Europe, bêtise-turbo
• Constat d’évidence de la pensée dominante en Europe : un rapport du Parlement Européen recommandant in fine une opération de regime change à Moscou, pour être quitte de l’insupportable Poutine. • Rien d’exceptionnel dans cette analyse. • Les esprits européistes, tant bureaucratiques que démocratiques, raisonnent comme des tambours autour des thèmes sociétaux notamment, où la Russie est jugée cancre et insupportable. • L’Europe-UE & tout le toutim sont wokenistes plus que les wokenistes eux-mêmes, et encore bien avant eux. • Bouvard & Pécuchet en majesté à Bruxelles.
Le Parlement Européen (PE), qui ne perd pas son temps, propose aux instances européennes étalées dans les labyrinthes bureaucratiques bruxellois un projet de rapport sur les relations de l’UE avec la Russie. Ce rapport ne préconise rien de moins qu’une opération de regime change à Moscou ; cela passant, évidemment, par une union renouvelée avec les USA en pleine renaissance, « une alliance transatlantique pour défendre la démocratie dans le monde » et « dissuader la Russie » de lancer diverses agressions contre les pays d’Europe de l’Est.
L’hystérie baigne littéralement ce document, jusqu’à le noyer. On y trouve un esprit de type neocon comme les neocon initiaux eux-mêmes ont eu bien des difficultés à établir et à entretenir. Il est manifeste que le document est passé par les plumes expertes de pays tels que la Pologne et les trois pays baltes, sans nécessité d’impulsions particulières des USA. (Même si l’idée originale et jamais-vue d’une “alliance transatlantique” contre la Russie a d’abord été énoncée par le cerveau brillant de l’entourage du président Joe Biden.)
On trouve également dans ce précieux rapport quelques propositions plus concrètes pour une “guerre de l’information” contre la Russie de Poutine, avec l’idée d’une nouvelle chaîne TV chargée de diffuser la parole extrêmement sexy de l’UE à l’encontre de la Russie. Mieux encore et pour faire bref, le document propose, en termes à peine voilés, une opération de regime change contre la Russie (de Poutine, puisqu’on ne doute pas que le peuple russe ne fait qu’attendre avec impatience cette “libération”).
On reste stupéfait, si on en a le temps, par la banalisation de l’hystérie dans les relations internationales du point de vue occidental et du bloc-BAO incluant l’UE, – et encore, si l’on peut envisager de parler de “relations” entre l’UE et la Russie, comme entre les USA et la Russie. RT.com présente le 18 mai un texte sur cette excellente nouvelle, dont on donne ci-après quelques extraits…
« Dans le cadre de sa “vision” des relations futures avec Moscou, le document estime que l’UE devrait proposer un certain nombre d’incitations destinées à persuader les Russes qu’il serait bénéfique de se tourner vers l'Ouest, notamment la libéralisation des visas et les “investissements de libre-échange”.
» Il ajoute que l'Union européenne “devrait également faire part des avantages potentiels qu’elle est prête à offrir en échange d’une transformation démocratique de la Russie”, l’engageant ainsi dans une stratégie de “regime change”, sans s’attarder aux questions de la popularité de son gouvernement actuel ou des préférences des électeurs.
» Le document, sur lequel les députés européens ont eu l’occasion de faire des suggestions au début du mois, juge que “la situation en Russie se détériore terriblement en raison de la répression systémique des forces démocratiques par le président Poutine”, citant un grand nombre d’arrestations lors de manifestations non autorisées organisées en janvier.
» Il affirme encore de manière explosive qu’à l’approche des élections législatives qui se tiendront dans le courant de l'année, Poutine “mène une guerre contre le peuple russe” qui pourrait s'aggraver au fur et à mesure que les résultats seront connus
» (Selon un sondage publié ce jour, Poutine reçoit le soutien d'environ 56 % des électeurs, tandis que chacun des candidats potentiels de l'opposition obtient des résultats à un chiffre.)
» L'un des outils de l'arsenal de l'UE pour cibler “la propagande russe” et provoquer la transition qu'elle souhaite serait, selon le rapport, “la création d'une télévision russe libre diffusée 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7”. Compte tenu de la baisse d'audience des médias traditionnels, on ne voit pas très bien pourquoi une chaîne de télévision conventionnelle diffusant les points habituels de la narrative de l'UE changerait le paysage en Russie, étant donné que d'autres radiodiffuseurs publics, comme RFE/RL aux États-Unis et la BBC en Grande-Bretagne, proposent déjà des services similaires. En outre, la présence d'un grand nombre de sites d’information en langue russe et de chaînes YouTube qui adoptent une position critique à l’égard du gouvernement montre que l’accès à une couverture de l'opposition ne manque pas.
» Dans le même temps, la commission propose un certain nombre de mesures extrêmes que l'Union européenne devrait prendre. Elle insiste sur le fait que Bruxelles “doit être prête à ne pas reconnaître le parlement russe et à demander la suspension de la Russie des organisations internationales dotées d'assemblées parlementaires si les élections législatives de 2021 en Russie sont reconnues comme frauduleuses”. »
Il est difficile de suivre les affaires européennes qui sont en général d’une banalité extraordinaire. Cela fait qu’il arrive que l’on rate des pépites de décisions politiques. Est-ce le cas ici ? On peut le penser tout de même et s’y arrêter un instant. (RT.com a noté également que les journaux russes ont été « atterrés » à la lecture de ce rapport.)
