La CAQ, le français et l’immigration : les bottines ne suivent pas les babines

La CAQ doit déposer cette semaine son projet très attendu de renforcement de la loi 101. On verra jusqu’où iront les caquistes. Même si le gouvernement Legault décidait d’aller très loin cependant, en étendant la loi 101 au cégep par exemple, les caquistes passeraient à côté de l’essentiel. On peut renforcer la loi 101 tant qu’on veut, on peut aller même jusqu’à l’étendre aux universités, cela ne règle pas le problème fondamental que posent pour le français les politiques d’immigration de l’actuel gouvernement.  

On ne le dira jamais assez, notre langue connaît un déclin spectaculaire depuis plusieurs années et celui-ci va s’accélérer. L’Office de la langue française le dit, plusieurs spécialistes en parlent depuis des années. Les Québécois de langue maternelle française constituaient 82 % de la population en 1996. En 2016 ils étaient 78 % et ce chiffre pourrait tomber à 50 % en 2100, suivant les calculs de Jacques Houle, un ancien fonctionnaire fédéral à l’immigration qui a publié un livre au titre évocateur : « Disparaître ». 

Cette tendance très préoccupante est essentiellement due à deux choses faciles à comprendre. Depuis l’époque des libéraux de Jean Charest puis de Philippe Couillard, le Québec a haussé substantiellement les seuils d’immigration. 

Avec plus de 50 000 immigrants par année à la fin du régime libéral, nous recevions presque deux fois plus d’immigrants que les États-Unis par habitant et presque deux fois et demie plus que la France. 

À cela s’est ajouté le fait que de moins en moins d’immigrants parlent français. Par conséquent des ghettos linguistiques se forment, l’anglais gagne du terrain et l’intégration à la majorité francophone pose problème. 

La francisation des immigrants adultes : un échec total

Or, devant cette situation, que nous propose la CAQ? Elle compte revenir au niveau d’immigration des précédents gouvernements libéraux (les caquistes ont baissé un peu les seuils en début de mandat). Parallèlement, la ministre de l’immigration Nadine Girault a annoncé le 5 mai dernier qu’elle compte abaisser les critères de sélection en français pour permettre à plus d’immigrants non-francophones de venir chez nous. Elle affirme que l’accent sera mis en contrepartie sur la francisation. 

Or, comme je l’ai déjà expliqué dans ces pages, la francisation des immigrants adultes est un échec total qui est constaté année après années depuis longtemps déjà, notamment par le Vérificateur général du Québec. 

Pourquoi alors, vous demandez-vous peut-être, le gouvernement Legault agit de la sorte? Il le fait en raison des pressions du patronat. Plus il y a d’immigrants, mieux c’est pour les patrons. Ceux-ci feraient face à une pénurie de main d’œuvre, concept qui désigne en fait un taux de chômage faible forçant les entreprises à payer des meilleurs salaires pour recruter des travailleurs. Les patrons ne veulent pas payer davantage. L’immigration leur fournit des employés à rabais. 

On notera à ce sujet la chose suivante. Contrairement à ce qui est répété sans cesse, l’immigration ne va aucunement régler le soi-disant problème de pénurie de main-d’œuvre. Comprenons ici que lorsqu’un étranger arrive au Québec, en prenant pour acquis qu’il obtient immédiatement du travail, ce qui n’est pas toujours le cas, il doit envoyer ses enfants à l’école, trouver un médecin de famille et un dentiste. Il doit aussi se loger, ce qui accentue le problème de disponibilité de logements et exige l’emploi de nouveaux travailleurs de la construction pour fournir à la demande. 

L’installation sur notre territoire d’immigrants créée une demande de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs. Par conséquent, cela ne règle aucunement ce que les patrons appellent le « manque de main-d’œuvre », sans compter que l’immigration ne résout pas davantage le problème du vieillissement de la population. 

Réduire les seuils d’immigration

Le premier ministre Legault a pris récemment ses distances des demandes du Conseil du patronat en faisant savoir que les politiques d’immigration de son gouvernement ne serviraient pas à faire venir au Québec de la main-d’œuvre bon marché. Le fait est toutefois que les bottines ne suivent pas les babines. 

C’est la même chose pour le français, un enjeu qui est fondamentalement lié à la question migratoire. Si la CAQ est sérieuse dans son désir de stopper le déclin du français, elle doit faire ce que lui propose le Parti québécois, réduire les seuils d’immigration et, pour les immigrants que nous admettons chez nous, exiger une maîtrise préalable du français. 

Photo d’archives, MARTIN ALARIE

Frédéric Bastien, Historien

Montréal

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