L’auteur habite Saint-Germain-de-Kamouraska
Le Mouvement Démocratie Nouvelle (MDN), présidé par Jean-Pierre Charbonneau et Françoise David, se plaint amèrement parce que le projet de mode de scrutin mixte avec compensation régionale, qui a fait l’objet d’une entente de tous les partis politiques sauf les Libéraux et que Legault avait promis d’adopter avant la prochaine élection, est paralysé dans la machine parlementaire du gouvernement.
Certes la CAQ, maintenant qu’elle a obtenu une forte majorité grâce au scrutin actuel (uninominal-majoritaire-un tour) n’est plus très chaude à l’idée de changer le mode de scrutin. Sa clientèle régionale craint aussi d’y perdre au change. Le gouvernement Legault s’est rabattu sur l’idée d’un référendum attaché à la prochaine élection. Mais la pandémie lui fournit maintenant une excuse pour ne même pas agir à temps pour que ce référendum soit possible.
Mais la vraie raison pour laquelle les choses trainent – et avec raison selon moi –, c’est que la réforme proposée est issue d’une entente suspecte entre partis politiques tous très conscients des conséquences d’une telle réforme sur leur possible élection et, surtout, est une mauvaise réforme qui nous ferait reculer plutôt qu’avancer au plan démocratique.
Elle présente la réforme comme un scrutin proportionnel mixte régionalisé mais, en fait, celui-ci n’est proportionnel qu’à 40% et la compensation n’est pas régionalisée mais « partisanisée ». Il y aurait deux votes : un pour élire 80 députés territoriaux, dans autant de circonscriptions élargies (vraisemblablement copiées sur les circonscriptions fédérales qui enjambent allègrement les frontières régionales), et un autre pour élire 45 députés régionaux, désignés à partir de listes régionales de candidats établies par les partis. Selon la proportion du vote obtenu par les partis à l’échelle de la région, le minimum de votes pour participer à la compensation étant de 10%. C’est tout sauf simple. La représentation n’est pas une simple affaire de mathématiques.
André Larocque, qui a participé avec Robert Burns, à la demande de René Lévesque, à la rédaction d’un projet de loi pour un vrai scrutin proportionnel complet régionalisé, lequel fut refusé par le caucus du parti, Jacques Parizeau en tête, après avoir été accepté par le conseil des ministres péquistes en 1983, n’y va pas par quatre chemins :
« La proposition de réforme du mode de scrutin présentement offerte aux Québec via le projet de loi 39 est l’antithèse même de la réforme que préconisait René Lévesque. Appelée « proportionnelle compensatoire régionale mixte », la formule ne produit pas une représentation proportionnelle puisque 60% des élus (80 des 125 députés) le seront selon le mode de scrutin vicié actuel. Elle apporte une compensation régionalisée à des partis politiques, mais pas à la représentation des citoyens. Il est donc faux de dire que chaque vote comptera. D’aucune façon, ni de près ni de loin, elle érige les régions en entités politiques autonomes comme le faisait le projet de René Lévesque. La « mixte » est une concoction artificielle soutenue par une coalition de partis politiques. Or un mode de scrutin doit justement ne pas être l’affaire des partis mais des citoyens. Les partis l’ont d’ailleurs compris et cherchent à tout prix à éviter qu’une réforme du mode de scrutin ne soit approuvée par la sanction populaire d’un référendum .Cette réforme est un recul sur le système actuel et si elle est acceptée, elle rendra impossible ou retardera pour des années une véritable décentralisation régionale» (André Larocque et Roméo Bouchard, Décentralisons-nous!, Lambda).
Et quel était en gros ce modèle proposé par René Lévesque dit scrutin proportionnel régional?
Chaque région actuelle devenait une circonscription électorale et conservait le même nombre de députés, sauf que ces députés « régionaux », qui allaient devenir un élément important de la région comme entité politique décentralisée, étaient élus par un scrutin préférentiel à partir des listes proposées par chacun des partis en compétition. L’électeur d’une région qui compte présentement 5 députés choisirait 5 candidats parmi ceux proposés par les partis : il pourrait choisir les 5 candidats de son parti préféré ou piger dans la liste de tous les partis. Seraient élus les 5 candidat ayant obtenu le plus de votes, ce qui relativiserait considérablement l’emprise des partis sur le système électoral et donnerait beaucoup plus de poids au choix de l’électeur et à la représentation régionale.
Enfin, il est important de retenir que le mode de scrutin n’est qu’un chaînon dans le système de représentation des citoyens : il est illusoire de penser changer profondément la représentation citoyenne sans s’attaquer à l’ensemble des institutions électorales et parlementaires. Ce qui ne peut se faire adéquatement que par l’écriture ou la réécriture d’une constitution (par le peuple bien sûr si on ne veut pas qu’elle soit prise en otage par les partis politiques) ou par un ensemble de réformes démocratiques tel que René Lévesque l’avait en tête avant que son propre parti ne l’en empêche. (Voir André Larocque, René Lévesque, un héritage démocratique toujours d’actualité, Lambda).
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