Le 19 janvier 2021, l’Insee a sorti son bilan démographique de l’année 2020 en décidant de mettre comme titre « Avec la pandémie de Covid-19, nette baisse de l’espérance de vie et chute du nombre de mariages ». Bien évidemment, la presse s’est emparée de ce titre pour expliquer à quel point la situation était grave. Les journalistes ont bien évidemment déduit du titre de l’Insee, que les français ont vécu moins longtemps que d’habitude, et qu’en plus cette diminution était causée par la Covid-19.
D’ailleurs, un des sous-titres de l’article de l’Insee est directement « En 2020, la pandémie a fait perdre 0,4 an d’espérance de vie aux femmes et 0,5 an aux hommes ». Ainsi le lien est direct : c’est la pandémie qui tue.
Dans cet article, on va détailler ce qu’est l’espérance de vie, ce que cela veut vraiment dire et comment on la calcule. On verra que, si on regarde en détail l’espérance de vie 2020, on ne peut pas affirmer que 2020 est une année pire que 2019, ou même que n’importe quelle autre année. Ce choix de mettre en avant la diminution de l’espérance de vie est donc un choix partisan et pas du tout une analyse de la situation 2020.
Lien vers la vidéo YouTube : https://youtu.be/UKpOOtnCnCQ
Qu’est-ce que l’espérance de vie ?
L’espérance de vie est un indicateur qui fait partie de la famille des indicateurs qui sont des agrégats. C’est-à-dire qu’il est construit en additionnant à l’intérieur des choses qui vont dans tous les sens et finalement ne renseigne pas du tout sur ce qu’il se passe vraiment. Il a juste un joli nom qui induit les gens en erreur parce qu’ils pensent avoir compris ce qu’il signifie.
Le mot « espérance » est un terme utilisé en mathématique qui signifie « moyenne pondérée ». Par exemple lorsque vous lancez 2 dés à 6 faces, et que vous comptez le nombre de points sur vos 2 dés, votre espérance c’est 7. En moyenne, vous faites 7, votre espérance mathématique est 7. On ne connaît pas le résultat de votre prochain lancé. L’indicateur « espérance de vie » n’est donc pas du tout à entendre au sens de « espoir ». L’espérance de vie ne vous renseigne pas du tout sur votre avenir, mais est juste une image du présent. L’espérance de vie 2020, est une moyenne standardisée de l’âge des gens morts en 2020. Elle nous donne une idée de l’âge des morts en 2020, en tenant compte de la structure par âge. L’espérance de vie 2020 ne correspond absolument pas à l’âge que vous pourrez espérer vivre. Si vous lisez cet article, vous n’êtes pas morts en 2020. Vous ne jouez pas avec les mêmes dés que ceux qui sont morts en 2020.
Depuis le début de cette histoire, j’explique sur ma chaîne Décoder l’éco, qu’il ne faut surtout pas comparer 2 nombres de décès sans partir sur une même base de calcul. S’il y a plus de décès en France qu’au Luxembourg, c’est avant tout parce qu’on est plus nombreux. S’il y a plus de décès dans un EPAHD que dans une école primaire, c’est parce que les résidents d’un EPAHD sont plus vieux que les élèves d’une école primaire. Il faut donc toujours se débrouiller pour comparer ce qu’il se passe à nombre égal et à âge égal. Dans la vidéo 1962-2020 : la moisson des morts à travers les âges, on applique la structure de la population 2020 à toutes les années entre 1962 et 2020 pour pouvoir comparer sur la même base. Toutes les années sont alors standardisées en base 2020. On peut alors en déduire que l’année 2020 est moins mortelle que l’année 2015 et moins mortelle que toutes les années avant 2014. L’année 2020 est la 6e année la moins mortelle depuis 1962.
L’espérance de vie est une autre forme de standardisation pour comparer les années entre elles. Il faut donc remercier l’Insee d’avoir enfin fait un exercice de standardisation avant de comparer les choses, contrairement à tous les articles précédents. On peut, en revanche s’étonner du fait que la comparaison reste superficielle et surtout que le commentaire soit aussi alarmiste, alors que les chiffres montrent plutôt un phénomène très rassurant.
Comment calculer l’espérance de vie ?
Calculer l’espérance de vie se fait assez facilement.
