par Pierre Chazal.
Maximilien Robespierre (1758-1794), à qui l’on pourra reprocher beaucoup de choses mais jamais d’avoir fait tirer la police ou l’armée sur la foule – à la différence de La Fayette, Thiers, Louis Napoléon Bonaparte et d’autres de plus récente mémoire – avait eu ce mot très rousseauiste à la Constituante, juste avant la chute de la monarchie : « Le peuple veut toujours le bien, mais il ne le voit pas toujours. Sa bonté naturelle le dispose à être la dupe des charlatans politiques. »
A l’heure où ce mot de charlatan est passé dans le domaine public depuis qu’un certain Didier Raoult est sorti de sa boîte à camembert pour emboucaner le débat scientifique d’observations dérangeantes pour la clique de l’INSERM et de l’APHP, il paraît plus urgent encore d’exhumer du dictionnaire cette autre notion qu’est celle de peuple, et qui n’a jamais paru aussi vide de sens depuis qu’un célèbre coronavirus a foutu sa merde dans l’ex-pays des Lumières – et à peu près partout ailleurs.
Aucun témoignage parvenu jusqu’à nous ne permet d’affirmer, ni même de supposer, que la grippe espagnole (1918), la grippe asiatique (1957) ou la grippe de Hong Kong (1968) aient mis un tel bocson dans l’ex-patrie des droits de l’homme. Est-ce à dire que nos aïeux avaient d’autres chats à fouetter que s’étriper à H24 autour de la nécessité ou non de mettre un bout de chiffon devant sa bouche, d’interdire la vente de sous-vêtements ou de rentrer chez soi à 19 heures pétantes pour se protéger de la contagion ? Probablement. Est-ce à dire que nous sommes devenus, en l’espace de quelques générations, une bande de trouillards sans cervelle accrocs au story-telling médiatique et soumis béatement aux injonctions débiles d’un pouvoir en perdition ? La réalité est plus contrastée.
Dans son livre consacré à l’Incorruptible, Marcel Gauchet ne manque pas de souligner à quel point Robespierre, véritable boussole de la Révolution française, s’est fabriqué presque malgré lui une vision idéalisée du peuple, une « fiction d’un peuple un et bon » sur laquelle il a fondé l’essentiel de son magistère moral. Une confiance absolue en la pureté du plus grand nombre, au point d’affirmer à la tribune de l’Assemblée, comme pris d’une transe quasi mystique : « Pour aimer la justice et l’égalité, le peuple n’a pas besoin d’une grande vertu ; il lui suffit de s’aimer lui-même. » Cette abstraction et cette réduction du peuple en un tout homogène mû par un idéal commun et naturellement immunisé contre la corruption, l’ambition et les bassesses en tout genre, nombreux seront ceux à les lui reprocher, et notamment Danton, autre figure populaire de la Révolution beaucoup plus en phase avec la réalité, sordide, louvoyante et contradictoire, des mœurs et des aspirations des gens. Comme le rappelle Marcel Gauchet, les révolutionnaires français n’étaient en fin de compte « qu’une avant-garde convaincue d’avoir la légitimité pour elle », ce qui ne doit pas être très éloigné de l’état d’esprit, d’ailleurs, des nains de jardin qui nous gouvernent aujourd’hui.
Depuis qu’il a posé ses valises dans nos vertes contrées, il y a déjà plus d’un an de ça, le virus de Wuhan a littéralement fait jaillir du sol tout ce qui, depuis longtemps, était en germe au sein de la société française : la nullité crasse du corps politique, l’inconsistance devenue flagrante de l’opposition contrôlée, la vacuité, la malhonnêteté et la servilité des grands médias, mais aussi – et surtout – l’incroyable délitement sociétal, culturel et moral d’une nation qu’on savait aux antipodes de la vision féérique d’un Robespierre, mais dont on ne soupçonnait pas la force d’inertie ni le degré de désintérêt pour la chose publique, cette fameuse res publica censée magnétiser les foules depuis que Marat, Saint-Just et leurs copains en avaient arraché le copyright à Louis XVI et à Necker.
Demander à un Français, aujourd’hui, ce qu’il pense en gros de tout ce bordel, c’est s’exposer huit fois sur dix à un laconique : « On n’y comprend rien de toute façon, espérons que ça s’arrête bientôt. » Nécessité fait loi, hier comme aujourd’hui. Pas plus que l’ensemble du peuple de Paris, en 1794, ne se pressait chaque jour place de la Concorde pour savoir qui l’on avait guillotiné et pour quel motif obscur, le Français de 2021 a sans doute toujours mieux à faire, une fois sa journée de travail achevée et ses enfants couchés, que de chercher à distinguer, dans le magma de propagande baveuse qu’on nous sert du matin au soir, la vérité du mensonge. Et pour ce qui est de la quête de l’intérêt général, ma foi, on nous l’a suffisamment détaillé en long, en large et en travers sur toutes les chaînes de télé pour qu’il n’y ait plus à hésiter. Si ce n’est peut-être entre Pfizer, Moderna et Astrazeneca.
