Le 10 mai de cette année, l’État d’Israël … mais attendez un instant … avant d’aller plus loin … l’ « indépendance » de cet État n’a-t-elle pas été proclamée en 1948 par un petit groupe de colons ? Ce qui la place exactement dans la même catégorie que la « déclaration unilatérale d’indépendance » faite en 1965 par Ian Smith, qui représentait le groupe minoritaire des colons de Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe).
La notion d’indépendance déclarée par un groupe minoritaire de colons au détriment de la majorité autochtone était absurde et elle a été tout naturellement rejetée par le reste du monde lorsqu’elle a été proclamée par les colons de Rhodésie. C’est très étrange qu’elle ait pu être acceptée sans protestation lorsque les colons installés en Palestine l’ont proclamée à leur tour, surtout à une époque où la décolonisation et l’autodétermination étaient à l’ordre du jour.
Cette question est toujours la principale épine dans le pied de l’État d’Israël. Mais passons… Le 10 mai, l’État colonial de peuplement israélien va « célébrer » la Journée de Jérusalem, qui marque l’anniversaire de la prise, en 1967, du « Mont du Temple » et des « parties orientales de la ville », comme le formule le Times of Israel (le calendrier hébreu étant lunaire, la date, le 28 Iyar, change d’année en année).
Et là, nous devons à nouveau nous interroger, car ce qui a été pris en 1967, tout d’abord, n’était pas le « Mont du Temple » mais le Haram al-Sharif, un complexe musulman contenant deux des sites musulmans les plus sacrés en dehors de La Mecque, la mosquée Al Aqsa (la plus éloignée) et le sanctuaire Qubbat al Sakhra (dôme du rocher). Il y a un mont, mais pas de temple, et les archéologues ont beau se démener depuis 1967, ils n’ont jamais trouvé la preuve qu’il y en ait eu un.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu, mais pour qu’aucune ruine ne subsiste après une période relativement courte de l’histoire, il ne peut en tout cas pas s’agir d’une structure aussi gigantesque que celle décrite dans la Bible.
Viennent ensuite les « parties orientales » de la ville, mais n’oublions pas les parties occidentales. En 1948, les Palestiniens musulmans et chrétiens possédaient encore 70 % des terres et des biens à Jérusalem-Ouest et la quasi-totalité à l’Est, où la communauté juive comptait environ 2 000 personnes : la plupart de ce que l’on appelle aujourd’hui le « quartier juif » a été volé aux Palestiniens.
Dans le plan de partage de 1947, Jérusalem devait servir de corpus separatum entre les États palestinien et juif. En 1948, les milices sionistes ont occupé une aussi grande partie de la ville qu’elles l’ont pu avant l’intervention des diplomates. Si elles avaient eu plus de temps, elles se seraient approprié toute la ville, mais le point important ici est qu’en 1948, tout comme en 1967, les sionistes n’avaient aucun droit légal sur Jérusalem Ouest.
Le nettoyage ethnique perpétré par les sionistes a aussi consisté à chasser environ 70 000 Palestiniens de Jérusalem-Ouest et de ses environs immédiats.
Que s’est-il donc passé sur le terrain en 1967 lorsque les sionistes se sont emparés de la partie orientale de la ville ? Que vont-ils réellement « célébrer » le 10 mai ? Une brève liste commence par la destruction des 135 bâtiments des 40 dunums (2,5 acres) du Harat al Magharibah (le quartier maghrébin ou plus communément « marocain »), qui borde le mur occidental du Haram al-Sharif et a été construit à la fin du XIIe siècle par Malik al Afdal, fils de Salah al-Din al Ayyubi (Saladin) en tant que waqf (dotation islamique inaliénable) pour accueillir les voyageurs et les érudits arrivant d’Afrique du Nord.
Le soir du 10 juin, cinq jours après l’attaque d’Israël contre l’Égypte et la Syrie, environ 650 habitants du quartier de Magharibah ont été jetés à la rue sans préavis et n’ont pu emporter que ce qu’ils pouvaient prendre avec eux. Tout le quartier, y compris le contenu de toutes les maisons, a ensuite été dynamité et rasé au bulldozer pour en faire une « plaza » pour les Juifs.
