QUAND NOUS REGARDONS AUTOUR DE NOUS, RIEN NE POURRAIT NOUS PORTER À AIMER CE MONDE QUE NOUS TRAVERSONS COMME DES FANTÔMES. RIEN NE NOUS ATTACHE À NOTRE ÉPOQUE ET NOUS POURRIONS TOMBER DANS LA PLUS COMPLÈTE DÉ-PRESSION OU LA PIRE MISANTHROPIE, SI NOUS N’AVIONS EN NOUS LA CERTITUDE QUE NOTRE DE-VOIR NOUS OBLIGE À PRENDRE NOTRE PLACE DANS LA MARCHE DES ÉVÉNEMENTS ALORS COMMENT AGIR SANS SE CORROMPRE DANS CE MONDE ? LE BHAGAVAD-GITA EST PORTEUR DE RÉPONSES POUR L’ÂME EN RECHERCHE DE SON DESTIN.
SI ON DEVAIT RÉSUMER L’ENSEIGNEMENT DU GITA, IL SUFFIT DIRE QU’IL NE FAUT PAS SE LAISSER DÉSARMER PAR UN MONDE DÉSORIENTÉ, MAIS CRÉER EN SOI UNE FERMETÉ SEREINE SUR LAQUELLE S’APPUYER AVEC CONFIDENCE.
Une chanson de geste indienne
Le Bhagavad-Gita (le « Chant du Bienheureux ») à une place à part dans l’épopée du Mahâbhârata. Cette vaste fresque, qui évoque une guerre fratricide au sein de la tribu des Bâratas entre les Pândava et les Kaurava, est le sommet de la civilisation indienne et contient toute les aspirations spirituelles de l’hindouisme.
Ce récit-fleuve parle de l’avènement du Kali Yuga, l’âge sombre que nous vivons encore aujourd’hui. La terrible guerre qui oppose les deux clans plonge l’univers dans le chaos et menace de le détruire. Les passions ne connais-sent plus de limites, les rites et les castes sont remises en cause. Le devoir même n’est plus compris par ceux dont c’est la vocation.
Mais « celui qui règne sur le monde », le dieu Vishnu veille et se manifeste pour empêcher la destruction de la terre sacrée de l’hindouisme (les hautes vallées de l’Indus et du Gange) et garantir que l’authentique tradition soit trans-mise et maintenue dans l’âge sombre. « J’apparais en ce bas monde, grâce à ma propre puissance, chaque fois que le Dharma est en crise et que le désordre risque de préva-loir » déclare-t-il dans le Gita. Il s’incarne dans son avatar de forme humaine, le prince Krishna, qui va devenir le guide des frères des Pândava dans leur combat pour rétablir la justice et l’harmonie dans leur royaume.
Maître et élève
Parmi les héros de cette fratrie héroïque, Arjuna incarne les plus hautes valeurs guerrières. Archer d’élite, il n’hésite pas à affronter tous les défis pour protéger ses frères. Krishna lui donne pour cela son entière amitié et devient le conducteur de son char de combat pour l’ultime bataille de l’épopée. Les armées se pressent pour ce combat dantesque, Arjuna voit dans le camp adverse s’avancer d’anciens amis et membres honorables de sa famille qui remplissent leur devoir dans l’autre camp. Sa volonté vacille devant le drame qui s’avance. Il est prêt à renoncer mais Krishna va le guider et l’élever spirituellement.
Arjuna se remet entièrement à lui et s’adresse à lui comme un élève qui va vers un authentique maïtre pour apprendre comment se comporter. Krishna-Vishnu lui enseigne affectueusement la voie de la délivrance. C’est d’abord une éthique de l’action qui fait du devoir une nécessité. Le bon ordre des choses, explique Krishna, n’existe que parce que chacune des parties de l’univers a été conçue pour assurer une certaine fonction. L’humain participe à cela et doit suivre la loi du Sanâtana Dharma (cet ordre éternel qui assure l’harmonie et qui fait que chaque élément de la création a sa place dans l’univers ) pour être un acteur de l’accomplissement et du maintien de l’ordre du monde. C’est pour cela que Krishna invite Arjuna à ne pas faiblir face à ses doutes. Appartenant à la caste des guerriers, son devoir est de se battre. La mort, qu’il la provoque ou qu’il la risque, ne doit pas le troubler car la mort n’est pas une fin pour les âmes éternelles.
Une vérité, de multiples voies pour y parvenir
Comme toute la pensée traditionnelle indienne, le dialogue du Bhagavad-Gîtâ Gita donne plusieurs voies vers la vérité. Krishna donne plusieurs voies possibles en fonction des vocations de chaque homme.
Dans le Karma Yoga, l’action est une forme d’ascèse. « Exercé à l’ascèse, accomplis tes actes avec détache-ment » enseigne Krishna. Faire son devoir sans rechercher un bénéfice, c’est se libérer en accomplissant sa vocation. « Tu as le droit à l’action, mais seulement à l’action et jamais à ses fruits ; que les fruits de ton action ne soient point ton mobile ».
L’autre voie est celle du Jnana Yoga c’est à dire la recherche de la connaissance spirituelle par l’ascétisme, le détachement du monde et la méditation. « Rien ici-bas ne purifie autant que la connaissance. Celui qui atteint de lui-même la perfection de l’ascèse finit par trouver en lui-même la connaissance. » poursuit l’avatar de Vishnu. Car si le plaisir n’est pas condamnable en soi dans la vision indienne, il doit être dépassé par les hommes qu’enflamment de plus nobles ambitions. Krishna explique à Arjuna le danger des sens non maîtrisés, comment ils troublent la pensée de l’homme enclin aux préoccupations matérielles. C’est en disciplinant son esprit et en maîtrisant ses pulsions par la pratique de la médiation yogique que l’homme peu tendre à la libération de son âme.
Mais ces deux ascèses doivent être faites dans une entière dévotion à la divinité. C’est elle qui donne la grâce et aide sur la voie de la délivrance, elle veille sur la création et assure la victoire de l’ordre sur le chaos.
Quand Arjuna comprend la nature divine de son ami Krishna, il lui demande de la contempler dans sa pleine grandeur. Lui apparaissant alors sous la forme ultime du dieu Vishnu, le guerrier à la révélation de la place qui est sienne dans l’ordre divin et la voie qu’il doit suivre pour rejoindre l’unité primordiale dans la divinité. Cette révélation est le centre du Gita, elle est l’invitation à suivre avec rigueur une discipline qui permette d’atteindre sa pleine réalisation.
Louis Alexandre
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