La situation dans l’extrême Sud de la Libye et au Nord du Tchad est extrêmement grave. En dépit du soutien aérien français, le président tchadien Idriss Deby Itno, 68 ans, au pouvoir depuis 1990, a été tué au champ de bataille au lendemain de sa réélection formelle à un sixième mandat.
Aucun détail sur les circonstances de cette mort au combat du président tchadien n’a été donné par les officiels tchadiens. Le jour du scrutin, l’armée tchadienne avait affirmé avoir neutralisé 300 rebelles armés qui avaient attaqué et détruit un poste frontière avec la Libye avant de foncer vers le Sud dans une tentative d’atteindre la capitale Ndjaména. Le président Deby avait alors annulé son discours à la nation pour aller visiter le théâtre des opérations et conforter les troupes dont le moral est rudement ébranlé. Un communiqué militaire affirme que le président Deby est mort des suites de blessures de guerre sur la ligne de front.
La mort de Deby est un coup dur à ce que l’on appelle la “Françafrique”. La France dispose au Tchad d’un important dispositif militaire considéré comme le cœur du dispositif militaire français au Sahel et l’armée française est intervenue des dizaines de fois pour repousser les attaques rebelles incessantes contre le pouvoir de Deby. En 2019, l’armée française est intervenue dans le Sud libyen pour empêcher une offensive rebelle à partir du Nord du Tchad et depuis des semaines, le renforcement militaire français au Tchad et le déploiement de nouveaux appareils de combat laissaient présager une aggravation de la situation. Paris a soutenu naturellement le sixième mandat de Deby contre vents et marées comme il a soutenu tous les autres autocrates africains de la France (Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal, Burkina Faso, etc.) et fait mine d’ignorer la colère grandissante des populations du Sahel, lesquelles voient d’un très mauvais œil la présence militaire française et l’assimilent désormais à un colonialisme servant à sauvegarder un statu quo intenable en l’état et profitant aux intérêts de quelques familles de l’État profond français.
La disparition de Deby au Tchad met non seulement à mal un système de gestion néo colonial autiste car faisant fi du développement des autres régions de l’Afrique qui n’ont jamais fait partie de l’ancien empire colonial français mais compromet un peu plus toute solution de sortie de crise au Mali, au Niger et au Burkina Faso, trois pays confrontés à une guerre asymétrique d’intensité moyenne “sans fin” depuis la chute du régime libyen de Gaddafi. Cependant, c’est la Russie qui profitera le plus du désordre tchadien. La présence d’éléments russes en Libye et en République Centrafricaine visait l’encerclement du dispositif français dont le cœur est au Tchad. La France enlisée au Mali dans une guerre sans buts ni fin a tenté d’impliquer l’Europe et d’autres pays extra-européens dans ce conflit afin de fuir une charge extrêmement onéreuse et lourde mais cet appel au secours n’a pas été entendu par l’Allemagne et encore moins par les États-Unis qui poursuivent leurs propres stratégies au Sahel prévoyant le démantèlement du carcan néocolonial français emprisonnant les économies de 14 pays africains dans un cul-de-sac qui entrave toute possibilité de développement ou d’émancipation.
Les forces tchadiennes qui font le gros du boulot pour la France au Mali ont payé un très lourd tribut dans cette guerre visant à préserver le dernier carré colonial français en Afrique. Le bilan des pertes militaires tchadiennes au Mali est assez lourd pour un pays comme le Tchad, confronté en interne à des rébellions continuelles. Celle soutenue par des milices libyennes ou du moins par les armes issus des arsenaux libyens constitue une boucle paradoxale. La France était loin de se douter que l’enthousiasme guerrier à aller détruire la Libye allait mettre à mal son pré-carré au Sahel et transformer la Méditerranée centrale en routes migratoires ouvertes vers l’Europe. De ce fait, l’intervention militaire française, même appuyée par celle de pays baltes, la Tchéquie ou le Danemark ne va rien changer à l’équation. Tout comme la fermeture totale des frontières française et l’arrêt des visas n’ont servi à rien depuis la disparition du verrou libyen qui a jeté à la mer des centaines de milliers de migrants.
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