allié russe. Il a organisé un coup d’État fasciste en Ukraine et a envoyé l’universitaire russophobe Michael McFaul comme ambassadeur en Russie. McFaul a immédiatement commencé à préparer une révolution de couleur contre le président Poutine. C’est l’administration Obama qui a lancé la campagne « Russiagate » contre Trump, qui a encore plus infesté la politique américaine de sentiments russophobes.
Du point de vue russe, Obama n’a certainement montré aucune » aversion à affronter Poutine « .
Si Trump a déchiré les traités signés avec la Russie concernant les armes et a donné quelques armes inutiles à l’Ukraine, en s’assurant qu’elles n’atteindraient pas les lignes de front, il n’a par contre pris, et heureusement, que peu d’autres mesures dommageables.
Passons maintenant au gazoduc Nord Stream 2 dont parle Greenwald :
Trump a trouvé une chose encore plus menaçante pour les intérêts vitaux du Kremlin que d'armer les Ukrainiens : faire tout son possible pour détruire la capacité de la Russie à achever la construction de son nouveau gazoduc sous-marin, le Nord Stream 2. Ce nouveau gazoduc est conçu pour doubler la capacité de vente de la Russie à une Union européenne accrochée au gaz naturel russe bon marché, ce qui engendrera des revenus considérables pour l'économie russe et donnera à Moscou plus de poids dans ses relations avec ses voisins européens. Mais il offre un avantage encore plus important : il permet à la Russie de contourner l'Ukraine et d'autres pays d'Europe de l'Est, évitant ainsi de coûteux frais de transit et les risques d'instabilité politique ou de manipulations anti-russes menées par des forces extérieures, dont le gouvernement américain. Pour toutes ces raisons, peu de priorités étaient plus importantes pour Poutine et l'économie russe que ce nouveau gazoduc. Pourtant, pendant au moins les deux dernières années de sa présidence, Trump - alors même qu'il était dépeint de manière criarde comme un agent du Kremlin – a tout fait pour faire arrêter ce gazoduc russe et essayer de saboter ce projet géopolitique clé de Poutine.
C’est une vision complètement erronée des enjeux autour du gazoduc Nord Stream 2. Ce n’est pas la Russie qui a besoin de ce gazoduc. Elle peut vendre son gaz à la Chine pour un prix équivalent à celui qu’elle gagne en le vendant à l’Europe.
Le nouveau gazoduc ne va pas « doubler la capacité de vente russe » à l’Europe. En mars, la Russie a vendu un volume record de 53 milliards de mètres cubes de gaz à l’Europe. La capacité de Nord Stream 2 est de 55 milliards de mètres cubes par an (!) (1,9 trillion cu ft/a). En théorie, le nouveau gazoduc augmentera la capacité totale de vente de la Russie à l’Europe d’environ 15 %, et non de 100 %. Mais en réalité, le nouveau gazoduc remplacera probablement les gazoducs actuels qui traversent l’Ukraine.
C’est l’Allemagne, la puissance économique de l’UE, qui a besoin de ce gazoduc et du gaz qui y circule. En raison de la politique énergétique malavisée de la chancelière Merkel – elle a mis fin à l’énergie nucléaire en Allemagne après qu’un tsunami au Japon a détruit trois réacteurs mal placés – l’Allemagne a un besoin urgent de gaz pour éviter que les prix déjà élevés de son électricité n’augmentent encore.
Le fait que le nouveau gazoduc contourne celui passant par l’Ukraine profite plutôt à l’Allemagne qu’à la Russie. L’infrastructure des gazoducs en Ukraine est ancienne et en voie de délabrement. L’Ukraine n’a pas d’argent pour la renouveler. Politiquement, elle est sous l’influence des États-Unis. Elle peut utiliser son contrôle sur le flux d’énergie vers l’UE pour faire du chantage. (Elle a déjà essayé.) Le nouveau gazoduc posé au fond de la mer Baltique ne nécessite aucun paiement pour traverser les terres ukrainiennes et est à l’abri de toute influence malveillante potentielle.
