Poséidon a dû ouvrir un oeil intéressé à la lecture de certaines nouvelles maritimes récentes, qui donnent d’ailleurs du fil à retordre aux stratèges impériaux tout en confirmant les prédictions de nos Chroniques.
Il y a six mois, nous écrivions :
Un fait ô combien significatif n’a pas eu l’heur de faire les gros titres : la semaine dernière, la marine russe a escorté un tanker iranien à destination des côtes syriennes. Pour l’US Navy Institute, seul à rapporter l’information, le nouveau rôle de Moscou pourrait changer la dynamique de la région (…)
Comme pour le Venezuela, chaque voyage d’un tanker iranien à destination de la Syrie comporte son lot d’incertitudes et de pressions en tout genre. Va-t-il arriver ? Sera-t-il intercepté ? Si oui, Téhéran va-t-il répondre dans le Golfe persique ? Il semble maintenant que l’ours ait décidé de taper du poing sur la table.
La semaine dernière, le Samah est entré en Méditerranée, via le Canal de Suez cette fois. Presque immédiatement, deux navires russes, dont un militaire, sont venus à sa rencontre. Les trois compères ont ensuite fait voile vers le terminal pétrolier syrien de Baniyas où le Samah a déchargé sa cargaison d’or noir très attendue.
Ce petit périple escorté est un pied de nez direct à Washington et à son Caesar Act, que le Kremlin avait de toute façon annoncé vouloir contourner. Plus généralement, Moscou commence à se poser en patron de la sécurité en Méditerranée orientale, ambitionnant d’assurer « la libre circulation des bateaux civils ». La marine russe vient d’ailleurs de procéder à un exercice en ce sens, incluant même l’attaque simulée par un sous-marin.
Cette petite sauterie, médiatisée comme il convient et intervenant juste après la livraison du Samah, le message n’a échappé à personne : ne touchez plus aux pétroliers iraniens. La balle est dans le camp de l’empire.
Bingo ! La chose semble maintenant officialisée. Moscou, Téhéran et Damas auraient mis sur pied une force opérationnelle pour acheminer le pétrole iranien et d’autres biens de consommation courante en Syrie, sous la protection de la marine russe à partir du canal de Suez.
C’est une mauvaise nouvelle pour Israël, embringué plus que jamais dans sa lutte contre l’arc chiite, et qui n’aura plus que la lointaine mer d’Oman et surtout la mer Rouge pour tenter de saboter le flux entre ses deux ennemis.
A ce titre, rappelons-nous que l’ours a également commencé à poser ses pattes dans la zone :
A peine la Maison Blanche normalise ses relations avec le Soudan que la marine russe annonce y ouvrir une base !
C’est la première fois que la Fédération de Russie s’assure une présence militaire permanente sur le continent africain et l’emplacement est fort intéressant, dans une zone qui devient un point chaud attirant de plus en plus les état-majors navals de la planète. Entre les puissances régionales et globales qui ont déjà ou prévoient d’ouvrir leur base, la mer rouge commence à être sérieusement embouteillée, signe de son importance stratégique grandissante pour la sécurisation des voies maritimes. Le vénérable Mahan, théoricien de la supériorité thalassocratique américaine, doit se retourner dans sa tombe…
Pour l’instant, il n’est pas question que la flotte russe prenne en charge les navires iraniens dès la mer Rouge, Moscou étant peu désireux de trop s’impliquer dans la guéguerre entre Téhéran et Tel Aviv. Mais qui sait ce que l’avenir nous réserve…
Ce rôle croissant (et stabilisateur) de l’éternel rival heartlandien sur les mers est également une mauvaise pour la thalassocratie impériale, censée assurer la « sécurité » universelle – plus exactement son contrôle – sur le vaste océan. Après les bulles de déni dans le ciel, va-t-on assister à leur équivalent sur l’eau ?
Sur ce point, la bataille fait rage un peu plus au nord, sur un autre théâtre d’opération. Suite à la vraie-fausse escalade ukrainienne, la mer Noire est en effet revenue, une fois de plus, sous les feux des projecteurs.
Il y a deux mois, nous disions que l’ours avait décidé de hausser le ton et de taper du poing sur la table. C’est sans doute en ce sens qu’il faut comprendre le rude avertissement d’il y a quelques jours concernant les manoeuvres navales américaines prévues à proximité de la Crimée : « Les navires américains n’ont absolument rien à faire près de nos côtes. C’est une pure provocation visant à tester notre force et notre patience (…) Les Etats-Unis se croient les seigneurs de la mer, les héritiers de la Grande-Bretagne victorienne, mais les risques d’incident sont très élevés. Pour leur bien, nous conseillons aux Américains de rester à distance. »
Apparemment, l’âpre mise en garde a été comprise du côté de Washington qui a annulé l’envoi de ses bateaux dans la mer Noire, Biden proposant dans le même temps à Poutine un sommet visant à « apaiser les tensions ».
Voilà qui ne fait pas les affaires de la toupie sultanesque qui avait une nouvelle fois, une énième fois serait-on tenté de dire, changé de direction. Le rapprochement turco-euro-atlantique de ces derniers mois, particulièrement dans le dossier Ukraine/mer Noire, n’aura échappé à personne et les naïfs, qui pensaient que Moscou détacherait la Turquie de l’OTAN avec des joujoux anti-aériens, en sont pour leurs frais.
A la rue sur le plan intérieur, avec une économie cahotante et une pandémie débordante, Erdogan n’aurait pas été contre une petite guerre en Ukraine, à qui il a vendu ses drones et même, selon certaines sources, envoyé/s’apprêtait à envoyer ses mercenaires syriens. Si la tension retombe d’un cran, le sultan devra se trouver un autre conflit. Dans le nord irakien peut-être…
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