L’idée qu’il y a derrière l’espérance de vie 2020, c’est d’imaginer que l’on fait naître une population, par exemple de 100 000 habitants, et que cette population va vivre toute sa vie dans l’année 2020. Ainsi, à chaque âge, on fait mourir les gens dans la même proportion que ce qu’ils sont morts en 2020. A la fin, quand il ne reste plus personne, on calcule l’âge moyens qu’avaient toutes ces personnes au moment de leur décès. Cette moyenne standardisée est ce que l’on appelle l’espérance de vie.
Un mathématicien explique sur internet clairement les calculs étape par étape, nous allons les refaire ici.
Pour calculer cette espérance de vie, il suffit de récupérer sur le site de l’Insee la population française âge par âge, avec les dernières données actualisées sorties en 2020, et les décès âge par âge, pour chaque année sur laquelle vous voulez calculer l’espérance de vie. Si vous voulez calculer une l’espérance de vie des hommes et des femmes, il faut récupérer les données pour chaque sexe. Pour l’exemple, je vais calculer l’espérance de vie hommes et femmes mélangés, en France métropolitaine, car c’est sur cette population que sont basées mes vidéos. Vous pouvez faire l’exercice pour hommes et femmes séparés et France entière, vous verrez que les conclusions sont toutes les mêmes.
J’ai mis à disposition sur mon Google Drive mon fichier de calcul que vous pouvez consulter et qui contient tout. Je détaille en bas de cet article le contenu de chaque onglet.
Comment analyser l’espérance de vie ?
L’Insee a choisi de commenter le fait que l’espérance de vie 2020 est plus faible que l’espérance de vie 2019.
C’est vrai, l’espérance de vie à la naissance a bien diminué de 0,4 ans, nous retrouvons bien le même résultat dans notre tableau. Nous calculons une espérance de vie (rappelons que c’est une moyenne pondérée d’âge des décès) de 81,63 ans en France métropolitaine en 2020, alors que l’on avait 82,12 en 2019. Cela fait 0,49 de moins soit une perte de 6 mois environ (Au moment de l’article Insee, on était plutôt à 5 mois comme vous pourrez le constater dans le Google Drive, ce n’est que depuis la dernière mise à jour que l’on se rapproche des 6 mois).
Maintenant comparons cette espérance de vie aux autres années. Pour l’Insee, comme pour ce que l’on vient de calculer, l’espérance de vie 2020 est plus élevée que l’espérance de vie 2015. Autrement dit l’âge de décès standardisé est plus élevé en 2020 qu’en 2015. C’est exactement ce que l’on avait trouvé dans la vidéo comparant la mortalité de toutes les années depuis 1962. Quelle que soit la standardisation que vous choisissez, vous conclurez que 2020 est moins mortelle que 2015. Autrement dit, en 2020 on meurt plus vieux qu’en 2015 et même que toutes les années avant 2015 aussi.
2020, n’est donc pas une année où l’on meurt jeune, ni une année où les français sont beaucoup morts au regard des autres années. C’est même la 5e ou 6e de toute l’histoire pour laquelle on est le moins mort, ou mort le plus vieux selon la façon dont on standardise.
Continuons de comparer 2020 par rapport à 2019. On voit qu’en moyenne les morts de 2020 étaient un peu plus jeune qu’en 2019, puisque l’espérance de vie est plus faible. On peut se demander si on a vraiment eu plus de mort à tous les âges, ou bien si la mortalité est juste plus importante à certains âges spécifiques. En effet, le problème d’une moyenne qui baisse, c’est qu’on ne sait pas si tout baisse d’un coup, ou s’il s’agit d’une baisse à un seul endroit.
Pour cela on peut comparer notre nombre de survivants âge par âge calculé précédemment dans le calcul de l’espérance de vie pour 2019 et 2020. Vous trouvez les graphiques dans l’onglet « survivants ». Ici, on a pour chaque âge, le nombre de survivants, selon si notre population est décédée comme en 2019 ou plutôt comme en 2020.
On peut surtout regarder en détail la différence du nombre de survivant âge par âge en 2020 et 2019 pour savoir à chaque âge en quelle année on a plus de survivants. Vous trouverez le graphique juste en-dessous. Sur ce graphique, la courbe est positive lorsqu’il y a plus de survivants en 2020 qu’en 2019 et négative sinon.
