Militarisation face à la contestation sociale en Colombie

Militarisation face à la contestation sociale en Colombie

Projet Accompagnement Solidarité Colombie

Enfin, aujourd’hui, le 2 mai, le gouvernement présidé par Iván Duque a décidé d’écouter la clameur populaire et de retirer la réforme fiscale régressive et infâme, qui avait pour but indolent d’étrangler davantage les conditions de vie dégradées qu’a entraînées la négligence sociale de la pandémie. Cependant, sa détermination à l’imposer par la force à une majorité de la population a déclenché une répression violente sur les citoyens et un déni flagrant des garanties élémentaires dans un Etat de droit pour l’exercice de la mobilisation, de la protestation et de la participation des citoyens aux affaires qui les concernent.

Après 5 jours d’intenses mobilisations, la répression qui s’est abattue sur le peuple qui par millions est descendu dans la rue pour empêcher un tel outrage aux classes moyennes, pauvres et salariées, s’est soldée par la mort de 21 personnes tuées, 208 blessées, 18 avec des mutilations dues à des blessures aux yeux, 10 cas de violences sexuelles et sexistes, au moins 503 personnes arrêtées et 42 attaques intentionnelles contre des défenseurs des droits de l’homme ou des reporters indépendants qui dénonçaient ou tentaient de mettre fin à ces outrages (Campagne « Défendre la liberté est l’affaire de tous » (2 mai 2021). https://twitter.com/DefenderLiberta/status/1388909209459306499).

 

Cependant, l’annonce du gouvernement Duque de faire descendre l’armée dans les rues pour renforcer l’endiguement de la protestation sociale, ajoute une nouvelle violation à l’ordre constitutionnel et légal, et génère de nouveaux risques pour le climat déjà détérioré de violations collectives du droit à la vie, à la liberté, à l’intégrité et aux autres droits et libertés fondamentaux, piétiné en toute impunité face à la disqualification globale de toutes les manifestations en tant que vandalisme et à la justification par cet argument de la répression brutale perpétrée par la police et l’Esmad sans aucune intervention des organes de contrôle, en association à de nombreuses reprises avec des civils non identifiés qui ont fait un usage indiscriminé et sélectif des armes avec les résultats fatals déjà décrits.

La stigmatisation par le gouvernement de la protestation comme simple vandalisme a conduit les forces de sécurité à agir avec la perception induite que la population protestataire est un ennemi intérieur ; il est dangereux d’amener les militaires dans les rues pour faire face aux demandes des citoyens, puisque leur formation et leur mission sont orientées pour faire face aux situations liées aux conflits armés, par l’utilisation des armes, et non pour traiter les mobilisations pour la revendication de droits.

Le retrait de la réforme fiscale est un triomphe de la protestation sociale, et de millions de personnes qui ont souffert de l’arbitraire des forces de sécurité. Un coût trop élevé pour les victimes de l’entêtement officiel à imposer une réforme pour la dépossession des secteurs les plus vulnérables. Mais les protestations sociales se sont développées pour d’autres raisons supplémentaires, comme la poursuite du génocide des leaders sociaux et des signataires de la paix, les luttes contre l’éradication forcée, la pulvérisation manuelle de glyphosate, et l’ordre ferme de pulvériser par voie aérienne l’herbicide agro-toxique sur toute la campagne colombienne, en ignorant les accords de milliers de cultivateurs de feuilles de coca.

En plus de l’échec de la mise en œuvre intégrale de l’accord de paix et de la recherche d’une solution négociée à la guerre et à la détérioration de la situation humanitaire dans les régions ; pour la garantie d’un revenu de base pour des millions de familles qui souffrent de la faim ou ne peuvent satisfaire leurs besoins fondamentaux, pour des soins de santé efficaces et complets, l’éducation, l’accès à des emplois décents et une politique internationale qui respecte des relations harmonieuses et l’autodétermination des pays voisins.

Pour ces raisons, depuis les plateformes d’organisations de droits de l’homme, de victimes et de paix, nous demandons au gouvernement d’Ivan Duque de revenir sur la décision de militariser la réponse aux protestations sociales et, au contraire, de s’ouvrir à une attitude d’écoute des demandes de la mobilisation sociale.

Nous demandons au Congrès d’exercer ses fonctions de contrôle politique des abus et des excès du gouvernement et de légiférer pour répondre aux demandes de la majorité en faveur d’un revenu de base pour faire face à la crise causée par la négligence sociale de la pandémie et les mesures gouvernementales pour favoriser les intérêts des grandes entreprises du capital national et transnational.

Aux maires et aux gouverneurs, de joindre les voix de rejet de la tentative du gouvernement national de confronter la protestation sociale avec le renforcement des actions militaires et répressives de toutes sortes.

Nous exigeons l’indépendance du Bureau de l’Ombudsman et du Bureau du Procureur Général et nous les exhortons à présenter rapidement un rapport détaillé et complet sur le nombre total de victimes tuées, blessées, abusées sexuellement et détenues arbitrairement dans les événements dénoncés lors de la grève nationale et à rétablir des actions de contrôle contre les abus officiels dans l’utilisation de la force.

De même, nous demandons au bureau du procureur général et au pouvoir judiciaire de mener des enquêtes rapides, sérieuses, indépendantes et exhaustives sur chacune des agressions et des abus dénoncés et de guider les procureurs pour qu’ils cessent d’agir de connivence pour valider l’arbitraire et les abus contre les leaders sociaux, les organisations ou les individus exerçant leur droit de manifester pacifiquement.  

Et à la communauté internationale de promouvoir des actions de vigilance et de suivi de la grave crise humanitaire dont souffre la population colombienne en raison du manque de mise en œuvre des engagements pris dans le cadre de l’Accord de paix, et surtout de demander à l’État colombien de mettre fin aux violations des droits de l’homme découlant du traitement répressif de la mobilisation et de la protestation sociale.

À toutes les entités susmentionnées, nous demandons qu’elles déploient leurs actions pour rétablir, dans les conditions qui doivent prévaloir dans un État de droit, les garanties nécessaires à l’exercice de la mobilisation et de la protestation sociale, sans craindre que leur exercice continue à comporter un risque pour la vie, la liberté, l’intégrité physique, morale et sexuelle de ceux qui revendiquent la jouissance et la validité des droits et libertés publiques et le droit de vivre dans une société en paix et exempte des effets de la guerre.
 

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