La « nouvelle » politique étrangère des États-Unis peut-elle casser des briques ? 2ème partie — Jean-Pierre PAGE, Bruno DRWESKI

La « nouvelle » politique étrangère des États-Unis peut-elle casser des briques ? 2ème partie — Jean-Pierre PAGE, Bruno DRWESKI

Pour George Kennan, l’auteur du Long Telegram de 1946, il fallait après la victoire des alliés sur le fascisme, s’opposer au « fanatisme de l’URSS comme aux visées expansionnistes de Staline », « les États-Unis, leurs alliés et partenaires » se devaient de mettre en place « un système international fondé sur des règles ». 75 ans plus tard, les auteurs des trois documents de l’Atlantic Council ne brillent pas par l’audace et l’innovation. Ils répètent le même mantra tout au long de leurs longues analyses.

Un système de règles à suivre

On aimerait savoir ce qui, sous des slogans et des institutions de façade, se cache derrière les « règles » vantées par les EU, d’autant qu’il s’agit des leurs ! En fait, elles n’ont jamais été vraiment définies ? Pendant la période de la guerre froide citée en référence, le système était au moins obligé de faire des concessions pragmatiques et des compromis, en particulier dans le domaine social, celui du contrôle des armements et du développement des capacités militaires en raison de la peur de grèves, de mouvements sociaux et politiques, de l’émergence des pays issus de la décolonisation et des bouleversements affectant le rapport des forces international. Depuis que les dirigeants occidentaux ont estimé, après la chute de l’URSS, avoir définitivement vaincu les ennemis du marché et de la démocratie libérale, leur arrogance les a poussés unilatéralement à reprendre les acquis sociaux, à limiter les libertés individuelles et collectives par la violence, à renoncer quasi-officiellement aux politiques de désarmement et à saboter le droit au développement des peuples par la recolonisation et le pillage. S’il n’y avait pas l’immense progrès économique et social de la Chine (38), les statistiques mondiales montreraient une aggravation plus significative encore de la pauvreté absolue, de l’accroissement spectaculaire des inégalités par la hausse de la richesse obscène d’un groupe de plus en plus restreint de privilégiés, véritable oligarchie mondiale. Alors en quoi consistent ces « règles » auxquelles on se réfère à tout bout de champ dans une société mondialisée où domine « la concurrence libre et non faussée », ce qu’autrefois on aurait appelé tout simplement la loi du plus fort ?

L’Atlantic Council affirme que la Chine voudrait « changer les règles » pour améliorer ses positions internationales et imposer sa domination au reste du monde. En fait, ce sont les États-Unis qui menacent la paix et la coopération mondiale. Pour Washington, il a fallu dès la fin de la Seconde Guerre mondiale faire admettre leur hégémonie au reste du monde. Après la chute de l’URSS, Ils l’ont imposé unilatéralement. Aujourd’hui, l’enjeu pour les EU est de maintenir et de conserver cette suprématie, car on assiste à une évolution significative du rapport des forces à travers la montée en puissance de la Chine. En fait, il s’agit du début d’un retournement de situation. Cette évolution, inattendue pour certains, prévisible pour d’autres, est à l’origine d’un certain désarroi doublé d’un aveuglement pour la nouvelle administration étasunienne.

Plutôt que d’en tenir compte, Joe Biden et son équipe semble partagés entre l’affirmation de leur leadership qui relève plus d’un monde de fantaisies et le besoin d’étaler leur toute puissance militaire. Il y a de la schizophrénie dans cette politique américaine qui entend maintenir une domination de plus en plus ouvertement critiquée et contestée. Son choix fébrile d’user de menaces et de recourir à la manière forte s’exprime par le biais de la place déterminante qui est plus que jamais donnée au complexe militaro-industriel. Ceci peut être lourd de conséquences et le jeu de la surenchère peut encourager une nouvelle aggravation de la course aux armements.

Proposé par Donald Trump et approuvé dans une belle unanimité par les démocrates et républicains, les États-Unis se trouvent à la tête d’un budget de la défense colossal et sans précédents de 750 milliards de dollars, équivalent à lui seul à celui à tous les autres pays du monde cumulés (39). Près d’un millier de bases militaires ont été établies hors de leurs frontières, dont un véritable « cordon sanitaire » autour de la Chine, comme d’ailleurs de la Russie et de l’Iran.

Mais, selon l’Atlantic Council et le Longer Telegram, Pékin dorénavant orienterait son poids économique, diplomatique et militaire croissant vers « des objectifs géopolitiques révisionnistes » (sic). Ce qui, par dessus l’aspect cocasse de l’utilisation de ce terme par des interventionnistes libéraux, démontre que les États-Unis demeurent une puissance conservatrice, opposée à toute prise en compte des changements, à toute révision de ce qu’ils nomment « des règles », en fait les privilèges anachroniques imposés par eux-mêmes et unilatéralement au reste du monde. Cette vision pousse Washington vers une plus grande agressivité dans le but de « garder son rang » coûte que coûte.

Les auteurs des différents documents reconnaissent “Nous espérions autrefois que la Chine devienne ce que nous considérions comme un ‘acteur responsable’ dans un système fondé sur des règles, mais le président Xi Jinping a conduit son pays dans une direction plus conflictuelle”. Autrement dit, ce ne sont pas les États-Unis qui n’ont cessé de mener des guerres depuis 1945 qui seraient « conflictuels » mais la Chine qui n’a jamais engagé d’agression contre quiconque depuis 1949.