L’arrosoir de Big Pharma était sans doute rempli de nobles intentions bien avant que le virus fasse sa moisson de fleurs fanées – et un peu plus que ça, pour lui rendre justice – mais les jardiniers du tout vaccinal n’ont pas eu à tellement retourner la terre pour semer les graines de la peur et de la résignation dans le sol fertile de nos civilisations fébriles et démobilisées. Le terrain était déjà prêt pour la grande floraison de printemps. On nous avait vendu l’euro. On nous avait vendu Macron. Il n’y avait aucune raison de croire que nous survendre une pandémie, de la distanciation sociale, un vaccin et des QR codes pour en sortir relève de l’irréalisable. Le peuple du virus, et pas seulement en France, a vite compris qui allait faire le loup et qui allait faire l’agneau dans cette fable tout à la fois moyenâgeuse et futuriste. Quand, à l’entrée de la saison hivernale, les télévisions, les journaux, les hospitaliers, les virologues et les politiques se sont mis de concert à hurler à la fin du monde, chacun en a pris son parti et affronté l’orage à sa manière.
Il y a bien sûr ceux qui y ont cru et qui y croient toujours. Non pas simplement à l’épidémie, bien réelle, mais à son caractère apocalyptique et à la saine et salvatrice méfiance envers tout le corps social, famille, collègues et amis compris. A ceux-ci il leur fut enjoint de porter un masque en toute circonstance, de se faire tester trois fois par semaine et d’appeler le 15 quand ils se sentaient seuls. L’hypocondrie a ses raisons que la raison ignore, et ce n’est pas là un mal que nos sachants et nos savants des plateaux télé se sont empressés de combattre. Si se faire vacciner « les rassure », tout comme porter un masque en kayak en descendant la Garonne, combien de médecins auraient la cruauté d’éclairer leurs patients à ce point épouvantés ? Avoir peur, en 2021, est un acte de bravoure et de citoyenneté à encourager par tous les moyens, jusqu’à offrir des bons d’achat Super U ou Leclerc pour les 2000 premiers piquouzés.
Puisqu’aucun traitement n’existe, du moins jusqu’à ce que Pfizer & Co nous sortent un antiviral hors de prix homologué par l’ANSM, on pourrait même tenir à jour un inventaire citoyen des divers médecins et pharmaciens qui ont refusé depuis un an de refiler de l’hydroxychloroquine, du zinc ou de l’ivermectine aux malades pour en afficher la liste émérite sur tous les panneaux d’affichage (mairies, écoles, ministères, abribus) de la République de la Vertu. Marat et Danton, en septembre 1792, avaient fait placarder des appels au meurtre contre les « ennemis du peuple » sur les murs de Paris, et les sans-culottes parisiens ne s’étaient pas fait prier pour épurer les prisons des ‘serviteurs’ de l’ancienne monarchie. Dans le cas présent, il s’agirait tout au contraire de mettre un nom et un visage sur tous ces héros de la médecine moderne dont la noblesse d’âme et le dévouement patriotes méritent autre chose que de vulgaires primes Covid pour chaque remontée de cas ou chaque acte de vaccination.
Le peuple des masqués qui se croisent sans se regarder sur les boulevards parisiens, Smartphone en main et écouteurs aux oreilles, n’est pas pour autant un et invisible comme pourrait le croire un observateur naïf pétri des idéaux du siècle des « Lumières ». Parmi tous ceux qui se pressaient tous les dimanches à l’église, en cette seconde moitié de 18ème siècle, combien auraient accepté de répondre à un sondage IFOP à la sortie de la messe et répondu sans hésiter à une question du genre : « Croyez-vous réellement en la transsubstantiation, la présence réelle du Christ dans l’hostie ? » Le droit canonique distingue de façon nette et catégorique for interne (jugement d’un acte par rapport à sa conscience personnelle) et for externe (jugement d’un acte par rapport à des critères objectifs), et les dix commandements du covidisme (téléconsultation au moindre nez qui coule, port du masque à l’extérieur, interdiction de rassemblements, limite de déplacements, quarantaine et isolement au premier cas contact, vaccination citoyenne…) sont loin d’avoir tous été uniformément intériorisés par les pratiquants de la nouvelle religion d’Etat.
