Les écoles de danse de loisir craignent pour leur survie. Après avoir sonné l’alarme à l’automne, ces écoles continuent de voir les mesures pandémiques d’aide financière leur échapper. « Ce qu’on appréhendait en octobre est en train de se produire », se désole le Réseau d’enseignement de la danse (RED). « On assiste à des fermetures d’écoles, à des mises à pied de professeurs, à des profs épuisés jusqu’au burn-out par l’enseignement en ligne. »
Près de 62 % des écoles de loisir sont temporairement fermées pour la session de printemps, selon un sondage tout récent mené par le RED auprès de ses quelque 185 membres. « Ces écoles ne donnent même pas une session en ligne : pour elles, ça ne sert plus à rien. Les jeunes ne sont plus au rendez-vous, les profs et les directeurs sont épuisés », analyse la directrice générale, Véronique Clément. Pas moins de 57 % des écoles ont mis à pied de 75 % à 100 % de leur main-d’œuvre, essentiellement des professeurs, et 25 % des 420 écoles au Québec ont fermé ou envisagent de le faire d’ici l’été.
« La réalité d’une école de danse n’est pas la même que celle d’un commerce avec pignon sur rue. Elles engagent surtout des pigistes, des professeurs très spécialisés qui sont des travailleurs autonomes. » Ces salaires-là ne comptent pas dans les frais fixes admissibles à l’Aide aux entreprises en régions en alerte maximale (AERAM), ni aux subventions à la masse salariale qui viennent aider les entreprises à surmonter la crise, laissant les écoles de danse dépourvues.
Les écoles qui ont pu avoir de l’aide sont celles qui sont subventionnées au fonctionnement par le ministère de la Culture. Elles sont une quinzaine seulement. « Après notre cri du cœur en octobre dernier, le ministre [de l’Économie] a réagi très rapidement, afin d’inclure les écoles de danse, comme d’autres entreprises qui avaient été ignorées dans la première mouture des aides financières, à l’AERAM. Mais on réalise finalement que moins de 50 % de nos membres ont pu se qualifier à ces subventions. » L’aide récente apportée à la danse professionnelle (6,5 M$) par le ministère de la Culture, comme celle donnée pour la relance sportive (5 M$), échappe aux écoles de danse de loisir.
Former danseurs et spectateurs
Les répercussions d’un manque d’enseignement de la danse en loisir pourraient affecter tout le secteur. « La pépinière de talents, le bassin de recrutement, ce sont les écoles de loisir qui sont souvent des écoles préparatoires. C’est là que les chorégraphes et interprètes font leurs premiers pas. » Yves Rocray, directeur général de l’École de danse contemporaine de Montréal, qui offre une formation professionnelle, le confirme. « Il sort des écoles préparatoires du Québec de très grands talents, dont certains font carrière en danse par la suite. Ces établissements sont essentiels pour nous. »
« Notre formation devient une place de choix pour les candidats internationaux qui prennent chaque année une part plus importante au sein des demandes d’inscription, » poursuit M. Rocray. Mme Clément le dit autrement : « Il y a déjà un problème de recrutement dans les écoles supérieures au Québec, qui ont de plus en plus de mal à recruter des élèves qualifiés québécois. Si on a moins d’écoles préparatoires et moins de professeurs compétents, ça va créer un problème dans tout le continuum de la danse », prédit-elle.
Et sur tous les plans. En effet, les écoles de loisir forment aussi des spectateurs, servant de médiateur culturel auprès des jeunes danseurs. Auprès de leurs parents et de leurs grands-parents, même. « Leur immersion commence là. Cette année, ça fait trois spectacles de fin de session qu’on manque depuis le début de la pandémie, avec des répercussions plus larges que juste sur le plan financier pour les écoles. »
Si on a moins d’écoles préparatoires et moins de professeurs compétents, ça va créer un problème dans tout le continuum de la danse
Quelle serait la solution pour le RED ? « On aimerait des mesures compensatoires à la perte des inscriptions aux cours. Si on regarde ce qui est offert comme mesures aux sports et loisirs, on voit que les pertes financières liées aux compétitions sont compensées. On pourrait faire la même chose avec les spectacles de fin de session et les inscriptions, pour s’assurer que la relance se fait avec un seuil de rentabilité minimal. »
La ministre de la Culture, Nathalie Roy, « est sensible à la situation des écoles de danse, qu’elles soient de loisir ou pour la formation artistique professionnelle », a assuré son cabinet. « Nous étudions présentement différents scénarios d’aide supplémentaire pour les organismes déjà soutenus découlant dela bonification pour le plan de relance reçue dans le dernier budget. » Le cabinet du ministère de l’Économie n’a pas répondu aux questions du Devoir dans le délai octroyé.
Contre-exemple
Certains arrivent à tirer leur épingle du jeu. Comme Studio Bizz, qui fait figure de contre-exemple — qui n’est pas membre du RED et qu’on ne peut comparer aux écoles de danse, son statut de locateur de studios le rendant fondamentalement différent. « Les écoles ont une mission plus précise », modère le propriétaire Martin Giroux. « Nous, on est un entrepreneur. La pandémie nous met la tête sur le billot. On réagit en investissant. »
Pour devenir un média diffuseur de cours de danse de loisir en ligne, Studio Bizz a adopté une approche agressive. « En octobre 2020, on a embauché nos profs comme salariés. Je n’avais pas de staff ; maintenant, j’ai 25 employés », à temps plein et partiel, révèle M. Giroux. Cette gymnastique, outre la sécurité qu’elle offre aux professeurs, permet ainsi au studio de bénéficier des mesures d’aide financière.
« On a investi 50 000 $ pour la mise en ligne de notre plateforme », qui offre des classes de danse, mais aussi de Pilates, de yoga, de tabata cardio. « On va investir 250 000 $ d’ici la fin du mois de mai. On pense que c’est un projet total de 1 M$. On a maintenant une équipe média : pour chaque classe virtuelle, un régisseur technique et un opérateur. Pour le professeur, c’est clé en main. » C’est loin d’être toutes les écoles de danse qui peuvent se lancer, avec ce niveau de risque, dans une aventure du genre, elles dont la marge de profit tourne en général autour du 15 %.
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Source : Lire l'article complet par Le Devoir
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