Par contre, on est en droit de poser la question de savoir où ont été formés ces terroristes que l’on trouve dans la province du Xinjiang où se pratiquerait un « génocide » selon les gouvernements occidentaux qui mènent sur ce sujet une campagne médiatique hystérique. De là, des Ouïghours sont partis combattre en Tchétchénie, en Irak et sont toujours très présents en Syrie. En 2002, l’armée américaine a arrêté 200 terroristes ouïghours engagés dans les rangs d’Al-Qaïda en Afghanistan. Pour ces bandes armées anticommunistes et d’extrême-droite, à l’instar de « l’Association Américaine Ouighours » et de « l’Altay Defense », qui prolifèrent en Europe et aux EU avec les dollars de l’officiel National Endowment for democracy (NED), il faut « anéantir la Chine » (40).

L’ethnocentrisme anglo-étasunien a aujourd’hui sans doute atteint un degré inégalé de cynisme depuis que la « puissance indispensable » est entrée dans une crise qui affecte en fait toute la civilisation humaine.

Selon les auteurs des trois documents stratégiques de l’Atlantic Council que nous présentons ici, l’Union soviétique constituait une menace militaire et idéologique directe, mais il n’y avait alors pratiquement aucune interdépendance économique ou sociale entre elle et les EU, alors qu’aujourd’hui il en va autrement avec la Chine. C’est là le principal dilemme des dirigeants des EU. En 2019, ils ont exporté vers la Chine plus de 120 milliards de dollars de marchandises et ont importé 539 milliards de dollars de biens chinois. La guerre commerciale encouragée par Donald Trump a conduit à sanctionner par des surtaxes commerciales les échanges entre les deux pays, la Chine a réagit en conséquences. Les deux pays en ont été affectés.

Cette conflictualité s’exprime également avec la dédollarisation qui est dorénavant devenue une réalité. De nombreux pays ne veulent plus dépendre du dollar comme ils l’ont fait pendant des décennies. La Chine, la Russie, l’Inde, l’Iran et d’autres pays encore signent des accords permettant d’utiliser leurs monnaies nationales dans le cadre du commerce bilatéral. Le futur yuan digital sera la première monnaie virtuelle au monde. Pour le moment, il a déjà fait son apparition en circuit fermé, dans les villes de Shenzhen, Shengdu, Suzhou, et dans certaines entreprises chinoises et étrangères.

Mais ce n’est pas tout, les EU accusent la Chine d’avoir l’intention de prendre le contrôle de dix technologies clés d’ici 2025. Alors que le capitalisme étasunien se trouve dans une crise qui apparait sans issue, les auteurs des trois différents rapports de l’Atlantic Council ont pour seule réponse « nos alliés et nous-mêmes ne sommes pas menacés par l’exportation du communisme mais par un système hybride d’interdépendance…et l’illibéralisme ». Pour les néolibéraux, le problème serait qu’en Chine le Parti communiste, à travers l’État, exercerait un contrôle sur le secteur privé. C’est ce qui vient d’arriver au géant du commerce en ligne chinois Alibaba accusé d’abus de position dominante et de pratiques anticoncurrentielles en toute impunité. Le groupe a été condamné à payer une lourde amende de 2,3 milliards d’euros. On peut comprendre l’étonnement des commentaires des médias mainstream au moment où les gouvernements occidentaux déversent par centaines les milliards sur les comptes des groupes multinationaux pour leur permettre de se restructurer et poursuivre leurs activités toxiques sur les marchés financiers. Ainsi avec la nouvelle donne économique, monétaire et politique mondiale, les Étatsuniens sont en proie à des problèmes existentiels.

Sur la défensive, Washington s’obstine dans la recherche d’une explication plausible à ses problèmes domestiques tout comme à la chute de la crédibilité internationale de l’Empire. Selon le Longer Telegram, la réponse serait en fait la cause d’une conflictualité idéologique avec la Chine. On serait tentée de se demander pourquoi trente ans après après la prétendue “fin de l’histoire” et du communisme, de Mike Pompeo à Anthony Blinken, les dirigeants de la diplomatie des EU ont souligné la nécessité d’être au-dessus des idéologies ? Mais, contradictoirement et dans le même temps, ils veulent dorénavant combattre l’idéologie communiste, le Parti communiste chinois et ses dirigeants, particulièrement le premier d’entre eux qui incarnerait « une nouvelle forme de totalitarisme », le retour au « nationalisme » et un « culte de la personnalité égale à celui de Mao Zedong ». C’est pourquoi dans les documents de l’Atlantic Council qui servent de références à la nouvelle administration des EU, on condamne nommément le marxisme-léninisme auxquels le Parti communiste chinois se réfère et que, par ailleurs, il entend relancer par l’étude et la formation de ses cadres, contredisant ainsi le dogme et les caricatures d’une Chine qui serait devenue capitaliste.

La réponse étant idéologique, ce n’est plus seulement de changement de régime dont il s’agit, mais bien d’un changement de système. Pour y contribuer, les stratèges de l’Atlantic Council considèrent que le seul moyen pour y arriver impose de prendre en compte le fait que la plus grande faiblesse de la Chine serait son parti communiste. Ce dernier serait divisé, en proie aux luttes de fractions, l’isolement de XiJiping serait incontestable et sa survie politique serait posée. La solution consisterait donc à soutenir l’émergence d’une direction plus conciliante et plus ouverte aux thèses libérales, en attendant le moment ou les Chinois mettront un terme définitif au règne centenaire du Parti communiste chinois. Evidemment, ce n’est pas pour demain !

Rivalité-coopérative et découplement ?

