L’État québécois a finalement accusé réception vendredi du volumineux rapport définitif de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, nommée le plus souvent d’après le nom de Régine Laurent, sa présidente. Près de deux ans après sa mise sur pied, la commission Laurent a remis ses recommandations, appuyées unanimement par tous les commissaires. Les conclusions, très attendues, seront rendues publiques lundi après-midi. Déjà, il en est question partout. Doit-on s’attendre à une révolution ?
« Ce ne sera pas magique et il faudra du temps pour changer les choses », déclare d’emblée Camil Bouchard, auteur d’Un Québec fou de ses enfants, un rapport qui a fait date. « Il faudra, à la lumière de ce que propose le rapport, examiner les stratégies et les prétentions de plusieurs programmes », dit l’ancien professeur de l’UQAM. Ce qui va demander du temps et de la bonne volonté. « L’État va devoir revoir honnêtement ses services et ses programmes. Dans ce cadre, il est certain que la Santé publique devra être appelée au front. Il faut que de l’argent soit là pour que nous puissions enfin miser, comme société, à la fois sur une meilleure formation et sur beaucoup plus de prévention. »
Depuis trop d’années, la prévention fait amèrement défaut au Québec, observe M. Bouchard. Il résume à cet égard les propos de plusieurs intervenants entendus lors des travaux itinérants de la commission Laurent. Ces économies faites au prix de la prévention ont fini par coûter très cher collectivement. Qui plus est, ajoute-t-il, « un sérieux manque de leadership, tant sur le plan national que sur le plan régional, se fait sentir ». La structure centralisée des CIUSSS, dans lesquels les directions de la protection de la jeunesse (DPJ) ont été fondues, n’a pas amélioré les choses, ont affirmé des spécialistes. Recommandera-t-on de sortir les DPJ de là ? Ce n’est pas impossible.
À la suite de la mort tragique d’une enfant victime de violence à Granby, quarante ans après l’adoption de la Loi sur la protection de la jeunesse, le gouvernement du Québec mettait sur pied, le 30 mai 2019, cette commission spéciale pour faire la lumière sur tout l’univers de la protection de la jeunesse.
Des observations ont déjà été formulées par les membres de la commission en décembre 2019 et en novembre 2020. Il faut s’attendre à en retrouver plusieurs dans les recommandations finales. En décembre 2020, la commission Laurent plaidait par exemple déjà en faveur de la création d’une Direction nationale de la protection de la jeunesse, outillée et habilitée à exercer un rôle de surveillance et de coordination. D’une région à l’autre, a observé la commission, les services offerts et la qualité de ceux-ci varient, faute d’un contrôle national.
De bonnes nouvelles ?
Un rapport n’est en soi ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, considère Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’UQAM. « Les gens pensent qu’il s’agit d’une bonne chose » en soi, ce rapport, observe-t-elle. « Ils tombent dans le panneau du discours vertueux… Ils trouvent qu’“enfin on agit”. » Or, ce n’est pas ainsi qu’il faut considérer un tel rapport, croit-elle. Il s’agit plutôt d’une occasion d’établir un point de repère à partir duquel on pourra examiner des progrès ou des reculs en matière de droits. À son sens, le grand mérite d’un tel rapport est d’ouvrir une brèche qui permet de jeter enfin de la lumière sur tout un système. Autrement dit, « le dépôt du rapport n’est pas une “fin” » en soi. Ce sera au contraire un nouveau point de départ, affirme-t-elle.
Même son de cloche du côté de Camil Bouchard à cet égard. « Ce sera long encore ! Il y en a pour des années à animer ou à réanimer des services sociaux qui sachent enfin miser sur la prévention. » À cette fin, répète-t-il, le temps presse pour que l’État donne les moyens d’améliorer la condition de la population en commençant à se préoccuper, pour l’avenir, du sort des plus petits d’aujourd’hui.
Depuis quarante ans, les signalements à la Direction de la protection de la jeunesse n’ont cessé d’augmenter. La DPJ est devenue ce qu’elle n’était pas destinée à être, c’est-à-dire une porte d’entrée pour recevoir des services. Imaginée au départ comme une législation d’exception, la Loi sur la protection de la jeunesse apparaît en 2021 tel un filet social destiné à remédier aux trous créés dans d’autres services. Avec le temps, l’exception est devenue la règle. Ainsi, les signalements pour maltraitance auprès de la DPJ ne cessent de gonfler, année après année.
