Avec tous ces débats autour des masques sanitaires et des voiles religieux ces dernières années, on pourrait réécrire le célèbre mot du Tartuffe de Molière : « Couvrez ce sein visage que je ne saurais voir: / Par de pareils objets les âmes sont blessées, / Et cela fait venir de coupables pensées. »
Le masque et le voile. À contrecourant de la reconnaissance faciale qui s’implante et s’impose partout, les feux qu’attisent ces tissus faciaux mettent à nu nos hantises et envies de transparence. Révéler sa figure, ou seulement son profil, c’est choisir jusqu’où on accepte de se laisser voir et savoir. C’est trouver la juste mesure entre le pudibond et l’exhibition.
Impudiques en public, nous sommes devenus prudes en privé. L’homme moderne (non moins que la femme) qui se dénude extérieurement par désir de liberté se rhabille intérieurement par peur d’être rejeté.
Or, voici que ce qui était jadis sous les draps est désormais sur la toile. La nudité n’est plus seulement partouze ; elle est partout. Finis les tabous. Et pourtant… sans vêtement, l’homme réalise que sa peau n’est qu’un déguisement plus subtil pour dissimuler son âme. Car, comme disait le saint curé d’Ars : « Si on se voyait sans masque, on en mourrait. »
Impudiques en public, nous sommes devenus prudes en privé. L’homme moderne (non moins que la femme) qui se dénude extérieurement par désir de liberté se rhabille intérieurement par peur d’être rejeté. « Et si l’autre découvrait qui je suis vraiment? Vite, montrons-lui ma chair pour éblouir et détourner son regard. » Grande mascarade qui atteste avec Shakespeare que « le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs ».
D’ordinaire, la nudité ne se trouve que dans deux pièces : la salle de bain et la chambre à coucher. La première pour faire propre et la seconde pour faire l’amour. Le Christ, lui, s’expose dans une troisième pièce : l’église. Là, crucifié, il s’offre nu sur un lit de bois. Au chœur ou au confessionnal, il nous attend, démasqué de toute mondanité. Là aussi pour mieux nous laver et nous embrasser. Comme quoi, au motel ou à l’autel, la nudité est encore affaire d’amour.
Cet article est tiré du numéro de mai 2021 du magazine Le Verbe. Cliquez ici pour consulter la version originale.
La nudité totale du corps, comme celle de l’âme, peine pourtant à révéler notre véritable identité. Parce que, toute sa vie, il demeure en chaque personne une part d’infini, au double sens d’inachevé et d’inépuisable. Ainsi, l’homme se dévoile non pas sans, mais sous le voile.
Les plus grands artistes l’ont compris : le sublime n’est ni dans le nu ni dans la tenue, mais dans les jeux de voilage. N’est-ce pas le secret de la lingerie, qui permet de montrer juste assez pour susciter la curiosité ? Car l’amour se nourrit aussi des non-dits. Si tout cacher empêche le désir de naitre, tout montrer risque au contraire de le tuer.
Sans secrets, plus de craintes ni d’attraits. Le mystère, voilà ce que laisse entrevoir le voile du tabernacle… tout comme celui de la mariée.
Enfin, nous pouvons espérer avec Victor Hugo qu’« à la mort, le masque tombera du visage de l’homme, et le voile du visage de Dieu ». Alors, le mystère sera entièrement dévoilé et l’amour libéré, dans la plus pure nudité originelle.
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