S’agissant de l’épidémie de Covid19, il est un fait que nombre de peuples à travers le monde ont noté la plus grande efficacité des différents systèmes asiatiques. C’est le cas tout particulièrement de la Chine dont, en terme économique ou sanitaire les résultats dans le contrôle et la prévention de l’épidémie ont été rapides et effectifs, ce qui lui a permis une récupération spectaculaire. Tout en reconnaissant qu’au cours des deux dernières décennies la contribution de la Chine à la santé publique mondiale a été effective, Washington a décrété, sans expliquer pourquoi, que cette coopération aurait tout d’un coup fait défaut lors de la pandémie du COVID-19. La cause en serait un manque de transparence de la Chine. Quand on voit les réactions erratiques et tardives des pays occidentaux sur ce terrain, on ne peut qu’en conclure qu’ils font porter la responsabilité de leur errance à la Chine qui, tout d’un coup et on ne sait trop pourquoi, aurait renoncé à la coopération sanitaire qu’elle pratiquait précédemment. En fait, la Chine a fourni et continue à offrir du matériel sanitaire, y compris des vaccins à 127 pays et trois organisations internationales (41). Elle a, par ailleurs, appelé à la coopération internationale pour organiser la prévention, le contrôle et la recherche pour stopper l’épidémie du Covid 19, produire des vaccins et rechercher le bien universel en encourageant la coopération scientifique mondiale pour le bien du plus grand nombre. Avec Cuba, elle vient de mettre en place un programme visant à mettre au point un vaccin anti-covid capable de bloquer tous les variants.

En fait, en ce domaine comme en d’autres, la Chine, est devenue le premier partenaire commercial d’un plus grand nombre de pays que les États-Unis, ce qui ne peut être considéré comme un échec de sa part. Dans ce contexte, la production en Chine de composants électroniques de pointe, de produits manufacturés rendrait tout découplage avec les États-Unis très coûteux, et donc impossible, à moins de se lancer dans une économie de guerre. Notons que ce problème est identique pour l’Union européenne.

Comme le fait remarquer le général Qiao Liang (42) qui dirige le Conseil pour les Recherches sur la Sécurité nationale chinoise, “les Américains n’ont pas la capacité de produire des respirateurs nécessaire à la lutte contre l’épidémie de Covid 19, dont ils possèdent les brevets. Sur les 1 400 pièces du ventilateur, plus de 1 100 doivent être produites en Chine, y compris l’assemblage final. C’est le problème des États-Unis aujourd’hui. Ils disposent d’une technologie de pointe, mais n’ont pas de méthodes et de capacité de production, ils doivent donc s’appuyer sur la production chinoise”. Il ajoute “Il en va de même pour la guerre. Aujourd’hui, la guerre est toujours une industrie manufacturière. Certains disent que la guerre est une confrontation de réseaux, la puce est reine. Oui, les puces jouent un rôle irremplaçable dans les guerres modernes de haute technologie. Mais la puce elle-même ne peut pas combattre, la puce doit être installée sur diverses armes et équipements, et toutes sortes d’armes et d’équipements doivent d’abord être produits par une industrie manufacturière forte. On admet que les États-Unis se sont appuyés sur une industrie manufacturière forte pour gagner la Première et la Seconde Guerre mondiales”. “En cas d’épidémie ou de guerre, un pays sans industrie manufacturière peut-il être considéré comme un pays puissant ? Même si les États-Unis continuent à disposer de la haute technologie, à avoir des dollars et à avoir des troupes américaines, tous ces éléments ont besoin d’un soutien manufacturier. Sans industrie manufacturière, qui soutient votre haute technologie ? Qui soutient votre dollar ? Qui soutient votre armée américaine”.

La Chine produit effectivement des composants essentiels pour l’économie mondiale et américaine, y compris pour le domaine militaire, informatique et spatial. Déménager ces productions vers d’autres pays prendrait, estime-t-on, au moins deux années, ce qui pourrait permettre à Pékin d’exercer des pressions insupportables pour l’équilibre des entreprises concernées. Les États-Unis sont donc en quelque sorte enfermés dans une situation de « rivalité coopérative » imposant de faire deux choses contradictoires en même temps, s’opposer et coopérer. On ne voit dès lors pas comment Washington pourrait sortir de cette dialectique impossible sans y perdre encore plus. Seule une guerre permettrait d’ignorer ce processus. Or le complexe militaro-industriel des États-Unis est le seul secteur productif à ne pas avoir été massivement délocalisés et à s’être même sensiblement renforcés. En plein cœur de l’épidémie, les géants que sont Raytheon, Northrop Grunman, Boeing, Mc. Donnel Douglas, Lockheed Martin, ont même embauché et créé des milliers d’emplois. Ces entreprises ne peuvent se permettre de tomber en panne ! Ils ont besoin de guerres. C’est ce qui permet d’émettre l’hypothèse folle que l’idée d’une aventure guerrière mondiale pourrait germer dans la tête des docteurs Folamour (43) du Pentagone.

Comment relever le défi chinois ?

