par Ali Abunimah.
Avec ‘Libé’, il ne fait pas bon critiquer Israël.
Le journal français Libération (ou ‘Libé’) a été cofondé par Jean-Paul Sartre dans la foulée de la grande mobilisation de mai 1968. Lancé en 1973, il se vante encore et toujours de prendre « chaque jour le parti des citoyens et de leurs droits contre toutes les formes d’injustice et de discrimination, individuelles ou collectives ».
Pourtant, comme de nombreuses institutions qui se veulent libérales, cette volonté de défier les puissants au nom des opprimés passe au second plan dès qu’il est question de la Palestine.
C’est du moins ce que l’auteure américaine connue, Sarah Schulman, a découvert après avoir été interviewée pour Libération début mars, à l’occasion de la publication en français de son livre de 2016, « Le conflit n’est pas une agression ».
Pourtant, l’interview a été abandonnée par Libération, et Schulman a appris que c’était en partie à cause de sa critique des attaques israéliennes contre Gaza.
« ‘Conflict is not Abuse’ est composé environ d’un tiers sur la Palestine et plus particulièrement sur la guerre contre Gaza en 2014 », nous a expliqué Schulman. « Il serait impossible de discuter du livre sans parler de la cruauté israélienne et du soutien américain à cette grave injustice ».
The Electronic Intifada a vu deux versions de la rédaction de l’interview – une première ébauche et une version finale. La charte de Libé permet aux journalistes d’envoyer à leurs participants les textes encore non publiés des interview afin de vérifier leur exactitude.
Quand les agresseurs jouent aux victimes
Dans l’interview pour Libération avec le journaliste indépendant Cyril Lecerf Maulpoix, Schulman explique les thèmes centraux de son livre, en particulier son exploration des moyens les plus adaptés – et moins punitifs – de résoudre les conflits et de rendre justice.
Elle soutient que le conflit est une lutte pour le pouvoir sans laquelle les injustices ne peuvent être surmontées – même si les parties sont inégales dans leur pouvoir et leur responsabilité dans une situation donnée. Dans un conflit, les parties ont néanmoins toujours la capacité d’agir et d’interagir, notamment en empêchant une descente dans la violence.
L’abus, en revanche, est l’exercice du pouvoir d’en haut. Il peut être vécu dans la sphère personnelle ou domestique, mais il existe aussi à un niveau plus large : le racisme, l’islamophobie ou l’antisémitisme sont des abus systémiques qu’aucun individu ne peut démanteler.
Schulman observe que les agresseurs cherchent souvent à fuir leur responsabilité en inversant les rôles : ils s’affichent comme la victime tout en présentant leurs victimes privées de pouvoir comme une menace dangereuse.
Ses exemples incluent Michael Brown et Eric Garner, dont les assassinats par la police américaine en 2014 ont stimulé le mouvement ‘Black Lives Matter’, et la violence d’Israël contre les Palestiniens.
« Je voulais montrer que de l’échelle la plus intime à la relation géopolitique entre un État et une population, vous pouvez voir le même paradigme, où dans le contexte d’un conflit l’agresseur se décrit comme ayant été attaqué simplement parce que quelqu’un leur résiste » explique Schulman dans ce qui devait être la rédaction finale de Lecerf Maulpoix.
En plus de parler de la justification par Israël de sa violence contre les Palestiniens, Schulman étend ce cadre à la France, où le président Emmanuel Macron mène actuellement une guerre contre la minorité musulmane dans le pays, sous la bannière de la défense de la laïcité contre le spectre de « l’islamo-gauchisme » et le prétendu « séparatisme musulman ».
« Nous vivons une période très répressive, où les fascistes se répandent partout et les agresseurs prétendent être des victimes parce qu’un changement est en train de s’imposer », a déclaré Schulman dans ce qui était le projet initial de rédaction.
« On peut le voir aussi en France dans la panique autour du prétendu ‘islamo-gauche’ », ajoute-t-elle, notant avec une ironie évidente, « je suppose que je suis une islamo-gauchiste juive ».
Tout cela était apparemment au-delà de ce que Libé pouvait supporter…
«Trop radical…»
Il y a une semaine – environ trois semaines après l’entretien – Schulman a reçu un message d’excuses de la part de Lecerf Maulpoix.
« Après l’envoi de deux versions différentes, le rédacteur en chef de la rubrique ‘Idées’ a décidé au final de ne pas publier l’interview pour des raisons que je trouve encore compliquées à comprendre », écrit Lecerf Maulpoix. « Certaines sont issus de ce que je perçois comme étant d’ordre politique (sur les éléments estimés trop radicaux, comme le rôle de la police, d’Israël et de Gaza) », a-t-il ajouté.
Le journaliste a écrit à Schulman sa frustration face à son incapacité à répondre aux demandes des rédacteurs en chef, malgré « quelques réécritures pour s’adapter à leurs vues ».
Les deux ébauches consultées par The Electronic Intifada, qui sont en français, sont bien rédigées et véhiculent les idées de Schulman de manière claire et concise.
La version finale mentionne toujours Israël et Gaza, même si dans l’ensemble elle est sans doute quelque peu atténuée – peut-être le reflet des efforts infructueux du journaliste pour calmer les réticences du journal.
Cécile Daumas, rédactrice de la section ‘Idées’ de Libération, n’a pas daigné répondre aux demandes de commentaires de la part de The Electronic Intifada. En l’absence d’explication du journal, Schulman en est réduite à tirer ses propres conclusions.
« Je sais qu’il y a des efforts au niveau international pour assimiler à tort la critique d’Israël et le soutien des droits des Palestiniens à de l’antisémitisme, et je suppose que Libération est tombé dans ce bourbier », a-t-elle déclaré à The Electronic Intifada.
source : http://mcpalestine.canalblog.com
Source: Lire l'article complet de Réseau International