Bien entendu, il va de soi que ce rapport est très fortement et chaleureusement informé par Washington. Comme on l’a vu, ce qu’il propose vient aussi bien d’une annonce de Biden, d’il y a quelques semaines, ce qui fait un peu réplique d’ opéra-bouffe : “Comme ça se trouve, nous nous proposons l’un à l’autre exactement la même chose, et de tout à fait inédit, – pensez, une alliance transatlantique pour défendre les démocraties !”.
L’absence totale de dissimulation à cet égard mesure le degré extraordinaire de dégénérescence des relations entre Européens et influenceurs américanistes. A cet égard de la soumission européenne, l’arrivée des pays de l’Est déjà mentionnés a constitué un élément décisif, comme si ces pays avaient gardé ce réflexe de soumission de leur période sous domination soviétique.
…Et puisque nous passons par là, on répétera la remarque habituelle, qui concerne les Polonais : absolument antirusse mais aussi absolument antimoderne (l’aspect culturel et sociétal selon la sensibilité de la tradition), alors que le seul pays qui partage cette orientation est justement la Russie. C’est un cas éclatant de schizophrénie dans les affaires internationales, comme on en trouve énormément aujourd’hui dans les relations entre pays à cause de la confusion des engagements selon le domaine considéré. (La Pologne se juge alliée des USA au niveau stratégique, elle en est pour le moins l’adversaire dans les domaines sociétaux qui jouent aujourd’hui un rôle considérable.)
Quoi qu’il en soit, cette fureur antirusse de l’Europe, – de sa bureaucratie-UE et de la plupart des pays-membres, – constitue une tendance par elle-même, propre au jugement et à l’état d’esprit européiste. Nous voulons dire par là que l’UE n’a pas vraiment besoin des pressions amicales de la partie américaniste pour orienter cette politique. Il semble même que, par certains aspects suggérés par les pays les plus radicalement antirusses (la Pologne again, et les autres), l’UE soit poussée à en faire plus dans l’antirussisme que les USA.
Les causes politiques de la position européenne sont complexes et variées, et aucune ne nous semble pertinente. En fait, la politique russe de l’UE, et de certains de ses pays-membres comme la France et l’Allemagne, est tout simplement incompréhensible sinon par des constats de type affectiviste. Même l’argument de l’alignement sur les USA n’est pas suffisant pour la compréhension politique de la chose ; par exemple, par comparaison avec les différentes situations de la Guerre Froide, où l’on comprenait beaucoup mieux le rapport de force entre les deux alliés transatlantiques, notamment au nouveau stratégique, où l’URSS représentait réellement la possibilité d’une menace sérieuse, où l’“exception française” subsistait, notamment en jouant sur certaines ambiguïtés que lui permettait sa force nucléaire autonome, etc. Aujourd’hui, tout cela a disparu peu ou prou.
Personne n’est capable de donner une explication à une orientation qui est en soi inexplicable selon une logique politique de stratégie générale. On constate plutôt qu’il y a une combinaison de dynamiques diverses qui ne ressortent guère du domaine de la stratégie politique, voire du simple calcul économique où l’Europe est souvent perdante dans ses rapports avec la Russie :
• dynamique de la lourdeur bureaucratique, en général hostile à la puissance russe perçue comme concurrente de la propre puissance européiste complètement fantasmée, et également méprisée comme résidu dégénéré du système soviétique (l’UE se ressent-elle inconsciemment comme si elle se regardait dans un miroir lorsqu’elle regarde la Russie ?) ;
• dynamique de la lourdeur psychologique d’une arrogance européenne absolument colossale (l’arrogance de la “démocratie”, l’arrogance du “progressisme”, en général tout ce qui constitue l’arrogance suprémaciste du néolibéralisme occidental et de la postmodernité qui va avec) ;
• dynamique de la lourdeur de l’hostilité sociétale, dans un domaine qui domine aujourd’hui absolument la “pensée” et la sensibilité affectiviste (à nouveau) occidentalo-bruxelloises ; l’affaire des “Pussy Riot” représente un cas de rupture antirussiste de l’ensemble postmoderniste européen certainement plus décisif que la crise géorgienne ou la crise ukrainienne. (Cette dynamique où le sociétal tient le rôle central met d’autant plus en évidence la schizophrénie polonaise.)
Le résultat est donc une posture d’une bêtise abyssale, renvoyant au caractère principal de wokenisme comme on l’a souvent vu. Ainsi peut-on dire que la posture-UE vis-à-vis de la Russie est complètement dans la logique du wokenisme, qu’elle fait même partie du wokenisme. Il n’y a donc plus rien à espérer, et rien pour s’étonner d’une posture qui recommande sans barguigner une opération de regime change contre Poutine, au moins pour son pêché capital d’avoir mis en cause les “Pussy Riot”.
On ne semble guère pouvoir réaliser qu’une “chute” de Poutine conduirait à une situation pouvant être résumée par le dilemme suivant (en laissant la plaisanterie démocratique de côté) :
• un chaos en Russie, avec tous les risques que cela suppose d’une déstabilisation gigantesque touchant nécessairement l’Europe entière, avec un risque de conflit incontrôlé ;
• plus probablement, l’installation d’un pouvoir “dur” en Russie, probablement les généraux avec leurs S-400 et leurs missiles hypersoniques, un pouvoir infiniment moins patient que Poutine avec la probabilité d’une mobilisation populaire en profondeur.
Bien entendu, nul, dans les couloirs des gratte-ciels étalés de l’UE, n’est en capacité de livrer de telles analyses qui sont plutôt des constats d’évidence, de prendre en compte les réalités de la puissance et de la dignité russes. Bien entendu (suite), on trouve la même situation “intellectuelle” à Washington, à Londres, à Paris et à Berlin (et à Varsovie, bien entendu).
Mis en ligne le 19 mai 2021 à 16H40
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org