Les auteurs des différents plans stratégiques à long terme de l’Atlantic Council veulent faire croire que les États-Unis seraient en État capable « d’utiliser efficacement leurs ressources de puissance dure et souple pour défendre et renforcer un système fondé sur des règles. Car la richesse combinée des démocraties occidentales – États-Unis, Europe, Japon – dépassera de loin celle de la Chine pendant une bonne partie du siècle » (44). En fait, c’est la méthode Coué, qui consiste à se convaincre que « l’on va de mieux en mieux chaque jour ». Pourtant la crise systémique révélée plus brutalement encore par la crise pandémique est loin d’être derrière nous. Après le Brexit, puis les divergences entre l’Allemagne et les EU sur le gaz russe et l’enjeu de Nord Stream2 renforcé par un projet d’hydrogène vert (45) et avec les opportunités ouvertes par le projet chinois « des nouvelles routes de la soie » qui engagent une nombre significatif d’États européens (46), et enfin, avec les errements des rapports intra-atlantiques au cours de la présidence Trump qui ont démontré l’effritement du système étasunien, on doit se poser la question de la solidité de l’alliance des États-Unis avec ses « partenaires-vassaux » de l’UE Ensuite, il faut examiner la capacité de Joe Biden à accepter de faire des concessions économiques, commerciales et militaires en faveur de leurs alliés, chose sur quoi les EU n’ont pas brillé au cours des dernières décennies. S’engager plus encore sur la sécurité en Europe face à la menace que ferait planer la Russie en échange d’un soutien des Européens à la croisade contre la Chine, se présente comme une solution, mais qui se heurtera forcément à des contradictions comme cela vient de se manifester à travers la récente rencontre en visio-conférence entre Xi Jinping, Angela Merkel et Emmanuel Macron.

Pourtant de nombreux analystes semblent ne pas percevoir l’essor d’autres pays émergents qui sont des partenaires économiques de premier plan dans des programmes et des investissements en partenariat avec la Chine, et cela sans aucune conditionnalité politique, c’est le cas dorénavant en Europe même mais aussi avec la Russie, la Biélorussie, l’Iran, le Pakistan, la Corée du Sud, l’Asie du Sud-Est, voire la Turquie, sans parler de la croissance en cours de plusieurs pays africains et d’Amérique latine où de dix milliards de dollars en 2000, les échanges commerciaux sont passés à 350 milliards en 2019. Ainsi le Brésil avec l’anticommuniste Bolsonaro à sa tête dépend de la Chine pour un tiers de son commerce et de ses investissements.

Le revers subi par les États-Unis à l’occasion de l’accord des quinze pays de l’ASEAN+3, dont la Chine, en faveur du plus grand traité de libre échange au monde est un autre exemple significatif (47). Ce partenariat régional économique global (RCEP) concernera plus de deux milliards de personnes, sans compter l’Inde qui réserve sa signature mais qui a participé comme observateur à ces longues négociations. Par ailleurs, on ne saurait sous-estimer la place que la Chine continue à occuper au sein des BRICS, même si le caractère alternatif et militant de cette alliance a changé du fait de l’alignement du Brésil et de l’Inde sur les États-Unis. On ne saurait perdre de vue aussi le fait que la Chine demeure un important partenaire de l’Inde avec laquelle les échanges commerciaux ont sensiblement augmenté ces dernières années. Le PIB de la Chine est presque cinq fois celui de l’Inde, où l’espérance de vie est de dix ans inférieure à celle de son puissant voisin, et où 30% de la population connaît la malnutrition.

Qu’elles sont les dix points marquants de l’étude stratégique de l’Atlantic Council pour la décennie à venir ?

Le document/feuille de route intitulé « An Allied Strategy for China » de l’Atlantic Council est divisé en dix points censés analyser les différents aspects du défi face auquel se trouvent confrontés les États-Unis vis à vis de la Chine.

A y regarder de près, on a plutôt l’impression que les auteurs du document tournent en rond avec les mêmes argumentations, sans jamais proposer d’alternatives en lieu et place de la contradiction fondamentale entre la nécessité revendiquée de devoir combattre la Chine et simultanément de devoir coopérer avec elle, en particulier sur les créneaux de l’économie mondiale, de l’environnement et du désarmement.

1/ Le système : Les auteurs constatent d’entrée de jeu que le niveau de vie mondial a presque triplé, mesuré par le PIB par habitant, et que le pourcentage de personnes vivant dans l’extrême pauvreté est passé de 66 % à moins de 10 % depuis 1945, et que le nombre de pays décrétés démocratiques dans le monde est passé de 17 en 1945 à 96 aujourd’hui. Affirmations sans fondements permettant de se remémorer un « glorieux passé » occidental qui néglige délibérément le rôle déterminant qui fut celui du camp socialiste, de la décolonisation, le Mouvement des États non-alignés pour lequel la Chine a joué un grand rôle. On doit à cet égard rappeler le combat titanesque engagé par les pays du tiers-monde avec la Chine pour essayer d’imposer aux pays capitalistes développés ne serait-ce que le concept même de Droit au développement et de nouvel ordre économique mondial (48).

2/ La montée de la Chine : Les auteurs soulignent que Deng Xiaoping a mis en place une série de réformes économiques axées sur le marché qui ont déclenché « un torrent de croissance » qui a permis à la Chine de devenir rapidement une force avec laquelle il faut compter sur la scène mondiale, « La Chine se faisant discrète au fur et à mesure qu’elle s’élevait pour devenir une grande puissance ». Affirmations qui négligent les progrès constant de l’industrialisation de la Chine dans les années 1949-1978 et qui oublient de constater que les réformes chinoises ultérieures n’ont pas été menées selon les dogmes libéraux mais qu’elles ont laissé une place importante à la planification étatique, au secteur public et au progrès social et sanitaire dont les progrès incontestables dans tous les domaines se sont poursuivis de manière régulière.

