Depuis le mois de novembre 2018, la couleur jaune qui s’est invitée dans notre pays, autour des ronds-points, dans les villes, dans les médias, sera-t-elle la couleur des champions de la République, d’une nouvelle République plus attentive à l’état de ses citoyens?
Les paysans de Culmont écrivaient en 1789 « Sire, nous sommes accablés d’impôts de toute sortes, nous vous avons donné jusqu’à présent une partie de notre pain et il va bientôt nous manquer si cela continue, si vous voyiez les pauvres chaumières que nous habitons, la pauvre nourriture que nous prenons, vous en seriez touché, cela vous dirait plus que nos paroles que nous n’en pouvons plus, et qu’il faut diminuer nos impôts, ce qui nous fait bien de la peine, c’est que ceux qui ont le plus de bien paient le moins, nous payons la taille et le clergé et la noblesse rien de tout cela, pourquoi donc est-ce que ce sont les riches paient le moins et les pauvres qui payent le plus, est ce que chacun ne doit pas payer selon son pouvoir, sire nous vous demandons que cela soit ainsi parce que cela est juste ». lien
Ce texte fait partie du cahier de doléances, dans la logique de la théâtralisation des états généraux…dans lequel le pire côtoyait le meilleur…
Plus de 2 siècles après, ces paroles reviennent comme un boomerang, même si le gouvernement semble n’avoir pas encore compris ce qui est en train de se passer, tout comme la reine qui répondait au roi, « s’ils n’ont plus de pain, donnez-leur de la brioche ».
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C’est finalement la preuve que pas grand-chose n’a changé depuis 1789, puisque Macron agit comme Louis XVI, lançant un débat dont on comprend bien qu’il est un outil pour faire croire à la volonté de dialoguer, alors qu’il n’est là que pour éteindre l’incendie.
L’occasion de rappeler la pensée du philosophe/architecte Richard Buckminster Fuller : « vous ne changerez jamais les choses en vous battant contre la réalité existante. Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rendra l’ancien obsolète ». lien
Au moment où Macron tente d’agiter des écrans de fumée en proposant de débattre à l’échelle nationale, cette phrase prend tout son sens, car en limitant le cadre du débat, évitant soigneusement les sujets qui fâchent, il discrédite la portée même du débat.
Pour revenir au cahier de doléance de 1789, la démarche du Roi n’est finalement pas si éloignée que celle de Macron, car en convoquant les Etats Généraux, une assemblée qui n’était que consultative, il entendait tenter de régler la crise financière du royaume, mais n’entendait pas imaginer’ une vrai réforme.
On connait la suite : pour faire court, Louis XVI congédiera Necker, son ministre des finances, n’acceptant pas le cap que celui-ci voulait prendre, et les bourgeois mécontents vont armer le peuple pour démettre le roi de ses pouvoirs, puis, ils proposeront de l’argent aux détenteurs d’armes, écartant ainsi le danger d’une révolution plus ambitieuse… lien
Mais revenons au « grand débat national »…
Anne Roumanoff a une idée arrêtée sur le sujet, et elle ne manque pas de pertinence : « je pensais que c’étaient 60 millions de français qui donnaient leur avis (…) en fait, c’est Emmanuel Macron qui donne le sien à 60 millions de français ».
Heureusement, il y a encore quelques journalistes qui enquêtent, et, une fois de plus, c’est Médiapart qui a tiré le premier.
Chantal Jouanno, pressentie auparavant pour mener « le grand débat national », explique comment Macron a décidé de faire de ce « débat » une campagne de communication, et alors que la CNDP (commission nationale du débat public) était disposée à assurer l’impartialité et la neutralité du grand débat, l’Élysée s’y était opposé.
C’est la raison qui a poussé Chantal Jouanno à refuser le poste que Macron lui avait proposé, et l’histoire de son salaire n’a été qu’un écran de fumée déployé pour cacher les vrais raisons de son refus.
Cette enquête prouve, s’il pouvait y avoir encore quelques doutes, qu’il n’y a jamais eu la volonté de débattre de la part du président de la République. lien
Du côté des Gilet Jaunes, la majorité d’entre eux a bien vu le piège tendu, et soit, certains décident tout simplement de l’ignorer, soit d’autres ont lancé leur propre grand débat, intitulé « le vrai débat » afin de construire encore mieux leur plateforme de réflexion, histoire de court-circuiter le projet gouvernemental. lien
Pour y participer, c’est ici.
Allons un peu plus loin et écoutons le grand sociologue, Pierre Rosanvallon, qui, le 25 janvier, sur l’antenne de France Inter, venu parler d’un livre, auquel il a participé, « le fond de l’air est jaune » (éditeur Seuil), et surtout exprimer sa pensée sur une démocratie réelle, renouvelée, vivante, ne permettant pas à un élu présidentiel de n’en faire qu’à sa guise, une fois élu.
Il s’agirait pour lui de limiter le pouvoir présidentiel, sur la base d’une démocratie quasi directe, laquelle serait soumise à la vigilance du peuple, suite logique de la mobilisation des gilets jaunes.
Pour le sociologue « il y avait dans le mouvement des gilets jaunes une dimension de prise de parole, et maintenant apparaît une autre dimension où il s’agit de passer à une construction politique (…) le mouvement ne peut pas rester pur, mais il peut rester un mouvement d’expression ».
Il pense qu’il faut passer « de la représentation expression à la représentation construction politique ».
Il s’agit aussi de rendre visible la réalité, face à un pouvoir qui semble vivre dans une bulle, indifférent à la misère ambiante, semblant ignorer qu’il se trouve en présence d’un peuple en colère, face à une toute petite élite.
Rosanvallon précise ce qu’il faut entendre par populiste, faisant le distingo entre populaire et populiste, affirmant que « le mouvement participe du moment populiste qui concerne toutes les démocraties en ce moment. Il est populiste parce qu’il est à la fois l’expression d’une colère et parce qu’il propose un certain nombre de solutions ».
Il ajoute que « on ne pourra plus faire vivre la démocratie comme elle a vécu. La démocratie ce n’est pas simplement élire des gouvernants, mais un régime d’interaction permanente entre la société et les gouvernants », et il prône ainsi une démocratie de contrôle, de surveillance et d’évaluation permanente des actions politiques engagées. lien
Il s’agit donc de pouvoir mettre un gouvernement sous surveillance, et il est plus que probable que ce ne sera pas du goût de celui qui se prend encore pour Jupiter.
Il propose aussi de « transformer le CESE (conseil économique, social et environnemental) en une maison des citoyens et qui soit le cœur battant d’expérimentations, avec des jurys citoyens, des référendums d’initiative citoyenne ».
Mais est-il utile d’attendre le mois de mars, date fixée pour la fin du « grand débat national », sachant que les 10 000 contributions actuelles partent un peu dans tous les sens, d’autant que les thèmes essentiels, les sujets qui fâchent ont été poliment écartés par le gouvernement…et qu’il est plus que probable que rien ne changera sur le fond.
Comment en serait-il autrement, puisque Macron a donné le ton en affirmant que la ligne décidée sera maintenue, et qu’il ne changerait pas de cap ? lien
Mais positivons, et découvrons la belle chanson d’Amon l’Algerian’Staff, l’hymne officiel des gilets jaunes, Veni Jauni Vici. lien
Comme dit mon vieil ami africain : « aussi haut qu’un oiseau vole, il finit par se poser ».
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec