Mais le public risque de manquer le vrai problème
Par Robert Bridge – Le 6 mai 2021 – Source Strategic Culture
À première vue, il semble que l’agence d’espionnage américaine, à l’instar d’un certain nombre d’entreprises trop zélées, ait dépassé les bornes dans sa dernière publicité promotionnelle, où presque toutes les identités libérales sont compulsivement cochées dans un effort apparent pour s’attirer les faveurs du public woke. Ou alors, l’organisation clandestine aurait-t-elle tout simplement révélé son programme global pour l’avenir ?
C’est une chose lorsqu’une grande entreprise, comme Coca-Cola (transgenre), Gillette (masculinité toxique) et United Airlines (théorie critique de la race) se plie à la gauche politique avec des publicités promouvant un certain nombre de causes bizarres, car ici la motivation peut être mise sur le compte de la toute puissante rentabilité ; malgré le fait que ces publicités ont une forte tendance à aliéner leur base de consommateurs. Mais lorsque l’une des agences de renseignement les plus puissantes de la planète se met à envoyer des signaux de vertu, on peut être sûr que quelque chose d’autre que le simple profit est à l’œuvre.
Tout d’abord, pour ceux qui n’ont pas vu la publicité, elle est mémorable pour toutes les mauvaises raisons – complaisante, prêchi-prêcha, condescendante et tellement dégoulinante de « wokerie » qu’elle aurait pu servir de discours d’acceptation aux Grammy Awards.
« Je suis parfaitement faite », déclare une femme non identifiée d’origine latine. « Je suis une femme de couleur, je suis une mère, je suis une millénium cisgenre qui a été diagnostiquée avec un trouble anxieux généralisé. Je suis intersectionnelle, mais mon existence n’est pas qu’un simple exercice de cochage de cases. »
Mais cela ne s’arrête pas là, cher lecteur, et le langage woke continue de plus belle.
« J’avais l’habitude de lutter contre le syndrome de l’imposteur, mais à 36 ans je refuse d’intérioriser les idées patriarcales erronées prétendant vous dire ce qu’une femme peut ou devrait être. »
Vous voulez dire comme la directrice de la CIA, par exemple ? Après tout, malgré tous ces discours sur un patriarcat effrayant empêchant les femmes de progresser dans leur carrière, la dernière directrice de l’agence d’espionnage n’était autre qu’une femme, Gina Haspel, nommée par nul autre qu’un prétendu misogyne comme Donald J. Trump. Mais je m’égare.
Prenant soin de préciser que son existence n’était pas « un exercice de cochage de case », celle qui joue l’agent dans l’annonce de recrutement se donne néanmoins beaucoup de mal pour souligner, une fois de plus, qu’elle est une femme, d’ethnie minoritaire, cisgenre, génération millénium, intersectionnelle, à qui l’on a diagnostiqué un trouble anxieux généralisé et un syndrome de l’imposteur, tout en résistant aux idées patriarcales. Alors, que se passe-t-il ? S’agit-il d’un exemple d’une énième organisation s’inclinant devant les guerriers de la justice sociale, infiniment habilités maintenant que l’idiot Biden est aux commandes ?
Personnellement, je pense que cela va plus loin que ça. Traitez-moi de paranoïaque, mais il est difficile de comprendre pourquoi la CIA se mettrait à l’heure woke, à moins qu’il n’y ait une arrière-pensée derrière tout cela.
D’abord, il est significatif que le terme « américain » n’ait pas été prononcé une seule fois au cours de ce sermon. Significatif et révélateur. Au milieu des rumeurs persistantes selon lesquelles l’élite occidentale s’acharne à préparer le terrain pour son « Nouvel Ordre Mondial », la première étape pour réaliser ce rêve détraqué – mentionné dans un discours sur l’état de l’Union par l’ancien chef de la CIA devenu président des États-Unis, George W. Bush, le 11 septembre 1991 – serait d’effacer, une fois pour toutes, toute notion de nation.