3/ Les faux espoirs et les vrais frayeurs concernant la Chine : Le constat fait par de nombreux chercheurs, experts et décideurs aux États-Unis qui espéraient que la libéralisation de l’économie et la croissance du pays amèneraient la Chine à passer à un système politique progressivement calqué sur le modèle occidental s’est révélé faux. Dorénavant et selon les mêmes, Xi Jinping aurait abandonné l’idée de Deng Xiaoping selon laquelle la Chine devait patiemment attendre son heure. Le Président chinois a fait le choix de mener une politique étrangère fondée sur la souveraineté, la cohésion, l’unité, le respect de la dignité, l’indépendance économique et la réponse aux besoins de tout son peuple dont on rappellera jamais assez qu’il compte 1,4 milliards de citoyens, de 56 ethnies différentes, toutes sur un pied d’égalité et non discriminées pour la promotion sociale, alors qu’aux EU les minorités sont socialement marginalisées. Autrement dit, on reproche aux Chinois de ne s’être pas humblement soumis à l’a priori idéologique et économique des partisans des « règles du jeu » concoctées par les EU.

4/ Le défi chinois, la coopération mais sans conditionnalité politique : Pékin utiliserait sa puissance économique pour se livrer à des pratiques commerciales déloyales, dominer les secteurs des technologies émergentes, réaliser des investissements en infrastructures qui ne sont pas à la hauteur des normes internationales et exercer une coercition économique à travers l’endettement des pays en développement. En fait, les États-Unis contestent le droit de la Chine à construire, développer ses propres moyens et chercher à s’émanciper de la tutelle des Occidentaux qui continuent à contrôler la grande majorité des flux d’informations économiques, commerciales, juridiques, technologiques, scientifiques, tout en exerçant une dictature sur les brevets et la propriété intellectuelle (49), mais tout en pratiquant l’espionnage économique le plus poussé au monde.

Les documents de l’Atlantic Council accusent la Chine d’avoir établi des partenariats stratégiques avec d’autres « autocraties », dont la Russie et l’Iran, et de poser ainsi des défis à la « gouvernance mondiale » dont les États-Unis assument le leadership. On ne comprend pas pourquoi la Russie et l’Iran, pays où existe le multipartisme et où se déroulent des élections pluralistes sont désignés comme « autocratiques » ? Le sont-ils plus que les EU dont le bipartisme étouffe par la violence toute démocratie et expression divergente par rapport au système libéral. Dans le même temps, que faut-il penser de leurs alliés comme les monarchies absolutistes du Golfe, le régime colombien des tueries systématiques, l’Inde au racisme et à la pauvreté extrême, sans parler du scandale du camp d’internement de la base de Guantanamo, que les Etasuniens occupent illégalement en même temps qu’ils imposent un blocus criminel à Cuba.

Pourquoi ne pas évoquer les graves entorses au droit des citoyens et les politiques répressives que l’on constate en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Ces pays soi-disant respectueux de la gouvernance mondiale sont ceux où l’on peut constater une corruption de haut vol, des violences policières répétées et l’inféodation de la justice.

A ce sujet, il est intéressant et positif de noter que la Chine vient de publier un rapport consistant et accablant sur des faits avérés d’atteintes aux droits de l’homme aux États-Unis (50), avec en exergue du document, le cri de Georges Floyd (51) « I can’t breathe » (Je ne peux plus respirer) qui est devenu le mot d’ordre de milliers de rassemblements anti-racistes à travers le monde.

Sur le plan économique, le défi chinois consisterait donc, selon l’Atlantic Council, dans le vol des technologies des entreprises occidentales par espionnage industriel ou transfert « forcé » de technologies émergentes, ce qui serait censé expliquer la diminution constante de l’écart technologique entre les États-Unis et la Chine. Accusation simpliste qui devrait faire rire tous les analystes qui se préoccupent « d’intelligence artificielle » et qui reconnaissent les progrès spectaculaires de la Chine en ce domaine. Quand la Chine consacre 70 milliards de dollars à l’AI, les États-Unis investissent 11 milliards de dollars. A l’horizon 2030, la Chine en sera le leader mondial (52). C’est toutefois cet argument dérisoire qui a été utilisé par Washington pour justifier la fermeture du plus ancien consulat chinois aux États-Unis, celui de Houston (53), et procéder à l’expulsion de diplomates.

Dans ce contexte, force est de constater que l’initiative chinoise « Une ceinture une route » « One belt, one road » (BRI) au budget inégalé de 1 600 milliards de dollars constitue un effort massif d’investissements sans précédent dans l’histoire contemporaine. Il représente presque dix fois ce que fût le Plan Marshall des EU en 1947 à l’égard de l’Europe, soit 173 milliards de dollars en 2020, sans évoquer les lourdes conditionnalités que cela entraina pour tous les pays du vieux continent. Justement, ce projet de coopération inédit se fait sans aucune conditionnalité politique et c’est cela qui le rend attrayant pour les pays concernés. Les projets des futures routes de la soie, terrestres et maritimes, vont se réaliser à travers les besoins urgents d’infrastructures que manifestent de nombreux pays exclus du développement par les politiques néo-coloniales des pays riches. Des ports, des aéroports, des routes, des chemins de fer à grande vitesse, des ponts, des parcs industriels vont se concrétiser, et se concrétisent déjà, ils représentent ce qu’aucune puissance occidentale, même si elle le voulait, ne serait en état de mener à ce rythme. 140 pays se déclarent partenaires de ce projet titanesque qui représentera 4,4 milliards d’habitants et 40% du PIB mondial. Cela se fait d’une manière différente de l’OTAN qui s’est toujours ouvertement « projetée » de façon offensive. La démarche des Chinois se situe sur le terrain du développement et de la coopération mondiale sur un pied d’égalité, sans ingérence et sans contreparties politiques, à partir du principe « gagnant/gagnant » encourageant ainsi le multilatéralisme dans les relations internationales.

