Par Gunnar Ulson – Le 29 avril 2021 – Source New Eastern Outlook
La tendance à s’éloigner de l’« ordre international » unipolaire dirigé par Washington pour se rapprocher du multipolarisme ne se manifeste pas seulement ici sur Terre, mais bien au-dessus, en orbite et même au-delà. La campagne continue belliciste de Washington à l’égard de Moscou a même compliqué l’un des rares domaines de coopération constructive entre les deux nations, la coopération dans l’espace.
Cela inclut la Station spatiale internationale (ISS), vieille de 22 ans, qui est une combinaison de modules russes, américains, européens et japonais et qui accueille des astronautes de nations du monde entier.
Cependant, même cette réalisation impressionnante, tant sur le plan technique que sur celui de la coopération, est entachée par la politique. L’ISS exclut plusieurs nations de la coopération, notamment la Chine, un allié de plus en plus important de la Russie (et de nombreuses autres nations dans le monde).
Plus récemment, les États-Unis ont pris pour cible leur coopération avec la Russie en tentant d’interdire la vente de moteurs de fusée russes à la société aérospatiale américaine United Launch Alliance. Bien que des préoccupations de « sécurité » aient été invoquées, l’interdiction était en réalité motivée par la crise en Ukraine et la frustration de Washington suite au rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie en 2014.
Si l’interdiction a été partiellement levée en raison de la dépendance de l’ULA vis-à-vis de la technologie des fusées russes, les efforts se sont poursuivis pour rompre la coopération entre les États-Unis et la Russie.
Le projet Lunar Gateway a été jugé « trop américano-centré » pour une participation majeure de la Russie, rapporte SpaceNews dans son article » La Russie sceptique quant à sa participation à la station spatiale lunaire Gateway ». La minimisation du rôle de la Russie dans les projets spatiaux semble être la continuation des politiques de Washington visant à minimiser et à isoler l’influence de la Russie sur Terre.
Et tout comme sur Terre où la Russie se tourne vers d’autres partenaires pour continuer à avancer, elle cherche des partenaires dans l’espace pour continuer à y progresser également.
Le Guardian, dans son article intitulé « La Chine et la Russie dévoilent un plan commun pour une station spatiale lunaire », rapporte :
La Russie et la Chine ont dévoilé des plans pour une station spatiale lunaire commune. L’agence spatiale russe Roscosmos a déclaré avoir signé un accord avec l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA) pour développer un « complexe d’installations de recherche expérimentale créées à la surface et/ou en orbite de la lune ».
S’il est facile pour les nations de proposer et de dévoiler des plans, la coopération russo-chinoise dans l’espace semble être plus qu’un simple vœu pieux. La Russie a fait ses preuves depuis des décennies en envoyant des personnes dans l’espace grâce à son vénérable système de lancement Soyouz. Elle a non seulement contribué à la construction de modules clés de l’actuelle ISS, mais a également assuré la maintenance de la station spatiale Mir, qui a connu la plus longue orbite de l’histoire.
La Russie envisage également la construction de sa propre station spatiale nationale. Un autre article du Guardian, intitulé cette fois « Russie : nous quitterons la station spatiale internationale et construirons la nôtre », le souligne :
La Russie est prête à commencer à construire sa propre station spatiale dans le but de la mettre en orbite d’ici 2030 si le président Vladimir Poutine donne son feu vert, a déclaré le chef de son agence spatiale Roscosmos.
L’article cite une « crise sur les droits de l’homme, les cyberattaques et d’autres questions » comme étant la cause des ruptures dans une relation par ailleurs constructive dans l’espace entre les États-Unis et la Russie. Cependant, la formulation du Guardian et son analyse unilatérale de la détérioration des relations mettent en évidence la véritable raison pour laquelle ces liens s’effilochent, à savoir un antagonisme occidental délibéré et malhonnête.
La Russie est clairement capable de construire sa propre station spatiale. Elle l’a déjà fait par le passé et a conservé les compétences et les connaissances nécessaires pour le faire à nouveau grâce à ses contributions continues à l’ISS, dont le prochain module a été construit par la Russie et doit être lancé vers l’ISS cette année.
Associée à la Chine, cette expertise dans une version orbitale du multipolarisme peut constituer une combinaison puissante.
La Chine a non seulement envoyé ses propres « taïkonautes » dans l’espace, mais elle a également testé des modules temporaires de station spatiale en orbite en vue de la construction de sa première station spatiale permanente, qui doit commencer cette année.
Dans un article intitulé « La Chine est sur le point de commencer à construire une station spatiale en orbite », New Scientist rapporte :
La Chine est sur le point de lancer la première section d’une nouvelle station spatiale, entamant ainsi un projet de construction en orbite qui devrait s’achever en 2022 avec un avant-poste d’environ un quart de la taille de la Station spatiale internationale (ISS).
L’article note également que :
La station spatiale chinoise (CSS) sera la 11e station spatiale avec équipage jamais construite. Il s’agit de la troisième station chinoise, même si les deux précédentes étaient nettement plus petites. La CSS sera légèrement plus grande que Mir, la station spatiale soviétique qui a précédé l’ISS.
La Chine a également entamé le processus de maîtrise des missions non habitées vers la Lune et vers Mars. Avec des stations spatiales russes et chinoises en orbite terrestre dans les années à venir, un projet russo-chinois d’exploitation en concurrence avec le Lunar Gateway occidental semble plausible.
Les implications de multiples stations spatiales en orbite terrestre et de multiples projets lunaires pour la géopolitique sur Terre signifient que d’autres nations exclues par les programmes et projets spatiaux centrés sur l’Occident auront l’occasion de participer aux côtés de la Russie et de la Chine, créant ainsi un meilleur équilibre des pouvoirs sur Terre et au-delà, en orbite.
L’Occident peut avoir le sentiment que sa primauté lui échappe, ce qui le pousse à une belligérance plus ouverte et à un sentiment général d’insécurité quant à sa place au sein de la communauté internationale (et au-delà dans l’espace). Cependant, il rate une occasion clé de mener le monde vers un avenir multipolaire et sera plutôt perçu comme se débattant pour éviter son émergence inévitable.
L’expertise et les réalisations de l’Occident dans l’espace sont impressionnantes, mais son manque d’intérêt pour la coopération avec des nations comme la Russie et la Chine semble uniquement garantir que le conflit et la violence que l’Occident a engendrés sur Terre depuis des décennies se propageront dans l’espace et s’y poursuivront dans un futur proche.
Mais tout comme sur Terre, la coopération et le multipolarisme menés par la Russie et la Chine pourraient contribuer à minimiser le danger de cette belligérance et à favoriser un développement et des réalisations humaines sans précédent, tant sur Terre qu’au-delà.
Gunnar Ulson, analyste géopolitique basé à New York, écrit notamment pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».
Traduit par Zineb pour le Saker Francophone
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