Ceux qui refusaient de partir y étaient contraints par la force : on a retrouvé plus tard, dans les décombres, le corps d’une femme qui n’était pas partie. Plusieurs autres corps auraient également été retrouvés. Certaines des familles chassées ont été accueillies par des proches, mais la plupart ont fini dans les camps de réfugiés de Shu’fat et de Qalandiyya. En deux jours, il ne restait plus rien du quartier de Magharibah.
Outre les maisons, les destructions comprennent deux mosquées, une loge soufie, la madrasa (école) Afdaliyya, construite pour les juristes de l’école malékite de la loi islamique, et le Hakurat al Khatuniyya (le jardin de la noble), un site contenant des ruines romaines et byzantines et les fondations d’un palais omeyyade.
Deux ans plus tard, les nouveaux occupants ont détruit la madrasa Fakhriyya voisine et la résidence du mufti de l’école de droit Shafi’i, ainsi qu’une maison près du Haram qui avait été habitée par des générations de la même famille depuis le XVIème siècle. Le bâtiment lui-même était considéré comme un exemple exceptionnel de l’architecture mamelouke.
Lors de la conquête de la Cisjordanie, quelque 300 000 Palestiniens ont été chassés ou se sont enfuis par le pont Allenby vers la Jordanie. Parmi les 5000 Palestiniens chassés de Jérusalem puis de la Cisjordanie (au nom de la « sécurité ») figurait l’ancien maire de Jérusalem-Est, Rouhi al-Khatib. Plusieurs villages et des centaines de bâtiments ont été complètement détruits dans d’autres endroits au nom de la « sécurité ».
L’occupation des hauteurs du Golan syrien a été suivie du déplacement de 120 000 personnes supplémentaires, des ressortissants syriens ainsi qu’environ 17 000 réfugiés palestiniens de 1948. En juin 1974, Israël s’est retiré d’une partie du plateau du Golan, non sans avoir auparavant dynamité la majeure partie de la ville de Qouneitra. Ce sont là quelques-unes des réalités que l’on célèbre le 10 mai.
Mais revenons au compte-rendu du Times of Israel sur les distractions dont on pourra profiter à Jérusalem le 10 mai comme par exemple la visite du musée de la Tour de David et à la Cité de David et, encore une fois, nous devons nous nous interroger. Le site de cette citadelle située près de la porte de Jaffa remonte officiellement à l’époque du roi Hérode (bien que, du fait qu’il surplombe la ville, il aurait constitué une position défensive naturelle pour quiconque occupait Jérusalem bien avant l’arrivée des Hébreux en Palestine).
Salah al-Din al Ayyubi, les Mamelouks et les Ottomans ont reconstruit le site tour à tour : ce que les guides touristiques appellent la « tour de David » est en fait le minaret d’une mosquée mamelouke. Quant à la « ville de David », malgré des fouilles interminables sous et autour du Haram, on n’a trouvé aucune preuve qu’un roi appelé David ait jamais régné sur Jérusalem ou même existé, en dehors des récits bibliques.
Mais venons-en aux endroits où on peut loger pour participer aux célébrations à Jérusalem. Parmi les options proposées par le Times of Israel figure l’hôtel Mamilla. Jérusalem compte de nombreux hôtels et maisons privées qui sont des propriétés palestiniennes volées, mais le Mamilla est un exemple intéressant en raison de ce qu’il signifie par ailleurs. La Jérusalem occidentale occupée en 1948 comprenait le cimetière de Mamilla.
En tant que lieu de sépulture, Mamilla remonte à l’époque byzantine, et en tant que cimetière musulman, au VIIe siècle. Les tombes et les tombeaux comprennent, selon la légende, des compagnons du Prophète (sahaba), des érudits religieux, des cheikhs soufis, des juges, les descendants de certaines des plus anciennes familles de la ville ainsi que des milliers de soldats, chrétiens et musulmans, qui ont combattu et sont morts pour la ville pendant les croisades.