On constate que pour tous les âges jusqu’à 65 ans, on a plus de survivants en 2020 qu’en 2019. Les moins de 60 ans représentent 75% de la population française. Ils sont moins morts en 2020 qu’en 2019. La hausse de mortalité ne concerne que les plus de 60 ans. Mettons même le curseur très bas, à 10 ans par exemple. Les enfants jusqu’à 10 ans, sont moins morts en 2020 qu’en 2019.
Question : Est-ce que l’année 2020 est vraiment une moins bonne année que 2019 ? Est-ce que tous les âges se valent ? Est-ce que mourir à 80 ans c’est la même chose que mourir à 5 ans, 10 ans, 35 ans ? J’ai l’impression que le phénomène naturel, c’est plutôt que les grands-parents meurent plus que les enfants. Les sociétés humaines comme animales se battent habituellement jusqu’au bout pour sauver leurs enfants, il y a sûrement une raison à ça.
Dans le calcul de l’espérance de vie que donne l’Insee, il n’est pas précisé où se trouvent les gains et les pertes. En l’occurrence, en 2020, les jeunes sont moins morts que d’habitude. On ne le voit pas quand on somme tout bêtement en donnant uniquement le résultat de l’espérance de vie. Ce résultat se devine cependant sur l’article de l’Insee, lorsque vous constatez que la perte de 0,4 an d’espérance de vie à la naissance se retrouve aussi à l’espérance de vie à 60 ans. Cela signifie que la perte est uniquement après 60 ans. Vous la retrouvez encore à 80 ans, la perte est alors de 0,3 montrant que quasiment tous les décès en plus de l’année 2020 concernent des plus de 80 ans.
Si on reprend notre espérance de vie, on peut constater qu’elle augmente de manière régulière depuis 2010. En moyenne, elle augmente de 0,12 années par an, soit un mois. Vous trouverez le graphique dans l’onglet esperance_vie_naissance.
Il y a des années où elle est plus haute et d’autre où elle est plus basse. Par exemple, les années 2012, 2015 et 2020 sont en-dessous. Toutes ces années ont été précédées par une année ou l’espérance de vie avait fortement augmenté et était au-dessus de la tendance : 2011, 2014 et 2019.
On retrouve ce résultat, lorsque l’on regarde les décès en France métropolitaine. Les décès sont en bleu et la courbe de tendance est en rouge. Les décès augmentent depuis 2010 du fait du vieillissement des baby-boomers. L’augmentation est assez régulière. On voit bien les phénomènes de creux en 2011, 2014 et 2019 suivis de bosses en 2012, 2015 et 2020. Ces 3 années, sont donc des rattrapages des années précédentes.
Pour comprendre pourquoi, regardons les décès quotidiens de ces différentes années. Voici les décès quotidiens observés en France métropolitaine depuis 10 ans. La courbe bleue correspond au nombre de décès et la courbe rouge, à la tendance.
Cependant, ces épidémies ne respectent pas exactement le même calendrier chaque année. Ainsi les années 2011, 2014 et 2019, ont la particularité de ne pas avoir de gros pics épidémiques. Au contraire, les années 2012, 2015 et 2020 ont à la fois un gros pic épidémique en début d’année, mais également un gros pic épidémique en fin d’année. Ce sont donc des années avec une épidémies qui a fini tard, suivie d’une épidémie qui a démarré tôt. Les différences de mortalité ente années viennent uniquement du fait que nous coupons l’année au 31 décembre, soit en plein milieu des pics épidémiques. Selon si l’épidémie est précoce ou tardive, elle se retrouve donc d’un côté ou de l’autre. Certaines années en supportent donc 2 et d’autres 0.
L’espérance varie donc de la même manière que les décès, en fonction du calendrier épidémique.
On peut quand même s’attarder quelques secondes sur les pics. Il est assez intéressant de constater que les pics épidémiques ont des formes plutôt bien arrondies d’habitudes. Un article très bien écritpar un mathématicien anonyme, nous montre que depuis 2010 et le vieillissement des baby-boomers, les hôpitaux n’ont plus la capacité d’accueillir les malades pendant les périodes épidémiques. Pour cette raison, chaque année, la télé fait des reportages sur les hôpitaux qui débordent, les patients qui attendent dans les couloirs et les opérations reportées. Depuis 10 ans, les médecins urgentistes sont en grève quasi permanente pour cette raison. Aussi les pics que vous voyez en plus des bosses épidémiques, correspondent à un abandon de soin. Quand on ne soigne pas les gens, ils ont tendance à mourir.