Pourtant pour l’Atlantic Council, le vaste et ambitieux programme « des routes de la soie » constitue la preuve que la stratégie de la Chine vise à accroître son influence géopolitique dans toutes les régions du monde, de concert avec la Russie et l’Iran, dans le seul but serait de contester « le leadership mondial » auquel prétendent unilatéralement les États-Unis.

5/ Les opportunités : Ne pouvant en principe attaquer la Chine de front, à moins de passer directement à l’option militaire, les auteurs des projets stratégiques de l’Atlantic Council doivent tergiverser entre des intérêts contradictoires et essayer de jouer tantôt le chaud tantôt le froid, selon la méthode du « smart power » chère à Joseph Nye, tantôt « hard power », tantôt « soft power ». L’ambition déclarée serait d’amener la Chine et ses alliés à accepter la légitimité du leadership américain afin de « coopérer dans les relations économiques, les opérations de maintien de la paix, le contrôle des armements, la santé publique et le changement climatique ». Ce qui reviendrait à une capitulation et un ralliement en bonne et due forme. Dans le même temps, bizarrement, les auteurs constatent que les achats par la Chine de bons du Trésor des EU ont financé la dette et le déficit des États-Unis. Ils acceptent également de considérer qu’elle a joué un rôle constructif dans la non-prolifération nucléaire et que les États-Unis et la Chine ont coopéré sur différents sujets.

6/ Les objectifs : Les auteurs de ces trois analyses prospectives prônent également une politique visant à affaiblir le concurrent chinois, d’où leur navigation à vue entre dénonciations répétées et proclamation de leur désir de voir s’établir une relation stable avec la Chine.

Incapables d’expliquer l’évolution de la position chinoise sur les domaines incriminés, le choix revient encore et encore sur la mise en cause politique et idéologique. Fort logiquement du coup, les stratèges de l’Atlantic Council privilégient les problèmes de personnes. Le défi étant réduit à considérer que « les coopérations sur des questions d’intérêts mutuels » seront « difficiles à réaliser avec Xi comme président et la génération actuelle de dirigeants du PCC au pouvoir ». Il va donc falloir « résister aux pratiques économiques déloyales et à la propagation du capitalisme autoritaire dirigé par l’État, … soutenir les droits de l’homme, la démocratie et la bonne gouvernance » en Chine comme dans les autres pays ciblés par Washington.

7/ Renforcer : Pour faire face à cette « menace » que représente le système chinois, pour le combattre, le faire reculer tout en lui demandant de coopérer sur les questions « d’intérêts mutuels », la réponse n’est pas des plus simples. L’Atlantic Council s’est donc résolu à essayer de « rééquilibrer » un rapport des forces qui devient défaillant. Il propose de « créer de nouvelles institutions pour faciliter la collaboration entre des alliés et des partenaires partageant les mêmes idées en Europe, dans la région indo-pacifique et dans le monde. » C’est quasiment reconnaître que les coûteuses institutions occidentales existantes sont inefficaces et qu’il faut donc rajouter des couches bureaucratiques au millefeuille. On constatera également dans ces documents et dans bien d’autres concoctés à Washington que le « pragmatisme étasunien » à visée consumériste a tendance à céder la place à une vision philosophique de plus en plus idéaliste, émotionnelle et moralisatrice des relations entre États, censées être basées non plus sur un partage d’intérêts mais « d’idées », chose sans doute moins calculable et donc moins coûteuse pour un État surendetté.

8/ Défendre : Dans le même temps, on entend « préconiser, financer et développer de nouvelles capacités militaires et de nouveaux concepts opérationnels pour parvenir à une posture de combat crédible dans la région indo-pacifique ». Cela explique l’obsession des États-Unis sur le Parti communiste chinois qui, selon eux, viserait désormais à dominer le monde avec une armée de classe mondiale d’ici 2035.

Pour donner à la nouvelle administration un début de cohérence apparente et d’anticipation, c’est sur ce terrain que vont plancher dans les mois à venir des myriades de hauts fonctionnaires du trésor, du complexe militaro-industriel et de l’espionnage étasunien. C’est là, la mission de Lloyd Austin (54), le général afro-américain placé à la tête du Pentagone qui doit sous quatre mois présenter le rapport d’une commission d’une dizaine d’experts qui vont élaborer le volet militaire de la stratégie, en liens avec l’OTAN et la Quad.

C’est dans ce but en principe « défensif » qu’il faudra travailler pour « réduire la dépendance économique à l’égard de la Chine et offrir des opportunités économiques compensatoires aux alliés et partenaires vulnérables ». Bien malin qui saura imaginer un moyen pour arriver à de tels résultats, lesquels ne manqueront pas de coûter très cher, d’autant plus qu’ils s’apparentent à la quadrature du cercle. Ils recèlent, si l’objectif assigné devait être maintenu coûte que coûte, des risques élevés de confrontations militaires singulièrement en mer de Chine du sud, dans le détroit de Formose ou, comme cela vient d’être illustré ces dernières semaines, par une dangereuse proximité entre des navires chinois et américains au large des Philippines ou encore à travers la violation des eaux côtières indiennes par un bâtiment de la 7e flotte des EU.

