Notes de présentation
Anne Michèle Meggs, témoin individuel
2021.04.29 ; 15h30 à 17h30
Merci, Monsieur le président. C’est un honneur d’être invitée à rencontrer le Comité cet après-midi. D’abord, permettez-moi de présenter l’expérience professionnelle qui explique ma présence ici aujourd’hui.
J’ai commencé ma carrière comme professionnelle au gouvernement canadien en travaillant sur le programme des langues officielles en éducation. J’ai également occupé des postes de directrice de cabinet du ministre ontarien délégué aux Affaires francophones, au moment de l’adoption de la première Loi sur les services en français, de directrice de la planification et de la reddition de comptes au ministère québécois responsable de l’immigration et de directrice de la recherche et de l’évaluation à l’Office québécois de la langue française.
Je m’en tiendrai aujourd’hui aux deuxième et troisième objectifs de cet échange touchant le régime linguistique du gouvernement canadien et les modifications possibles de la Loi sur les langues officielles, pour mieux protéger le français.
L’efficience suppose des résultats en lien avec les ressources investies.
- Hors Québec, on peut dire que les résultats sont très mitigés.
- Au Québec, la question ne se pose même pas car, à ce jour, le régime linguistique canadien n’a inclus aucune mesure visant à protéger ou promouvoir le français au Québec. Il l’a fait uniquement pour l’anglais.
Quant à l’impact du régime sur les mesures provinciales visant à protéger le français :
- Hors Québec, sans doute que la situation du français serait encore plus fragile sans les dispositions linguistiques de la Constitution canadienne et le soutien que le fédéral fournit aux provinces pour l’éducation en français à tous les niveaux et à certains groupes de défense du français.
- Au Québec, c’est tout le contraire. Le régime linguistique du gouvernement canadien vise paradoxalement à « protéger » la langue majoritaire du pays. Soyons clair, il n’y a qu’une langue officielle qui est menacée au Canada, le français.
Voici quelques impacts au Québec du régime linguistique canadien sur les efforts provinciaux pour protéger le français, ainsi que sur la cohésion sociale au sein du Québec :
- La Constitution canadienne contient plusieurs articles qui ont servi à abroger de larges parties de la version originale de la Charte de la langue française, limitant ainsi la capacité du gouvernement du Québec à légiférer en faveur du français. Par exemple, en ce qui concerne la langue des interventions à l’Assemblée nationale, la traduction des lois, le bilinguisme des tribunaux, l’affichage commercial et l’accès aux écoles anglaises.
- L’application du régime bilingue canadien a également un impact significatif sur le visage linguistique du Québec. Il est impossible pour le gouvernement du Québec d’imposer un affichage commercial uniquement en français. Tout ce qui est de compétence fédérale projette une image de bilinguisme plaçant l’anglais au même niveau que le français au Québec (édifices fédéraux, ponts, ports, parcs fédéraux, toute publicité fédérale, et même toute publicité des événements financés par le fédéral).
- L’administration publique fédérale n’est pas assujettie à la Charte québécoise qui priorise les services et le droit de travailler en français. Et le bilinguisme est carrément imposé sur le territoire québécois de la Capitale nationale canadienne.
- Le régime linguistique canadien engendre également des embûches pour le Québec à la défense du français hors Québec. Il crée une fausse symétrie entre le français hors Québec et l’anglais au Québec et ce, jusque dans les domaines de compétence exclusivement provinciale comme la santé ou l’éducation. Ce qui est bon pour le français hors Québec l’est aussi pour l’anglais au Québec. S’il dénonce la fermeture d’un hôpital français dans une autre province, le Québec nuit à sa propre marge de manœuvre dans la gestion de son système de santé. Même chose dans le domaine de l’éducation.
- Cette fausse symétrie nuit aussi à la cohésion sociale au Québec. Si on avait reconnu dès le début de ce débat dans les années 60 le fait que c’est le français qui a besoin de protection partout au Canada, on aurait mis en place les fondements d’un consensus sur les mesures nécessaires pour atteindre ce but. Or, on se retrouve avec une législation qui sous-tend le financement pour la protection de l’anglais au Québec et aux groupes qui défendent l’anglais.
- Finalement, parlons de l’intégration en français des personnes immigrantes au Québec. L’Accord Canada-Québec sur l’immigration est le seul document que je connaisse où le gouvernement fédéral déroge un tant soit peu du principe de la symétrie linguistique. En fait, il y reconnaît l’importance d’une « intégration des immigrants respectueuse du caractère distinct de la société québécoise. » Le calcul du transfert est basé sur le nombre de non-francophones admis au Québec et il y est stipulé que les cours d’intégration linguistique seront en français. Mais pour le reste, le processus d’immigration est géré par le fédéral et tout est donc bilingue. La personne arrivant au Québec de l’étranger a le choix de la langue officielle pour les permis de travail ou d’études, pour la résidence permanente, pour l’accès à la citoyenneté. À chaque étape le message est clair : au Québec, l’anglais est une langue officielle du nouveau pays et il est permis et même normal de choisir l’anglais. Tout le contraire du message que le Québec essaie de véhiculer et qui est à la base de l’Accord, soit l’affirmation du français comme langue d’inclusion et de participation.
Maintenant, que faire ? Y a-t-il des modifications possibles à la Loi sur les langues officielles qui enlèveraient ces empiètements à la capacité du gouvernement du Québec d’agir en faveur du français au Québec et même hors Québec ?
Je ne suis pas juriste, mais comme je l’ai mentionné, j’ai eu le privilège de jouer un rôle dans l’adoption de la première Loi sur les services en français en Ontario. Le gouvernement (alors libéral minoritaire) a déterminé que le vrai besoin était d’assurer l’offre de services publics en français. Les services publics en anglais allaient de soi. La loi ne touche d’ailleurs que les services publics. Elle n’aborde pas les programmes de soutien aux groupes qui défendent le français. Elle ne mentionne aucune minorité. Les services publics sont disponibles en français dans les régions et dans les bureaux définis par la loi. Point.
Il est impossible de modifier la plus grande partie de la Loi sur les langues officielles parce qu’elle définit, en général, l’application des articles de l’intouchable Constitution canadienne.
Les articles de la Loi les plus problématiques ne découlent pourtant pas de la Constitution. Ils sont ceux qui créent le concept d’une minorité anglophone au Canada, et qui proposent des mesures pour favoriser l’épanouissement et le développement de cette « minorité » et pour promouvoir la « pleine reconnaissance et l’usage … de l’anglais dans la société canadienne. » Il est impossible d’envisager comment cela peut se faire « dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs » du gouvernement du Québec, promis à l’article 42(2).
Je termine donc avec cette recommandation. Les modifications à faire à la Loi sur les langues officielles devraient se concentrer sur les articles qui sont à la base de l’idée que l’anglais est une langue minoritaire au Canada, qu’il existe donc une minorité anglophone et que les deux sont en danger. Le message est peut-être difficile à entendre, mais il est, à mon avis, impossible pour le gouvernement fédéral de protéger le français au Québec en y faisant la promotion de l’anglais.
Je vous remercie de votre attention et il me fera plaisir de répondre aux questions du Comité.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal