Installée avec ses proches dans le sultanat d’Oman depuis 2012, après avoir trouvé refuge en Algérie en fuyant la Libye, la fille unique de l’ancien « guide » libyen n’est plus soumise aux sanctions européennes imposées aux dirigeants de l’ancien régime
La justice européenne a ordonné, mercredi 21 avril, le retrait d’Aïcha Kadhafi, fille du défunt dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, de la liste des personnes frappées de sanctions en 2011, au motif qu’elle ne représente plus « une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région ».
Dans son arrêt, le Tribunal de l’Union européenne (UE), établi à Luxembourg, souligne notamment que la requérante ne réside plus en Libye depuis des années et que son dossier ne fait état d’aucune participation à la vie politique libyenne.
Comme pour l’inscription, la décision de retirer une personne ou une société de la liste des sanctions européennes est prise à l’unanimité des États membres du Conseil européen.
« Le Conseil va analyser attentivement la décision du tribunal d’annuler les décisions de maintenir l’inscription de Mme Kadhafi sur la liste des mesures restrictives applicables à la Libye et décidera de la marche à suivre », a déclaré à l’AFP le porte-parole de la diplomatie européenne.
« L’inscription reste en vigueur au moins jusqu’à l’expiration du délai d’appel éventuel du Conseil, soit deux mois », a-t-il précisé.
Les sanctions consistent en une interdiction d’entrée ou de passage en transit sur le territoire de l’UE et le gel des avoirs, qui sont mis à la disposition du peuple libyen et utilisés à son profit.
Aïcha Kadhafi a été inscrite sur la liste noire ouverte par l’UE en février 2011 et son nom a été maintenu lors des examens de cette liste effectués en 2017 et en 2020.
Sont maintenues ou ajoutées sur cette liste les personnes et les entités qui « menacent la paix, la sécurité ou la stabilité du pays, empêchent l’achèvement de la transition politique de la Libye et sont responsables de graves violations des droits de l’homme », explique la notice du Conseil européen.
Mouammar Khadafi, renversé et tué le 20 octobre 2011, est toujours inscrit sur cette liste ainsi que ses fils Khamis, Mouatassim et Saïf-al Arab, tués pendant la révolution.
« Le Conseil n’explique pas les raisons pour lesquelles elle représentait, en 2017 et en 2020, une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région », a argumenté la juridiction européenne, ordonnant l’annulation des décisions de 2017 et 2020 pour Aïcha Kadhafi.
Avocate, Mme Kadhafi, 44 ans, réside depuis 2012 à Oman, pays dont les autorités ont subordonné l’autorisation de séjour à son engagement à ne pas mener d’activité politique, a souligné le Tribunal dans son arrêt.
Avant de s’exiler à Oman, Aïcha Kadhafi s’était réfugiée en Algérie. Le 29 août 2011, en compagnie de sa mère, Safia, et de ses deux frères, Mohamed et Hannibal, ainsi que d’enfants, la fille de l’ex-« guide » libyen passe la frontière sud-est entre l’Algérie et la Libye.
Au lendemain même de son arrivée sur le sol algérien (sans la garde armée qui accompagnait leur convoi, une des conditions d’Alger), Aïcha Kadhafi accouche, dans la ville saharienne de Djanet, d’une fille, qu’elle appelle Safia-Djanet.
Kadhafi : « Partez en Algérie »
Une enquête d’El Watan Week-end révèlera que les proches de Kadhafi, qui voulaient fuir vers l’Europe de l’Est, avaient négocié avec les Français pour quitter la Libye dès juillet 2011.
« Mais Paris a répondu que la seule manière de quitter Tripoli [était] de se rendre aux révolutionnaires ou carrément de rejoindre leurs rangs », explique le quotidien.
« Après le refus français, il ne restait comme destination que le Niger ou chez nous », confiait au journal un haut responsable algérien.
Dans un message publié sur les réseaux sociaux, Aïcha Kadhafi raconte que, durant leur fuite en Libye, son père avait réuni sa famille quelque part dans le désert, leur conseillant de demander refuge au voisin algérien. « Partez en Algérie, en 50 ans, les Algériens ne nous ont jamais fait de mal ! En Algérie, vous vivrez libres, l’Algérie ne vous livrera pas à l’OTAN, et l’OTAN n’osera pas violer le territoire algérien pour vous y récupérer, j’en suis convaincu ! L’Algérie ne vous livrera pas non plus au Tribunal pénal international ni à aucun État ni institution qui vous réclamerait ! L’Algérie ne vous abandonnera jamais ! »
Mais pour les accueillir, les conditions d’Alger sont claires : « Pas de transferts importants d’argent ou de bijoux et pas de présence d’hommes armés, quel que soit leur grade. Et surtout, que la famille évite de porter atteinte à l’un des pays voisins et qu’elle s’interdise toute activité politique ou publique. »
L’arrivée des proches de Kadhafi est « portée à la connaissance du secrétaire général des Nations unies, du président du Conseil de sécurité et de M. Mahmoud Djibril, président du Conseil exécutif du Conseil national de transition libyen », précise alors le ministère des Affaires étrangères algérien, tout en insistant sur la « stricte neutralité » d’Alger dans le conflit libyen.
Depuis Djanet, les proches de Kadhafi sont transférés vers une discrète résidence officielle dans l’ouest du pays, non loin d’Oran.
Mais en septembre 2011, Aïcha Kadhafi rompt le silence en s’exprimant sur Arraï, une chaîne d’information syrienne, appelant, par téléphone, « le peuple libyen » à « se venger » et assurant que son père se porte « très bien », que son « moral est bon » et qu’il « combat avec ses fils sur les fronts ». Surtout, elle qualifie les membres du Conseil national de transition libyen (opposition) de « traîtres ».
Alger se rebiffe : pour le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Mourad Medelci, ces déclarations sont « inacceptables ».
« J’ai été informé de cette déclaration faite par Mme Aïcha Kadhafi à la chaîne satellitaire Arraï, et je ne peux qu’exprimer ma surprise devant une telle déclaration qui vient d’une dame que l’Algérie a accueillie avec le reste de sa famille pour des raisons humanitaires », déclare le ministre.
Depuis, silence radio, mais la sortie de la fille de l’ex-dirigeant libyen aura irrité les autorités algériennes au plus haut point, en plus des crises de colère qu’elle aurait eues dans sa résidence officielle.
Elle aurait eu des altercations avec les gardes du corps algériens et aurait même, dans un accès de rage, dégradé un portrait du président de l’époque, Abdelaziz Bouteflika. « Pour ce signe de manque de respect, elle a été expulsée du pays », écrit alors le Daily Telegraph, citant des sources algériennes.
Elle finira, avec ses proches, par quitter discrètement l’Algérie, début 2012, vers le sultanat d’Oman, un des deux pays, avec le Venezuela, ayant proposé de les accueillir. « On s’en occupera tant qu’ils ne poseront pas de problèmes ici ou en Libye », assure un officiel de Mascate au quotidien omanais al-Chabiba.
Mais en 2014, selon des médias, Aïcha Kadhafi se plaint de son statut à Oman, se considérant « séquestrée » avec sa famille dans le sultanat, « interdite de communiquer ou de voyager ». Depuis, aucune nouvelle d’elle ou des membres de sa famille réfugiés à Oman.
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