La répétition page après page de proclamations incantatoires suivies de dénonciations visant à « contrer les opérations d’influence chinoise et défendre la démocratie et la bonne gouvernance …mettre en lumière la corruption du Parti communiste chinois, les violations des droits de l’homme et encourager les réformes en matière de droits de l’homme en Chine » …tout en voulant « Maintenir un équilibre de pouvoir à l’encontre de la Chine dans l’Indo-pacifique » sonne comme un aveu de faiblesse compulsive. Cela n’est pas sans expliquer l’étendue des pressions exercées en forme de recolonisation contre des pays comme le Sri Lanka, dont le Pentagone, comme New Delhi, aimeraient faire un porte-avions naturel pour accueillir en particulier la 7e flotte et la logistique militaire des États-Unis. C’est à Colombo, sous la pression populaire, qu’un accord de coopération militaire baptisé MCC (55) a été mis en échec. Il aurait donné toutes libertés, et sans aucun contrôle des autorités locales, à la mise en place d’importantes infrastructures permettant une présence importante de soldats US à l’intérieur du Sri Lanka, en plus de l’accès et du contrôle de ses ports et aéroports. Cette volonté nord-américaine vis-à-vis de la « perle de l’Océan Indien » n’est pas non plus indifférente au souci de stabilité de l’Inde qui est devenue le partenaire privilégié des États-Unis dans la région.

Ce qui renvoie à l’enjeu stratégique que représente dorénavant le contrôle des corridors maritimes et les ports dans cette partie du monde qui représente 70% du trafic maritime mondial pour le pétrole et 50% de celui des containers, sans parler des 30 kms qui séparent l’Inde du Sri Lanka à travers le Palk Straits qui est connecté directement au Golfe du Bengale où d’importantes manœuvres militaires ont lieu régulièrement. De ce point de vue, le navire bloqué pendant plus d’une semaine dans le canal de Suez et qui a fait trembler les marchés constitue un cas particulièrement éclairant (56). Surtout quand ils sont associés avec la dimension maritime « des nouvelles routes de la soie » comme c’est le cas pour les ports en eaux profondes d’Hambatota, Trincomalee et Colombo au Sri Lanka ou celui de Gwadar au Pakistan où les installations sont soumises aux provocations armées d’un Front de libération du Baloutchistan formé, équipé et encadré par la CIA (57).

9/ Engager : « Magnanimes » dans leur jeu du chat et de la souris où ils s’imaginent à la place du chat, les dirigeants des EU et associés entendent « imposer un prix à la Chine pour son comportement menaçant. En même temps, ils doivent également démontrer les avantages d’une participation plus complète à un système mondial fondé sur des règles ». Ce pour quoi il faut malgré tout « Maintenir des lignes de communication ouvertes avec la Chine, même si la concurrence s’intensifie » et s’assurer « Le soutien du peuple des EU (qui) est essentiel pour assurer la viabilité d’une stratégie à long terme. » Conclusion pour le moins prudente qui témoigne d’un sentiment de faiblesse intérieure qui permet sans doute de mieux comprendre des textes qui se veulent « stratégiques » et qui sont en fait selon la logique libérale binaire « gagnant-perdant ». Objectif auquel les Chinois répondent par « gagnant-gagnant ».

La Chine pour faire progresser la perception qu’elle a de sa vision stratégique a aussi besoin d’un instrument politique qui lui permettra de ne pas compter uniquement sur sa force et ses capacités économiques. C’est le but du CICA (Conference on Interaction and Confidence Building Measures in Asia) créée à l’initiative de Xi Jinping. Cette institution reprend à son compte la gestion en étoile (la « Hub and Spoke Strategy ») des Etasuniens, mais cette fois en donnant un sens à la coopération entre pays de la région asiatique et tout son rôle au système financier qu’elle s’est donnée à travers la AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank) (58).

10/ Application : après tout ce qui a été écrit plus haut, les auteurs de l’Atlantic Council, sans doute conscients que le défi chinois pour beaucoup de pays s’appuie principalement sur l’attractivité de son modèle économique, en arrivent à conclure « aucun pays ne doit être forcé de choisir entre les États-Unis et la Chine. Les pays peuvent, et doivent, s’engager avec la Chine dans des domaines d’intérêt mutuel, mais ils doivent également travailler avec le reste du monde pour se défendre contre les comportements chinois qui violent les normes internationales et leur imposer des coûts ». Cette formulation laisse penser que, inconsciemment, les auteurs de ces trois études se considèrent non plus comme étant au centre mais comme faisant partie « du reste du monde » et donc qu’ils se sentent minés intérieurement par la possibilité à terme d’une future et possible « défaite », ou pour le moins, d’un profond bouleversement du rapport des forces mondial.

Et c’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre une phrase de conclusion d’un de ces longs et laborieux documents fidèles à la logique du « Longer Telegram » : « Le monde libre a un palmarès impressionnant de réussites dans la lutte contre les rivaux autocratiques de grande puissance et dans la construction d’un système fondé sur des règles. En poursuivant cette stratégie – et avec une volonté politique, une résistance et une solidarité suffisantes – ils peuvent une fois de plus survivre à un concurrent autocratique et offrir au monde une paix, une prospérité et une liberté futures ». Aux vieux mythes quelque peu décatis des « pères fondateurs » américains vient s’ajouter cette formulation somme toute « survivaliste » qui pose la question du comportement qu’auront les États-Unis confrontés à la perte de « leadership », perspective imminente au regard de leur fonctionnement pour le moins erratique, en particulier depuis la crise du Covid 19, sans oublier les problèmes existentiels de l’allié/partenaire de l’Union européenne.

Ceux là même qui affirment d’un côté que les masses ne sont pas prêtes à se soulever en faveur d’une « pensée Xi Jinping » soutiennent que la Chine, ou la Russie, mènent une guerre idéologique qui atteint dorénavant les profondeurs de l’Amérique. Là est bien le problème !