Et comme l’a si éloquemment exprimé la femme dans l’annonce de recrutement, les questions personnelles relatives au sexe, à la race et au genre, qui font actuellement fureur dans le monde universitaire et la théorie critique, prennent désormais le pas sur toute discussion relative au patriotisme. En fait, en ces jours post-Trump, « l’amour du pays » est pratiquement devenu synonyme d’idéologie suprématiste blanche. Les manifestations de patriotisme qui étaient autrefois visibles sur tous les autocollants de pare-chocs du pays ont été remplacées par le démantèlement des monuments historiques dédiés aux fondateurs de la nation et par des « genoux à terre » pendant que l’hymne national est joué.
Cela démontre le danger inhérent au mouvement woke en ce qu’il atomise gravement les êtres humains au point qu’ils en deviennent étrangers à eux-mêmes. En fait, ce mouvement porte le concept de « diviser pour mieux régner » à un niveau entièrement nouveau. Il n’y a pas si longtemps, une personne aurait pu simplement se définir comme « féministe », par exemple, ou « écologiste » et ces descriptions auraient été suffisantes. Aujourd’hui, les progressistes radicaux, qui font allégeance à la devise insignifiante proclamant « Diversité, inclusion et équité » – un bien faible substitut au cri de guerre de la Révolution française qui exigeait « Liberté, égalité et fraternité » – ont réduit les individus à un tel point que de véritables débats font rage sur le sexe biologique des nouveaux-nés, l’usage correct des pronoms et la question de savoir si ceux qui sont nés garçons devraient concurrencer les filles dans le sport. Une telle folie absolue épuise une grande partie de l’énergie du corps politique, exactement comme elle a été conçue pour le faire.
On comprend mieux pourquoi l’agence de renseignement américaine pourrait courtiser les membres du mouvement woke, à supposer qu’elle n’en soit pas elle-même la créatrice, au départ. Loin de se plier à ses exigences, l’agence peut y voir une occasion de briser les liens qui unissent un peuple – un peuple étranger, pour être plus précis. Et comment mieux faire que de briser le lien qui unit tous les citoyens entre eux ?
Lorsque les individus sont accaparés par des questions concernant leur « véritable » sexualité, leur héritage et leur race opprimés ou un patriarcat fantôme censé les maintenir à terre, rassembler ces passions éparses comme autant de feuilles sèches et les enflammer n’est qu’un jeu d’enfant. Les États-Unis ont récemment été les témoins directs d’un tel phénomène lorsque des organisations de justice sociale, comme Black Lives Matter, ont utilisé les épouvantails invisibles du « racisme systémique » et de la « suprématie blanche » pour lancer une campagne de pillage et d’incendie dans tout le pays, qui se poursuit aujourd’hui. Les tensions raciales artificiellement induites qui ont saisi l’Amérique du jour au lendemain pourraient être utilisées non pas pour un changement de régime, mais pour détourner l’attention du problème croissant de la nation en matière d’inégalité économique, aggravé pendant la pandémie. Mais c’est une autre histoire.
Aujourd’hui, le terrain de jeu géopolitique ne se limite plus aux diverses zones géographiques pivots décrites par le politologue Zbigniew Brzezinski dans son ouvrage fondateur, Le Grand Échiquier. Le nouveau champ de bataille géopolitique est cet espace situé entre les oreilles que l’on appelle l’esprit humain, que les pouvoirs en place, armés de tout un tas de technologies subtiles à leur disposition, manipulent actuellement avec une efficacité redoutable.
Le défilé coloré des « identités » sans fin, promu sans relâche par le monde universitaire, les médias traditionnels et les médias sociaux, constitue une menace directe pour la sécurité et le caractère sacré de l’État-nation. Les arsenaux militaires ayant évolué au point que la guerre est devenue pratiquement impossible, sous peine de voir la planète s’éteindre, le deuxième moyen le plus efficace de vaincre un ennemi, hormis les sanctions économiques, est la guerre psychologique. La militarisation de l’idéologie du malaise contre les habitants de la planète semble être une fatalité, et les États souverains feraient mieux de se réveiller face à cette réalité.
Robert Bridge
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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