En ce qui concerne le port du masque dans l’espace public, la soumission est incontestable. En position verticale et quand il est en mouvement (par exemple quand il marche dans la rue, seul ou accompagné), le Français montre admirablement l’exemple. En position assise ou bien quand il est dans un parc, il lui arrive de baisser sa garde, mais il serait mal venu d’y voir là un signe de révolte. Il s’agit d’une pause, d’une respiration que ses confesseurs verbalisateurs, à savoir les flics et les gendarmettes, lui accordent le plus souvent avec un esprit de clémence qui honore leur profession. En position allongée sur un banc ou sur une pelouse, la pratique relève de la psychiatrie, étant entendu que l’Académie de médecine elle-même tarde à livrer son verdict sur son utilité.
Mais tandis que le refus pur et simple de porter un masque en extérieur relève d’un acte politique – j’emmerde la doctrine et je contesterai les amendes – l’inverse ne l’est pas. De même, finalement, que retirer son chapeau dans une église et y observer le silence n’est pas un acte religieux. C’est un acte de civisme respectueux de la croyance d’autrui, ou plus exactement de l’idée qu’on se fait de sa croyance. C’est tout aussi valable, d’ailleurs, pour le port du masque en intérieur où beaucoup ont bien moins peur de contaminer la clientèle que de l’indisposer. A Rome, on fait comme les Romains et on n’y prend pas – c’est d’ailleurs impossible – son café chez Starbucks.
Il ne faudrait pas non plus oublier qu’au plus fort de la première vague, au printemps 2020, la pénurie de masques a tellement fait jaser sur les plateaux télé et parmi l’opposition indignée (« On veut des masques ! Où sont nos masques ? Qui a brûlé nos stocks de masques ?! ») qu’il ne fallait pas s’attendre à autre chose qu’un tel retour de boomerang de la part d’un exécutif vexé dans sa chair et avide de revanche : « Vous demandiez des masques, braves gens ? Et bien on va vous en faire bouffer tous les jours, matin, midi et soir jusqu’en 2022. » On sait que Louis XVI lui-même n’était pas aussi insensible qu’on le dit aux suppliques de son peuple, et lorsqu’une délégation de femmes est venue le trouver directement à Versailles pour demander du pain, il en a pris bonne note et décrété la baguette bien public national.
La France vue du ciel et racontée par les grands médias offre l’image, en vérité trompeuse, d’une nation servile et chloroformée unie dans une même apathie citoyenne. Le brainwashing médico-légal a, il est vrai, plutôt bien fonctionné. Il est communément admis dans la population que le virus de Wuhan a fait cent mille victimes, que les confinements successifs ont évité la catastrophe, que puisque tout le monde a fait comme ça c’est qu’on ne pouvait pas faire autrement, et surtout que c’est par la vaccination de masse que l’humanité toute entière recouvrera ses droits et sa liberté, suspendus temporairement par la menace terroriste climatique sanitaire. A côté de ça, les restaurants, les bars, les piscines et les salles de sport sont toujours fermés. Les enfants sont masqués huit heures par jour à l’école, y-compris pendant la récréation. Les quelques manifestations libertaires qui ont eu lieu ici ou là n’ont jamais dépassé les cinq cent têtes de pipe tandis qu’en Serbie, en Allemagne, en Angleterre ou aux Pays-Bas, les Ligues Compotistes des Droits de l’Homme et des Irresponsables ont régulièrement réuni sous une même bannière haineuse et vindicative des dizaines de milliers de personnes, au prix d’affrontements parfois violents avec la police.
Si Mao ou Pol Pot devaient aujourd’hui se choisir un nouveau pays pour tenter d’ouvrir en Europe un comptoir néo-staliniste, pas évidemment, sur la foi de ces indices, qu’ils choisissent l’Ukraine ou la Biélorussie. A l’inverse, l’infatigable Robespierre aurait sans doute plus de succès à l’heure actuelle au Parlement anglais – pays qu’il a toujours exécré – qu’à notre défunte assemblée nationale, cette belle endormie que ne sont parvenus à sortir de sa torpeur ni François Ruffin, ni Martine Wonner, ni quelques autres illuminés qui n’ont toujours pas intégré le concept que perturber la sieste d’un député pendant une séance parlementaire n’entrait pas dans les prérogatives des représentants de la nation.
Le peuple est mort, vive le roi ? C’est un peu vrai, mais pas complètement. Pour les quelques millions de Français qui n’ont pas encore basculé dans le consumérisme apolitique et apatride encouragé par les GAFAM pour mieux régner sur les portefeuilles, la crise du virus a été un choc qui les a forcés à sortir du bois. Avec leur scientisme moralisateur et leur doctrine sanitaire crapuleuse et autoritaire, les arroseurs de vaccins et les censeurs du médicalement correct ont fait pousser dans nos jardins de jolis pommiers de la discorde.
