FOCUS – Les autorités de santé américaines justifient cette mesure à partir d’un chiffre : 10% des contaminations auraient lieu en plein air. Une proportion qui est très exagérée par rapport à la réalité.
Par Paul Sugy Publié hier à 13:13, Mis à jour hier à 17:10
Invité de BFMTV lundi 17 mai, le ministre de la Santé Olivier Véran a promis que le port du masque en extérieur ne serait «bientôt» plus obligatoire en France – tout en se gardant bien de préciser la date qu’il envisage pour lever cette interdiction, qui concerne la plupart des villes françaises mais aussi de très nombreux lieux de promenade, comme Le Figaro le montre, par exemple, sur cette infographie recensant toutes les plages où il est obligatoire de garder son masque.
Dans le détail, le ministre a tout de même distingué le cas des plages de celui des centres-villes : «Quand vous êtes dehors, avec plein de boutiques, vous allez faire la queue dehors, vous allez manger, vous allez croiser des gens, etc. Là, tant qu’on n’a pas un niveau de couverture vaccinale adéquate, il paraît plus prudent de maintenir l’obligation de port du masque», a-t-il détaillé, ajoutant qu’en revanche «si vous êtes seul ou quelques-uns dans un très grand espace, très aéré comme une plage, une montagne, une forêt, un parc, une rue déserte, là on doit pouvoir être rapidement amené à revenir sur l’obligation du port du masque dans cette situation».
«Rapidement», donc, mais pas tout de suite. Pourquoi cela ? À vrai dire, il reste quelques voix scientifiques qui soutiennent timidement l’obligation de porter le masque en extérieur, mais elles sont de moins en moins nombreuses et n’invoquent pas toujours les arguments que l’on croit. Une étude de scientifiques chinois a, par exemple, établi qu’en portant un masque en permanence (donc également en extérieur), nous avons moins tendance que d’habitude à toucher notre visage avec nos mains – ce qui peut être une source de contaminations lorsque celles-ci ont été infectées par notre environnement et que nous les portons au nez ou à la bouche. Du reste, en France, beaucoup d’infectiologues ont préconisé le port du masque en extérieur comme un moyen de s’habituer au masque et donc d’y penser systématiquement lorsque l’on se trouve en intérieur ou dans une promiscuité étroite avec d’autres personnes. Auprès de nos confrères de Libération , le virologue Bruno Lina estime ainsi que cette mesure permet d’«adopter» un «réflexe» et incitera les gens à garder davantage leur masque en milieu clos.
Très peu de contaminations en plein air
D’autres médecins, en revanche, n’ont de cesse de répéter depuis le début de la pandémie que le masque en extérieur est un gadget inutile, imposé par un principe de précaution poussé à l’extrême. Dans nos colonnes, le Dr Guillaume Barucq s’est – entre autres – fait leur porte-voix, écrivant dans une tribune que «le port du masque en extérieur est devenu une mesure plus politique que sanitaire, une mesure voyante qui donne une fausse impression de sécurité» et précisant en outre que l’inhalation du grand air, l’air marin en particulier, est, au contraire, plus que recommandée.
L’argument principal étayant l’inutilité du port du masque en extérieur reste surtout le très faible nombre de contaminations recensées en extérieur. Comme nous l’expliquions notamment en mars (au moment où les promenades de Parisiens le long des berges de Seine suscitaient la polémique), aucun cluster en plein air n’a été explicitement relevé par Santé Publique France depuis octobre 2020 . Une étude du Pr Arnaud Fontanet révélait par ailleurs en décembre dernier que ces contaminations représentaient certainement bien moins de 2% de l’ensemble des contaminations. Surtout, ce chiffre en réalité ne signifie pas grand-chose, puisque les situations en extérieur sont très variées et que seule une promiscuité prolongée avec d’autres personnes (dans une foule, une file d’attente…) ou le partage d’un repas, par exemple, comportent des risques avérés de contamination.