En 2020, plus de 37 000 enfants ont été pris en charge au Québec par la DPJ. Une augmentation de 4 % par rapport à l’année précédente. Un quart de ces enfants ont moins de cinq ans. Depuis les années 1980, ces chiffres sont en croissance.
Or, les services pour venir en aide aux familles et aux enfants se sont retrouvés clairsemés au fil des ans, notamment à la suite de la mise en place de mesures d’austérité et de la restructuration des services de santé. Au cours des travaux de la commission, plusieurs spécialistes sont venus le déplorer.
La présidente de la commission elle-même, Régine Laurent, en arrivait à un triste constat en mai 2020 : « Est-ce que ça pourrait être pire ? Je ne pense pas qu’on puisse aller plus bas dans la non-réponse à des familles », avait-elle déclaré au Devoir à l’occasion de la fin des audiences publiques.
Le gouvernement entend revoir sa loi après le dépôt du rapport. Il ne s’en cache pas. En fait, il y a plusieurs semaines déjà que l’on sait que le ministre Lionel Carmant est disposé à opérer des transformations législatives susceptibles d’améliorer le cadre légal général. Mais il est mensonger, estime la professeure Jade Bourdages, de prétendre que les modifications viseront à remettre en cause la « primauté du droit parental ». Dans la loi actuelle, dit-elle, l’intérêt de l’enfant est bel et bien déjà au centre, comme il l’est dans toutes les chartes internationales du genre. Il s’agirait donc plutôt de modifications visant des perspectives nouvelles, lesquelles demeurent à évaluer, croit-elle.
Confidentialité et coordination
Il sera assurément question, dans les recommandations, des entraves que posent les mesures légales de confidentialité. Elles sont parfois jugées trop restrictives, voire contre-productives, par des intervenants qui doivent pouvoir mieux connaître les profils des enfants.
Geneviève Rioux, la présidente de la Fédération des familles d’accueil et ressources intermédiaires du Québec (FFARIQ), en donnait un exemple cette semaine en entrevue au Devoir. Un enfant fait une fugue. Il est retrouvé par les policiers et mis en sécurité. Un sergent de la police demande à sa famille d’accueil les coordonnées d’un parent afin que la sécurité de l’enfant puisse bel et bien être assurée pour la nuit. « Or, on ne peut pas donner ce genre d’information. On sait que le policier est bien intentionné, mais, dans cette situation, tout le monde est coincé. Le policier est en maudit. Et la personne de la famille d’accueil aussi. Tous les deux savent pourtant que c’est dans l’intérêt de l’enfant que ses coordonnées soient communiquées. » Mais on ne les donnera pas. À cause de la loi.
Durant les travaux de la commission Laurent, des cas semblables ont souvent été portés à l’attention des commissaires. Sous le paravent de la confidentialité des dossiers, a déploré Régine Laurent, les enfants font les frais de services fournis dans l’à peu près, faute pour le personnel d’en savoir davantage sur eux.
Au-delà de ces entraves d’ordre juridique, la commission a observé à répétition les effets d’un manque de concertation entre les différents services liés à l’enfance. Cette situation, aux yeux de plusieurs, s’est aggravée à la suite de la réforme des services de la santé opérée par le ministre libéral Gaétan Barrette. Dans la superstructure mise en place par cette réforme, les DPJ se sont trouvées avalées par des structures qui ont coupé des ponts avec des services intermédiaires pourtant nécessaires.
Une base pour l’avenir
La principale fonction d’un rapport du genre, croit la professeure Jade Bourdages, « est de nous donner un outil ». Un outil auquel il sera possible désormais de faire appel « pour interroger, faire pression, surveiller ce qu’ils font ». Un peu comme le rapport de la commission Viens permet désormais de plus facilement faire le point sur les services publics dans leurs relations avec les Autochtones.
Régine Laurent a dit plus d’une fois à quel point elle se battrait pour ce rapport. Mais elle ne s’est jamais attendue à ce que les solutions surviennent comme par enchantement, du jour au lendemain, à compter du dépôt. « C’est clair que le gouvernement ne pourra pas tout faire la première année. Mais je m’attends à ce qu’il dise : voici notre plan pour l’an 1, 2 et 3. »
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