Pour conclure provisoirement…

Il est connu que les Etasuniens sont des gens impatients, et que, par contre, les Chinois ne le sont pas. En fait, les Chinois sont non seulement patients mais savent donner du temps au temps. Les Chinois voient loin et savent faire le choix de stratégies sur le long terme, y compris sur plusieurs dizaines d’années, c’est ce qu’ils font actuellement. Les Américains aiment travailler dans le court terme, ils cherchent à gérer au mieux leur lourde bureaucratie, leurs luttes intestines, leurs alliances et mésalliances, leurs divisions chroniques, leurs querelles et la concurrence entre leurs institutions, et même des élections tous les quatre ans dont les résultats peuvent être inattendus.

Au fond, cette période nouvelle dans laquelle nous sommes désormais entrés de plein pieds démontre de manière irréfutable que le système dominant qui s’est imposé depuis la disparition de l’URSS ne fonctionne pas ou plus, qu’il existe une autre voie, des moyens en forme d’alternative pour répondre aux besoins de l’humanité toute entière. Cette idée est devenue une évidence pour un grand nombre de personnes et de pays à travers le monde qui constatent qu’un autre système fonctionne mieux et qu’il existe dans le but de soigner, de travailler, de s’éduquer, de se cultiver et de préserver la planète d’agressions militaires ou environnementales de toutes sortes.

« L’Orient est rouge » proclamait une œuvre de la culture chinoise du milieu des années 1960. Henry Kissinger quant à lui faisait le constat suivant : « La Chine s’irriterait profondément de toutes les tentatives visant à lui dicter ce qu’elle doit faire chez elle. Le regard qu’elle porte sur l’ingérence de l’Occident dans son histoire vient encore accentuer cette susceptibilité générale. Depuis que les guerres de l’opium du XIXe siècle ont contraint le pays à s’ouvrir, les Chinois ont considéré l’Occident comme l’agent d’une interminable succession d’humiliations. Pour leurs dirigeants, le refus farouche de s’incliner devant les prescriptions de l’étranger est un impératif moral ».

La Chine s’est éveillée (59) et les experts de l’Atlantic Council seraient bien inspirés de réfléchir à l’opinion lucide de celui qui fut l’artisan de la reconnaissance de la République populaire de Chine par les États-Unis et de la première rencontre historique de leurs dirigeants, ce qui constitua à l’époque l’équivalent d’un tremblement de terre à l’échelle mondiale.

drweski.bruno@orange.fr jean.pierre.page@gmail.com

Notes :

(38) « Le budget militaire des EU 2020 est comparable à celui de tous les autres pays cumulés », il avait été soutenu par Donald Trump et approuvé par les démocrates et les républicains. Sputnik, 24 décembre 2019.

(39) Ajith Sigh, “Activistes Ouighours et extrême droite”, the Grayzone, cité par Histoire et Société, 31 mars 2021

(40) “L’autorité sanitaire chinoise appelle à la coopération internationale face à l’épidémie”, French.China.org, 20 avril 2020.

(41) Interview du général Qiao Liang dans la revue Conflits, 7 mai 2020. Qiao Liang et Wang Xiangsui sont les auteurs de La Guerre hors limites, un ouvrage sur l’art de la guerre asymétrique, Essai poche, 2006.

(42) Docteur Folamour film de Stanley Kubrick, avec Peter Sellers, 1964

(43) The Atlantic Council, “Global 2021 – an allied strategy for China”.

(44) « Nord Stream 2, Allemagne et Russie renforcent leur alliance renforcé par un projet d’hydrogène vert », La Tribune, 16 février 2021.

(45) « L’UE face aux nouvelles routes de la soie, contradictions et perspectives », IRIS, 2018

(46) Cette zone de libre-échange engage dix États de l’Asean (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

(47) Tamara Kunanayakam, « Quel développement, quelle coopération internationale ? », CETIM, Genève 2007.

(48) OMPI : Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle, totalement contrôlée par les pays occidentaux, dont les EU.

(49) http://www.xinhuanet.com/english/download/2021-03-24/reportonUShumanri…

(50) Georges Floyd est un Afro-américain assassiné de sang froid par la police de Mineapolis en 2020. Ce crime a entraîné des manifestations impressionnantes aux EU et pendant plusieurs mois. Voir notre article « Révolution sociale, révolution colorée », Le Grand Soir, juillet 2020.

(51) La Chine prête à tout pour devenir le leader mondial de l’AI », Les Echos, 20 février 2020

(52) “Les États-Unis ferment le consulat chinois de Houston pour protéger la propriété intellectuelle américaine”, Le Monde, 22 juillet 2020.

(53) Le général Lloyd Austin a été préféré comme secrétaire à la Défense à l’interventionniste de choc Michèle Flournoy à qui on réserve sans doute un rôle de premier plan. Lloyd Austin est un criminel de guerre notoire lié directement à travers son Conseil d’administration au complexe militaro-industriel, particulièrement au groupe Raytheon, troisième producteur d’armes aux États-Unis.

(54) MCC : Millenium Challenge Corporation. La proposition étasunienne de mise en place d’un traité au Sri Lanka a finalement été rejetée par le gouvernement de Colombo.

(55) « La semaine ou un navire a bloqué les marchés », L’Express, mars 2021.

(56) Le Front de libration du Baloutchistan est opposé à la politique d’Imran Khan de coopération avec la Chine et a mené plusieurs attaques, entre autre, contre le port Gwadar et en 2020 contre la bourse de Karachi.

(57) Lee Jaehyon, « China is recreating the hub and spoke system in Asia », The Diplomat, 11 septembre 2015.

(58) Alain Peyrefitte, La Chine s’est éveillée, Fayard, 1996

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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