Pourtant, comme l’explique notamment le New York Times , les CDC américains (Centers for Disease Control, l’équivalent de nos Agences Régionales de Santé) continuent d’imposer le port du masque en extérieur aux personnes pas encore vaccinées, sur la base d’un chiffre fallacieux. On dénombrerait «un peu moins de 10% de transmissions du virus en extérieur», selon le Dr Rochelle Walensky, directrice des CDC, dans une communication officielle du 27 avril dernier relayée sur le site de la Maison-Blanche.
Or, ce chiffre ne tient pas la route. Le journaliste américain David Leonhardt a en effet cherché les études à l’origine de ce calcul, dont le résultat est contredit par tous les épidémiologistes qu’il a interrogés. La réalité serait cent fois inférieure : autour de 0,1 % seulement de contaminations en extérieur, d’après lui.
D’où vient alors cette erreur grossière ? Deux études en particulier semblent compter un nombre étonnamment important de contaminations en plein air : l’une du Medical Research Council parue en juin, l’autre de l’Université de San Francisco parue en février. Point commun entre ces deux études : tous les clusters de plein air recensés se trouvaient… à Singapour. L’air de ce pays y serait-il donc plus fétide qu’ailleurs ? Sans doute pas : tout simplement, la nomenclature utilisée pour y comptabiliser les clusters considère tous les chantiers comme des lieux d’extérieur. Les cas répertoriés sont donc automatiquement comptés comme des contaminations en extérieur… Ce qui n’est très probablement pas le cas pour la majeure partie d’entre elles. La plupart des contaminations ont lieu hors de chez soi, mais l’on ne peut pas en déduire qu’elles ont lieu en plein air.
Citant d’autres études cette fois, le journaliste ajoute que beaucoup d’universitaires ont une vision très extensive des «lieux d’extérieur», et y incluent parfois jusqu’aux lieux de travail, de loisirs, de commerce, etc. Bref, tous les lieux situés à l’extérieur… du domicile, mais pas nécessairement en plein air. Le biais est donc celui-ci : on a certes raison de considérer que la plupart des contaminations ont lieu hors de chez soi, mais l’on ne peut pas en déduire qu’elles ont lieu en plein air, ou du moins cet indicateur ne suffit pas à justifier d’imposer spécifiquement le port du masque en plein air.
Le port du masque en extérieur n’a pas d’incidence sur l’épidémie
Lui aussi figure de proue des adversaires du masque en plein air, le Dr Martin Blachier estime de son côté que ce ne sont du reste pas les études épidémiologiques qui sont les plus pertinentes sur l’utilité du port du masque en extérieur, car elles sont encore trop imprécises. Certes, lorsque l’on examine en détail les lieux de contamination, on trouve un très faible nombre de contaminations en extérieur. Mais c’est la connaissance physique des modes de transmission du virus qui le révèle le mieux, détaille-t-il : «L’examen de la transmission par aérosols (ces petites particules invisibles en suspension dans l’air) montre bien que dès lors que l’on est un peu éloigné et en extérieur, le risque de contamination devient minime» explique-t-il au Figaro. Et d’ajouter : «L’imposition du port du masque en extérieur est un contresens au plan sanitaire, non seulement car il est inutile mais surtout car il peut risquer de nous dissuader de sortir alors qu’au contraire c’est la meilleure chose à faire : aller au grand air et respirer !»
Preuve enfin, s’il en fallait une dernière, que l’obligation du port du masque en extérieur n’a pas d’incidence épidémiologique réelle : les analystes Serge Blondel et Samra Bouazza ont comparé en décembre dernier dans Le Figaro l’évolution de l’épidémie dans différents territoires, certains concernés par l’obligation du port du masque en plein air, d’autres non : non seulement les territoires ne connaissent pas de différences majeures dans la propagation du virus mais, en outre, ce sont plutôt ceux où le masque n’était pas obligatoire qui ont connu une progression épidémique plus rapide.
En conséquence de cette remise en cause de plus en plus généralisée de l’intérêt de porter le masque en extérieur, les autorités locales commencent déjà à lever l’obligation çà et là en France, comme dans la Creuse à partir de jeudi par exemple, ainsi que vient de l’annoncer ce mardi la préfète Virginie Darpheuille sur France Bleu.
Source : Le Figaro
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