C’est une soirée semblable à une fête du jour de l’An : repas copieux en plusieurs services, coupes de vin débordantes, prestation musicale des plus enlevantes. Si l’évènement À la table du Cardinal peut avoir l’air d’un club sélect, il faut regarder au-delà des apparences. Quand le cardinal convie à sa table, c’est pour que l’enthousiasme soit partagé avec d’autres.
Cette année, distanciation oblige, l’évènement a la particularité d’être ouvert à tous et prend la forme d’une collecte de fonds. Quiconque fait un don, peu importe la valeur, sera invité à une soirée virtuelle, tenue le 20 mai prochain. Les participants auront droit à la prestation d’un artiste invité dont l’identité est un secret bien gardé par Mgr Lacroix, tout comme le montant total récolté, dévoilé le jour même.
Le concept est simple : des hommes et des femmes issus du milieu des affaires sont invités chaque année à acheter un billet ou une table pour l’évènement-bénéfice. Les profits sont entièrement remis aux mains des organismes communautaires.
« Un dollar reçu en profit est un dollar redonné au cours de l’année. L’argent ne dort pas à quelque part. Les frais d’administration sont assumés par le diocèse », assure Mgr Lacroix.
La palette des 60 organismes soutenus depuis sept ans est variée : des connus ou pas, des organismes urbains ou ruraux, catholiques ou non, qui aident des personnes de tous âges. Parmi ces organismes, il y a aussi des comptoirs alimentaires et vestiaires, des centres de répit, d’accompagnement et de soins pour des personnes en fin de vie. Bref, on ratisse largement.
Parmi ceux-ci, plusieurs expérimentent quotidiennement l’impact de la pandémie sur les personnes en situation de précarité. Les dons sont d’autant plus essentiels dans ce contexte où le filet social s’étiole. Quatre d’entre eux ont accepté d’en témoigner au Verbe.
Des vulnérables plus vulnérables
Des enfants et des jeunes polyhandicapés, voici ceux pour qui l’organisme Laura Lémerveil se consacre tous les jours. À l’écoute des besoins particuliers exprimés par les parents, il offre un accompagnement personnalisé à près de 200 familles : maisons de répit, camps de jour spécialisés, accompagnement et soins palliatifs en sont des exemples.
« Nos services ont repris en présentiel depuis l’été, sauf qu’on gère toujours les impacts du premier confinement. Les enfants ne comprenaient pas pourquoi, de façon drastique, ils n’ont pas pu continuer de voir leur éducatrice. Ça a généré un grand choc. Si je mets de côté l’épuisement des parents, on observe deux impacts majeurs sur les enfants : la perte d’acquis et les problèmes de comportement », explique Francine Dorée, directrice du financement.
Les Petits Frères de Québec, eux, s’occupent d’une population à l’autre côté du spectre : leurs « grands amis », les ainés esseulés de 75 ans et plus. Si leur organisme a gagné en visibilité depuis la pandémie, ils doivent tout de même redoubler d’ardeur pour cette population plus sévèrement atteinte :
« On a perdu de nos grands amis à cause de la maladie, mais aussi en raison de la détresse psychologique. Quand on a 75 ans, une année perdue n’a pas la même signification. La santé est plus fragile, il nous en reste moins devant nous et ça crée un stress plus important encore », analyse Pascal Fournier, directeur des partenariats stratégiques.
S’ils offraient déjà du jumelage, des visites d’amitiés, des vacances, un accompagnement en fin de vie et bien d’autres services, la pandémie les a fait innover. Une escouade téléphonique et postale s’est mise en place dans l’urgence pour assurer des suivis réguliers et réconfortants. Le projet a même pris de l’envergure : il s’adresse maintenant à tout ainé vivant de la solitude.
Une aide vitale
Isabelle Castonguay intervient auprès des femmes en situation de difficulté au Centre des femmes de la basse-ville depuis 20 ans. Trouver du financement a toujours été un enjeu. Si la vague de féminicides a mis en lumière l’importance de la cause, la demande, elle, continue d’augmenter. Les maisons d’hébergement fonctionnent au maximum de leur capacité, les places se font rares, et surtout, on veut prendre le mal à la racine par la prévention et la sensibilisation.
« On a l’impression que les maisons d’hébergement ont le vent dans les voiles. Les médias en ont beaucoup parlé. Le gouvernement s’est vanté d’avoir donné du financement. Oui, nous avons reçu une augmentation, mais c’est le quart de ce dont nous avions besoin. Et si on remet ça dans un contexte politique et social, il y a eu beaucoup de coupures dans le système de santé et des services sociaux dans les dernières années. On assiste à des situations qui se dégradent de plus en plus, on en vit les conséquences », juge l’intervenante.
Autre organisme œuvrant pour les femmes, La Roselière accompagne et écoute celles qui vivent une grossesse imprévue ou les conséquences d’une interruption de grossesse. Les dons sont primordiaux pour cet organisme de bienfaisance qui ne reçoit pas de soutien gouvernemental.
« Il n’y a pas que des ressources matérielles à combler. Il y a aussi les ressources affectives. Il y a toutes sortes de pauvretés, j’en vois tous les jours. Avec la pandémie, on a reçu seulement 70 % des revenus qu’on avait planifiés. On n’a pas pu faire la campagne de financement comme prévu pour solliciter les donateurs, comme par exemple tenir un kiosque. Nous ne sommes pas les seuls et tous les organismes ont vécu la même chose », considère Louise Caron-Giguère, directrice de la Roselière.
Miracle de multiplication
Depuis 2015, la somme de 1 million de dollars a été amassée. Pour l’archevêque de Québec, « il importe de recueillir des fonds, pas seulement pour son diocèse, même s’il a d’énormes besoins, mais pour les redistribuer sur le territoire. »
Comment les organismes sont-ils choisis ? Mgr Lacroix affirme que des nouveaux s’ajoutent tous les ans à la liste. Mais chose certaine, on essaie de « privilégier les groupes qui reçoivent le moins de subventions, ceux qui sont les plus pauvres. »
Pour l’organisme Laura Lémerveil, la moitié de leurs revenus leur étant fournis par le gouvernement, il leur faut trouver le reste en dons.
« C’est vraiment la communauté qui fait toute la différence et des partenaires comme le cardinal Lacroix. Il y a des organismes qui font des demandes de subventions pour un projet, et les réalisent s’ils reçoivent des dons, mais pour nous, financement ou pas, les parents sont là et il faut veiller à leurs besoins », pense Francine Dorée.
Chaque année, à la table du Cardinal, ce n’est pas la multiplication des pains qui s’opère, mais la multiplication des dons. Et comme l’explique le cardinal Lacroix : « une société, une Église en santé, ne pense pas seulement à elle-même, à ses besoins. Elle veille sur les personnes les plus vulnérables et oubliées, les gens souffrants et les plus pauvres ».
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