Après s’être emparée de Jérusalem-Ouest en 1948, l’administration israélienne s’est engagée à respecter le cimetière de Mamilla. « Israël saura toujours protéger et respecter ce site », selon les termes du ministère des affaires religieuses. En pratique, tout en promettant de sauvegarder les sites religieux musulmans, l’État a organisé leur destruction.
Les cimetières de village ont été labourés ou laissés à l’abandon par négligence calculée et les mosquées ont été transformées en galeries d’art, musées et cafés chics. Rien de tout cela n’était accidentel, ni ne constitue des dommages collatéraux ou des conséquences imprévues de la guerre.
Tout cela était délibéré car, pour qu’Israël existe, il fallait que la Palestine soit détruite.
En tant que symbole de la Jérusalem palestinienne, à côté du Haram al-Sharif, le cimetière de Mamilla était une cible de choix pour le « redéveloppement ». Loin de protéger le site, le gouvernement a rapidement autorisé sa destruction au coup par coup, une fois qu’il a été pris en charge par le gardien des Biens sans Propriétaires.
Au fil des décennies, le cimetière a été découpé pour faire place à des routes d’accès, un parking, une école et un terrain de jeu, un bloc sanitaire, un parc (« Independence Park »), un café, un hôtel et un bâtiment gouvernemental, sans compter qu’on a creusé autour des tombes pour poser de câbles électriques.
Sur les milliers de pierres tombales qui se trouvaient sur le site en 1948, seules quelques-unes étaient encore debout en 1967 et on estime qu’il n’en reste que 5 % aujourd’hui. Il ne reste qu’environ 8 % des 134,5 dunums (33 acres) du cimetière d’origine. Le bassin/citerne d’eau original de Mamilla est vide, le vandalisme venant s’ajouter à la négligence délibérée de la municipalité.
La menace actuelle sur ce qui reste du cimetière est la construction d’un « Centre pour la dignité humaine – Musée de la tolérance ». Ce lien grotesque entre dignité, tolérance et profanation est une initiative du Centre Simon Wiesenthal aux États-Unis. La première pierre a été posée en 2004 et les travaux ont commencé en 2005. Au cours des années suivantes, les pierres tombales ont été rasées, des centaines de tombes ont été ouvertes et les ossements des morts retirés.
Le musée occupera 10% de ce qui reste du cimetière et, compte tenu des plans approuvés pour la construction d’un hôtel et de centaines de logements sur le site, on peut prédire qu’à terme, il ne restera plus rien.
Conquête, destruction, dépossession et profanation sont les réalités qui se cachent derrière les célébrations qui auront lieu dans les rues de Jérusalem le 10 mai. Cette fête sera une bonne occasion pour les voyous qui se sont déchaînés dans les rues de Sheikh Jarrah d’infliger davantage de souffrances aux Palestiniens. « Mort aux Arabes », crient-ils, comme ils l’ont fait au fil des ans, à Jérusalem et dans toute la Palestine.
Ce sont les « extrémistes », Lehava (Prévention de l’assimilation dans la patrie, visant non seulement les Palestiniens mais tous les chrétiens) et Otzma Yehudit (Force juive). Tous deux sont, de par leur idéologie et leur brutalité, les dignes héritiers du rabbin Meir Kahane et de son parti Kach.
Mais ils ne sont pas tellement plus extrêmes, ni plus ouvertement déterminés à parachever le génocide des Palestiniens que les extrémistes au sein du gouvernement et de la Knesset et que les extrémistes qui attendent leur tour pour prendre le pouvoir.
Ils ne sont pas une anomalie mais le produit inévitable d’une idéologie raciste et de l’État fondé sur cette idéologie. Israël est sur un chemin de destruction, la destruction du monde qui l’entoure comme de sa propre destruction, mais cela ne l’empêche pas de célébrer ce qui l’a conduit là.
Traduction : Dominique Muselet
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir