Confrontée à une guerre hybride de trés haute intensité de plus d’une décennie ayant drainé son économie, détruit ses villes et quasiment anéanti plus de la moitié de ses forces armées, la Syrie se prépare à tenir des élections présidentielles, prévues le 26 mai 2021.
Ces élections devraient servir à assurer une transition calme et des réformes profondes d’un système politique ayant atteint ses limites depuis longtemps. Le bon sens voudrait donc que l’actuel président Bashar Al-Assad renonce à se présenter et entame une réorganisation profonde d’un État dont les capacités de survie ont été mises à de très rudes épreuves depuis le 15 mars 2011. Ceci est la voie du bon sens mais la logique du pouvoir dispose de sa propre dynamique et il est très peu probable que Assad choisisse de passer le témoin en ce moment.
Cette opportunité historique sera donc encore une fois perdue.
L’échec de la guerre hybride occidentale et arabe en Syrie a profondément modifié le rapport de forces de la géostratégie mondiale. C’est en Syrie en effet que ce que la dynastie des Bush avaient publiquement qualifiés de Nouvel Ordre Mondial ou N.O.M s’est cassé les dents et que le centre de gravité de la puissance s’est décalé vers l’Est. En 2021, l’Empire est sans-dents et on est loin des vociférations calculées des pantins comme Barack Obama (USA), Cameron (Royaume-Uni), Sarkozy/Hollande (France) et la myriade d’autres vassaux qui répétaient à tue-tête “Assad doit partir”.
La Syrie a résisté et quand ses ennemis lui ont ouvert les portes de l’enfer en lui déversant un déluge de combattants internationaux recrutés par les services spéciaux occidentaux et Arabes du Golfe via la création de fausses organisations terroristes comme “Daech” et autres, elle a fait appel à son puissant allié Russe qui voyait la portée stratégique à moyen terme de cette offensive car in fine, la chute de la Syrie préfigure celle de l’Iran et la chute de ce dernier vise l’anéantissement de l’intégrité territoriale de la Russie.
En dépit des cris et autres lamentations des pleureuses professionnelles prébendées, Al-Assad n’est pas parti. Il n’a jamais quitté son pays que pour se rendre en visite officielle à Moscou et s’est même permis à plusieurs reprises des visites sur le terrain à Alep et ailleurs. L’échec de la guerre en Syrie a contraint Israël, l’un des principaux protagonistes de ce conflit-la Syrie est toujours techniquement en guerre avec Israël depuis 1973-, à ne plus compter sur ses supplétifs et autres proxy et à intervenir directement via des attaques de missiles ou des raids aériens sous prétexte d’une présence militaire iranienne en Syrie.
Des centaines d’opérations militaires conjointes entre les États-Unis, Israël, le Royaume-Uni, la France, la Turquie et d’autres alliés n’ont pas permis un changement significatif de la situation en Syrie. Ces attaques n’ont fait que renforcer les capacités de la Russie à développer et aguérrir ses capacités de défense assymétrique d’un territoire assiégé aussi bien par des États hostiles que des acteurs non-étatiques pratiquant une guérilla intensive sur les lignes arrières ou des opérations d’infiltration et de sabotage à grande échelle sur fond d’une course technologique effrénée marquée par une guerre électromagnétique et de nouvelles tactiques de pénétration de l’espace aérien et le brouillage des systèmes de détection de la défense aérienne.
La situation est relativement calme en Syrie aujourd’hui même si une province entière, celle d’Idleb est de facto indépendante et échappe totalement au contrôle de Damas. Idleb est un protectorat turc développant ses propres capacités de défense à quelques dizaines de kilomètres du pays dit utile, englobant ce que les propagandiste se plaisaient à designer comme le pays Alaouite, c’est-à-dire la bande littorale s’étalant de Lattaquié à Tartous, où ce concentrent les bases russes. Idleb n’est pas la seule province échappant au contrôle de Damas; dans le Nord-Est et sur les rives de l’Euphrate, non loin des confins avec le Kurdistan irakien mais également à Al-Tanf, essaiment des douzaines de camps militaires US soutenus par des forces kurdes. Ce territoire oriental de la Syrie est la cible de dizaines d’opérations clandestines supervisées par les forces US en Irak mais également le centre de commandement régional conjoint du Mossad israélien basé à Erbil, dans le nord de l’Irak.
Il est trop tôt pour tirer des leçons définitives de cette guerre acharnée et terrible. Cependant, l’armée syrienne, qui a payé un prix très lourd dans ce conflit, devrait remettre en cause toute son organisation, sa doctrine, ses tactiques et sa logistique. Si la défense aérienne et surtout l’armée de l’air syriennes se sont battues jusqu’au bout et souvent avec les moyens de bord, les divisions blindées ont été anéanties et des unités militaires entières ont été annihilées dans ce conflit meurtrier. Des millions de syriens ont pris le chemin de l’exil aux quatre coins du monde et la modeste industrie syrienne, prometteuse avant la guerre, pillée en règle par la Turquie et les États-Unis. Ces derniers se sont accaparés de tous les sites de production de pétrole de ce pays.
Ces dans ces conditions particulières que vont être organisées des élections présidentielles dans ce pays de civilisation trés ancienne et meurtri. La logique voudrait que le leadership syrien entame une réforme sérieuse et profonde du système politique en vigueur dans le pays avec la lutte prioritaire contre la corruption et le régionalisme. La même logique voudrait que cette réforme renforce un État de droit et mette fin à des pratiques fort impopulaires tout en favorisant un renouvellement d’un personnel politique dont la date de péremption a été dépassée depuis longtemps. Al-Assad a résisté grâce à l’intelligence stratégique de l’entourage de son père et le sacrifice de dizaines de milliers d’officiers et de soldats syriens. L’Etat n’est plus en danger d’effondrement comme il le fut en 2015 et c’est maintenant une opportunité historique pour un passage de témoin comme c’est le cas à Cuba. Al-Assad est le sixième candidat dans le scrutin à venir et il sera en toute vraisemblance ré-élu pour un nouveau mandat. C’est une tendance mondiale en dehors des pays où on entretient le mythe des rotations de pantins.
A notre avis, cette réélection ne servira à rien si des reformes profondes et urgentes ne sont pas engagées pour sortir la Syrie d’un marasme politique, économique et social qui risque de favoriser les velléités de ses adversaires dont l’objectif demeure intact (un changement de régime). Al-Assad devra ouvrir le champ politique et favoriser l’émergence d’une nouvelle élite qui pourrait faire face aux mutations de la prochaine génération de guerre hybride et préparer le pays à contenir l’agression israélienne. Le passé récent de la Syrie a démontré les limites d’un système fermé face à de nouveaux types de guerres qui peuvent transformer un pays comme le Liban en pays en faillite totale et changer la nature du terrain. Reproduire les mêmes réflexes inadaptés d’un régime à bout de souffle n’est jamais la solution la plus idoine quand le loup est à la fois à l’intérieur de l’enclos et devant la porte.
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