Examen de conscience oblige, certains abonnés de Mediapart ne savent plus trop s’ils doivent haïr davantage l’abominable Macron ou les généraux factieux auteurs d’une infâme tribune putschiste dans Valeurs Actuelles. Les lecteurs du Monde et de Libération ont bien compris qu’ils devraient se faire vacciner tous les six mois tout en continuant à porter le masque pour avoir le droit d’aller voir une pièce de Yasmina Reza, mais comme tonton Biden vient de dire qu’aux USA, les inoculés en seraient dispensés, ils aimeraient bien profiter d’une égale mansuétude, eût égard à leurs bons et loyaux états de service dans le combat à mort contre le trumpisme. Les adorateurs de Grand Corps Malade, Lambert Wilson et Pierre Arditi vivaient plutôt bien, jusque là, leur avantage concurrentiel en termes de culture et de raffinement sur les fans de Francis Lalanne ou Jean-Marie Bigard, mais voilà-t-il pas qu’ils poussent le raffinement jusqu’à se faire les chantres de la vaccination pour « sortir de l’impasse », tandis que les deux autres, moins pressés de céder aux sirènes du chantage, se réservent un droit d’objection qui ne laisse pas insensible bien au-delà du cercle des ahuris ‘complotistes’.
Dans des combats d’arrière-garde où les réflexes pavloviens confinent à la crise d’épilepsie, Mélenchonistes et Lepénistes nous rejouent la Guerre des boutons en s’envoyant à la gueule toutes les invectives de rigueur (indigéniste, fasciste, islamo-gauchiste, raciste, immigrationniste…) qui ne servent à rien d’autre depuis un an qu’à faire le lit de la Macronie. Mais pendant que tout ce monde-là se chamaille allègrement sous le regard amusé de la clique mondialiste et des labos pharmaceutiques qui poussent leur agenda au grand jour en engrangeant des milliards, ce sont des millions de Français qu’on continue à enfermer, verbaliser, pressuriser et menacer sous couvert d’un ordre sanitaire qu’aucun de ces joyeux drilles ne s’aventure à remettre en cause.
C’est que la vraie résistance – qui présuppose l’idée de peuple, uni dans l’adversité et dépositaire d’un projet commun remobilisateur – a déserté depuis longtemps les gradins de l’arène politico-médiatique. Ce ne sont pas les muselés, les soumis et les indifférents qui « font peuple » aujourd’hui dans ce respect silencieux et qu’on nous vend « solidaire » des mesures de restriction et du package totalitaire appelé à leur succéder (pass sanitaire, QR codes, vaccinariums et apartheid). Ce sont ceux qui ont répondu à l’appel de Louis Fouché et ont dansé et chanté dans les rues de Nîmes par un beau week-end d’avril en tombant ces masques inutiles, symboles de notre hébétude. Ce sont ceux qui ont compris que les Masques blancs qui défilent dans plusieurs villes de France nous disent quelque chose de notre civilisation qui mérite d’être entendu – et médité si affinités. Ce sont qui ont fait d’une chanson, Danser encore, le prochain tube de l’été et presque une nouvelle Marseillaise que nous envient – et reprennent dans leurs langues – nos voisins enfin à nouveau admiratifs de cet « esprit français » de liberté et d’insoumission qui les intriguait tant quand ils lisaient Astérix.
Ce sont ceux qui, à l’instar d’Aude Ancelin (journaliste transfuge du Nouvel Obs et fondatrice du nouveau média QG TV), ont compris qu’hurler au fascisme et à l’antisémitisme dès qu’une occasion se présente suffit peut-être à se dire de gauche, mais ne suffit pas à s’en convaincre si l’on entend rester honnête avec soi-même. Il y a d’autres injustices, d’autres combats à mener en dehors du champ balisé et banalisé de l’antiracisme institutionnel. Ce sont ceux aussi qui, à droite, ont décidé qu’il valait mieux en fin de compte écouter Pierre-Yves Rougeyron ou Charles Gave que lire Le Figaro pour apprendre quelque chose du monde qui nous entoure et de l’avenir qui nous attend.
Espérons donc que ces vaillantes petites débroussailleuses du renouveau citoyen nous débarrasseront, avec le printemps et l’été qui s’en viennent, d’une partie de cet égoïsme bourgeois et de cette torpeur existentielle qui laissent depuis trop longtemps proliférer les mauvaises herbes. Le roi est mort, vive le peuple. Voilà un air qu’en 2022, on rêverait de chanter à nos balcons.
source : https://www.levilainpetitcanard.be/le-peuple-du-virus/
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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