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par Paul S.
De « Jupiter » au « président épidémiologiste », en passant par le « maître du temps » ou « docteur Macron », éditorialistes et journalistes politiques ne sont jamais à court d’imagination pour glorifier le président et assurer le service après-vente de sa communication. Le Monde en est une belle pépinière, où une grand prêtresse comme Françoise Fressoz – qui écrivait encore il y a quelques jours « Macron se veut un mélange de Turgot, Bonaparte et de Gaulle » – côtoie de plus jeunes plumes. Parmi elles, le « journaliste en charge de l’exécutif » Alexandre Lemarié, dont le métier interroge : journaliste ou communicant ?
Pendant plus d’une semaine, le petit monde des experts et des commentateurs politiques s’est emballé : Emmanuel Macron est-il devenu épidémiologiste ? Au cœur de cette question cruciale s’est trouvé un article publié le 31 mars dans Le Monde, sous le titre « Emmanuel Macron, le « président épidémiologiste » », au ton pour le moins révérencieux. Face aux railleries, Le Monde a décidé d’en changer le titre en « Comment l’entourage d’Emmanuel Macron met en scène un président qui serait devenu épidémiologiste ». Nuance qui laisse entrevoir une stratégie de communication provenant de l’Élysée – à la place d’un titre publicitaire rédigé directement par la rédaction du Monde ! En revanche, les modifications dans son titre ne changent rien au contenu de l’article.
Sur une pleine page du journal, le journaliste Alexandre Lemarié nous présente un modèle d’article sponsorisé, du genre « service après-vente » que Le Monde a inauguré dès le lendemain de l’élection présidentielle de mai 2017. Un « journalisme politique » caricatural : l’intégralité du propos est construite autour de citations de « proches du président », de son « entourage », et de « responsables de la majorité ». On s’en doute, les avis sont invariablement flatteurs, et confirmés par le journaliste, qui nous fait pénétrer dans l’intimité du président : « En privé, ses proches se montrent impressionnés par la maîtrise du chef de l’État. » Faute de la moindre note de distanciation dans l’article, on en déduit qu’Alexandre Lemarié est tout autant impressionné.
Il semble en tout cas très proche des fameux « proches » dont il recueille régulièrement les confidences, qui lui permettent de dresser un portrait fort acerbe du président : « Son entourage l’assure, dans une boutade teintée d’admiration : « Le président est devenu épidémiologiste ». » Nous voilà ravis. Un autre interlocuteur, participant au « conseil de défense », tout empressé de restituer la communication, sans filtre ni vérification, raconte ensuite à Alexandre Lemarié qu’Emmanuel Macron « consulte toutes les études, dès qu’elles sont publiées ». Rappelons, en passant, que d’après la base de données PubMed, 2 000 articles ont été publiés sur le Covid 19 au cours de la semaine du 18 avril, près de 80 000 au total en 2020 et plus de 40 000 depuis le début de l’année 2021. De quoi occuper les soirées à l’Élysée !
Mais la communication n’effraie pas Alexandre Lemarié, et surtout pas celle d’Emmanuel Macron, dont il nous rapporte les faits et gestes avec le plus grand recul : « Le locataire de l’Élysée ne se contente pas d’écouter les observations des experts, il leur pose de nombreuses questions, n’hésitant pas à les pousser dans leurs retranchements. » Et cette fois, Alexandre Lemarié ne s’appuie pas sur une source proche de qui que ce soit : c’est lui-même qui apporte cette « information »… ou enjolive pour les besoins de son éloge du pouvoir. Reste que les bases de l’article sont posées. On ne s’étonne donc pas de voir Alexandre Lemarié donner ensuite la parole à Jean-Michel Blanquer – qui s’extasie sur « l’intelligence » du président – ou rappeler la sortie récente de Richard Ferrand (président de l’Assemblée nationale), pour qui Emmanuel Macron « pourrait briguer l’agrégation d’épidémiologie » – qu’il faudrait créer pour l’occasion, puisqu’elle n’existe pas. Et le gag n’est pas terminé, notre « journaliste » en rajoute une couche : « De fait, M. Macron s’est aussi fait immunologue ». Une casquette de plus pour Jupiter, qui, comme le rappelle « son entourage » par la voix d’Alexandre Lemarié, « a raison contre tous ».
On pourrait continuer longuement à égrener les petites phrases de cet article. Résumons simplement la fin à un ping-pong de citations, dûment choisies par Alexandre Lemarié, entre le président, des soignants et des scientifiques. Leur seul point commun est de taille : elles proviennent toutes d’articles ou de communiqués déjà publiés ailleurs, et n’apportent donc aucune nouvelle information.
« Journaliste en charge de l’exécutif » ou communicant ?
Mais s’étonner de cet article et des louanges au chef de l’État, ce serait oublier qu’Alexandre Lemarié est coutumier du fait. Son titre de « journaliste en charge de l’exécutif » au Monde le positionne en très bonne place pour traiter et diffuser tous les éléments de langage/rumeurs lancés par les anonymes « proches du président ». Un statut qui n’est pas fatalement voué à la fabrication d’un « journalisme de cour », mais qui y ressemble ici furieusement, tant le journaliste – à l’instar de nombreux acolytes peuplant les services « politique » – fabrique des papiers en huis-clos et au taux de contradiction fort peu élevé.
Nous avons en effet consulté tous les articles signés en mars dernier par Alexandre Lemarié – sans co-auteur (soit 10 au total) – et relevé les personnes qui y sont citées. Des sources que nous avons classées en trois groupes :
– les membres du gouvernement : leurs citations sont souvent issues de communiqués officiels ou d’extraits d’interviews. Ce groupe représente 37 % du total des citations.
– les anonymes qui répandent la parole d’Emmanuel Macron : les « proches du chef de l’État », ses « fidèles », les « caciques de la majorité », les « piliers du gouvernement », etc. Ils représentent 27 % du total des citations.
– Emmanuel Macron lui-même, totalisant 18% des citations : là aussi, les propos cités par Alexandre Lemarié sont essentiellement des copiés-collés de communiqués officiels ou de transcriptions d’interviews/discours.
Le reste (quelques médecins ou quelques rares élus de l’opposition réagissant dans d’autres médias) a droit à 18% du total des citations, soit autant qu’Emmanuel Macron à lui tout seul.
De plus, en observant plus en détail les propos rapportés, on s’aperçoit que les seuls qui furent obtenus directement par Alexandre Lemarié (qui ne viennent donc pas de communiqués officiels, d’interview TV ou d’autres articles de presse) sont dans leur immense majorité ceux des « fidèles » du président, de son entourage, des « caciques », etc. Les autres citations (membres du gouvernement, quelques rares médecins et membres de l’opposition, etc.) proviennent en fait d’autres médias. À titre d’exemple, l’interview du médecin généticien Axel Kahn sur Europe 1 est citée dans deux articles différents.
Conclusion : Alexandre Lemarié construit ses articles sur un unique (et univoque) groupe de sources, soit la coterie qui gravite autour de notre président jupitérien, et recycle des éléments de communication ou des déclarations préexistants pour fabriquer ses « chroniques du pouvoir ».
Un « professionnel du commentaire »
Cette pratique du journalisme politique est problématique à plusieurs points de vue :
– Un journalisme de cour : Alexandre Lemarié traite ses sujets d’une voix monocorde, sans chercher à « pousser ses sources dans leurs retranchements » – comme le ferait Macron avec les scientifiques ! Pourtant, si l’on veut commenter la communication présidentielle, d’autres sons de cloches existent. Au sujet du « président épidémiologiste », France Inter rapporte par exemple dans un journal du 30 mars un témoignage selon lequel « si le président faisait de la politique plutôt que de se mesurer aux épidémiologistes, on n’en serait sans doute pas là ». Le Figaro, ayant lui aussi accès aux « proches », rapporte également un discours différent : « « On goûte moyennement ce genre de flagornerie. Surtout en ce moment, ce n’est pas à la hauteur », explique un proche du chef de l’État ». Pourquoi Alexandre Lemarié ne les cite-t-il pas ? Et empressons-nous d’ajouter : quand bien même le ferait-t-il, il n’en produirait pas moins (à l’instar des ses confrères de France Inter et du Figaro) un journalisme de bavardage et de « clashs ».
– Un journalisme de commentaire : car c’est bien là le point central. Peut-on encore parler de journalisme quand la production éditoriale se résume à un simple accompagnement de la communication politique ? Si les frontières entre ces deux métiers sont poreuses et leurs relations faites de tensions, il apparaît dans le cas présent que la profession de journaliste est bel et bien neutralisée au profit de celle de communicant. Avec, pour conséquence, une « information » qui se détache toujours plus du fond des sujets, au profit du commentaire des stratégies politiciennes et des « petites phrases » de clash entre politiques.
Deux exemples supplémentaires : d’abord, dans l’article consacré au programme du gouvernement « Un jeune, un mentor », soit un mentorat visant « l’accompagnement [des jeunes] par un actif ou un retraité ». S’il est précisé que « la mesure peine à trouver son public », la quasi-totalité de l’article se contentera de restituer la communication du chef de l’État, sans le début du commencement d’une enquête cherchant à confronter cette communication au terrain. Le tout étant noyé dans un commentaire de stratégies électoralistes :
M. Macron entend enrichir le bilan social de son quinquennat, tout en envoyant des clins d’œil aux électeurs de gauche, à l’approche de la présidentielle. Un souci devenu un besoin de plus en plus pressant, tant un chiffre inquiète au sommet de l’État : selon plusieurs sondages, près d’un électeur de gauche sur deux se dit prêt à s’abstenir en cas de duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de la présidentielle.
Il en va strictement de même dans l’article d’Alexandre Lemarié (hors corpus) intitulé « Recrutement de policiers et lutte contre le trafic de drogue… comment Emmanuel Macron veut occuper le terrain sécuritaire » (20/04), où il n’est jamais question du fond : aucun élément d’enquête ou statistique ne concerne les enjeux sécuritaires abordés, sauf quand il s’agit de restituer les données que mettent en avant… les autorités elles-mêmes (hausse des budgets ou recrutement de policiers). De plus, le journaliste glose autour de « la posture de fermeté » d’Emmanuel Macron, et de l’« enjeu stratégique de ce sujet dans l’optique de la présidentielle ». Et convoque pour ce faire Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut Ipsos. Un sondologue donc, soit une autre catégorie de « professionnel du commentaire ».
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Au fond, peut-être que patauger dans les milieux de pouvoir comme le fait Alexandre Lemarié lui convient bien. Une position que favorise son statut au Monde, qu’il doit peut-être justement à ses relations. Mais imagine-t-on un journaliste-communicant (réellement) critiquer la cour ? Les sources « proches du chef de l’État » qui l’abreuvent d’ « informations » (et remplissent à peu de frais les pages de son journal, à l’instar des faits-divers) se tariraient sans doute très vite en représailles ! Reste qu’article après article, l’information est réduite à peau de chagrin. Aux seuls bénéfices de la communication politique, restituée, commentée à l’envi et dont le récit est bricolé à partir de contenus frelatés.
source : https://www.acrimed.org
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