Encore Greenwald:
Qu'un actif russe contrôlé par Poutine envoie des armes létales à l'Ukraine et fasse tout son possible pour saboter le Nord Stream 2 était une absurdité si flagrante qu'elle ne pouvait être propagée que par un média agressivement engagé dans la diffusion de désinformation et de mensonges. Tout cela est devenu encore plus clair mardi lorsque le président Biden est revenu sur le blocage par Trump du gazoduc russe. Jonathan Swan, d'Axios, a rapporté que "l'administration Biden va lever les sanctions contre la société et le PDG qui supervisent la construction du gazoduc russe Nord Stream 2 vers l'Allemagne", ce qui "indique que l'administration Biden n'est pas prête à compromettre ses relations avec l'Allemagne au sujet de ce gazoduc." Swan décrit ce qui est visiblement le cas : "l'achèvement de Nord Stream 2 sera une énorme victoire géopolitique pour Poutine et lui donnera un nouveau levier substantiel en Europe." Cette "énorme victoire géopolitique pour Poutine" est exactement ce que la soit disant marionnette du Kremlin à la Maison Blanche a passé des années à empêcher et que Biden est en train de permettre.
Ici, Greenwald se trompe sur le point de vue d’Axios qui n’est encore une fois qu’une évidente propagande anti-russe. Nord Stream 1 et 2 ne sont pas « les gazoducs de la Russie ». Le gazoduc Nord Stream 1 appartient à cinq sociétés :
Nord Stream est un projet commun auquel participent cinq grandes entreprises : Gazprom international projects LLC (filiale de PJSC Gazprom), Wintershall Dea GmbH, PEG Infrastruktur AG (filiale de PEGI/E.ON), N.V. Nederlandse Gasunie et ENGIE.
Les sociétés du projet Nord Stream sont des consortiums internationaux de fournisseurs et d’acheteurs/distributeurs de gaz naturel. Si Gazprom est une société russe, Wintershall est allemande, PEG est allemande et britannique, Gasunie est néerlandaise et Engie est française. Le PDG de Nord Stream 1 est un citoyen russe.
Pour se protéger des sanctions, la société du gazoduc Nord Stream 2 a été structurée différemment. Alors que la société russe Gasprom est présentée comme l’unique actionnaire, les sociétés française ENGIE, autrichienne OMV, néerlandaise et britannique Shell et les sociétés allemandes UNIPER et Wintershall DEA sont présentées comme des « investisseurs financiers ». Le PDG du Nord Stream 2 est Matthias Warnig, un citoyen allemand.
Qualifier de « russe » l’un ou l’autre des gazoducs Nord Stream revient à qualifier la Station spatiale internationale d’européenne.
Greenwald poursuit :
Alors que l'administration Biden a l'intention de maintenir certaines des sanctions imposées par Trump, les dérogations qu'elle a l'intention d'accorder permettront quand même l'achèvement du Nord Stream 2, un gigantesque cadeau fait à Poutine.
Non, la dérogation n’est pas un gigantesque cadeau fait à Poutine. C’est l’Allemagne qui a besoin de ce gazoduc, pas la Russie. Le gazoduc sera de toutes les façons terminé, avec ou sans sanctions. Mais imposer davantage de sanctions aurait eu de graves conséquences pour la position des États-Unis en Allemagne. Le peuple allemand se méfie déjà de l’influence américaine. Augmenter leurs factures de chauffage et d’électricité en menant des sanctions illégales contre un accord énergétique allemand avec la Russie l’aurait discrédité encore plus. Trump ne s’est pas soucié de cela, Biden oui.
Andrei Martyanow le comprend :
Ce n'est pas un geste de charité de la part de Biden. Pas du tout, et cela ne va pas non plus dans le sens de la réduction des tensions entre les États-Unis et la Russie dont les gens entourant Biden aiment tant parler ces derniers temps. Une grande partie de cette décision est motivée par l’acquisition soudaine par l'Allemagne d'une certaine volonté, au moins rudimentaire, de résistance et par la nécessité de s'assurer que les États-Unis reçoivent le message qu'ils risquent gros s'ils parviennent à saboter le Nord Stream 2, ce qui, comme vous l'avez peut-être déjà deviné, ferait une nouvelle fois le jeu de la Russie en raison des répercussions politiques majeures en Allemagne, même si le Bundestag devient beaucoup plus "vert", car l'enjeu pour l'Allemagne est de rester parmi les grandes nations mondiales et la première économie de l'UE.
C’est l’Allemagne, et non la Russie, qui a besoin de ce gazoduc. L’économie et la sécurité énergétique de l’Allemagne en dépendent. C’est pourquoi le gazoduc aurait été terminé même sous sanctions américaines. Biden a arrêté d’imposer davantage de sanctions, non pas pour rendre service à la Russie, mais parce que les États-Unis veulent conserver le soutien politique de l’Allemagne.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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