Le pic de mars 2020, a 2 particularités. La première c’est qu’il se trouve à la fin de la période épidémique et pas au milieu comme d’habitude. La 2e, c’est qu’il démarre exactement aux dates à partir desquels les médecins ont eu interdiction d’utiliser les mêmes médicaments que d’habitude, et également à partir duquel le confinement a été imposé. On sait aujourd’hui que le SARS-COV2 circulait en France, bien avant le confinement. La hausse de mortalité est faiblement visible dès le début du confinement, le 17 mars, mais explose à partir du 23 mars. Comme expliqué dans cette vidéo, les hausses de décès ne sont visibles qu’à partir du lundi. Le week-end, les relevés de décès sont toujours très bas, non pas par manque de décès, mais par manque de médecins pour les constater. Ainsi c’est à partir du 23 mars que le nombre de décès monte en flèche.
Il est assez intéressant de voir des instituts ou des universités proposer des modèles sans queue ni tête pour imaginer des liens que l’on ne peut absolument pas mesurer entre des mesures sanitaires et une baisse de la propagation épidémique, mais qu’aucun d’entre eux n’ait remarqué la corrélation parfaite entre l’abandon de soin visible à partir du 23 mars et la mortalité.
L’année 2020, c’est la première année où on a commencé à arrêter de soigner les gens pour leur bien. Moins on les soigne, plus ils meurent et plus on dit qu’il faut les enfermer un peu plus et les soigner encore moins. Le vaccin miracle est celui qui nous protégera tous de la mort et ce ne sont plus les soignants. On préfère ainsi dépenser des milliards sans savoir si ça marche, plutôt que des millions en ouvrant des places à l’hôpital. C’est intéressant, il s’agit exactement du même type de raisonnement qu’utilisent les néolibéraux comme Milton Friedman en économie : il explique que pour le bien des gens, il faut tout privatiser pour laisser faire le marché, et quand les gens commencent à crever de faim à cause des mesures prises, il reste droit dans ses bottes en disant « c’est parce qu’on n’a pas encore assez privatisé ». Je ne sais pas si tout le monde se rend compte de niveau de stupidité dans laquelle nous baignons depuis plus d’un an concernant la gestion épidémique et depuis un demi-siècle concernant l’économie. On donne toujours des noms à l’histoire lorsque l’on regarde en arrière. Etant très vaniteux et imbus de notre savoir, on apprend à l’école que nous vivons l’époque contemporaine après celle des temps modernes à l’opposé du Moyen-âge. J’ai plutôt l’impression que d’ici un siècle ou deux, lorsque nos descendants regarderont en arrière, ils appelleront notre époque « l’absurdisme globalisé ». En tout cas je l’espère, sinon c’est qu’ils auront réussi à faire pire.
Annexe : Explication du fichier de calcul de l’espérance de vie
Dans le 1er onglet (deces) on a le nombre de décès par âge, pour chaque année.
Dans le 2e onglet (vivants), la population par âge en France métropolitaine, pour chaque année.
Dans le 3e onglet (taux_mortalité) on divise les décès par la population, on en déduit le taux de mortalité par âge. Les fichiers de l’Insee regroupent tous les âges à partir de 100 ans, on va donc faire comme si tous les âges à partir de 100 ans avaient la même mortalité. Ce n’est pas parfait, ça va nous donner un calcul très légèrement plus bas que si on avait les vrais chiffres, mais ça ne change pas les conclusions.
Dans le 4e onglet (taux_survie) on déduit du taux de mortalité par âge, le taux de survie par âge. On fait juste 1 – le taux de mortalité par âge.
Dans le 5e onglet (survivants), on va enfin faire notre calcul en faisant vieillir et mourir notre population. Le calcul est très simple. A la naissance, on a 100% de population vivante. Ensuite on fait mourir tous ceux qui sont morts à 0 an en multipliant ce 100% par le taux de survie à 0 an que l’on vient de calculer. On a donc nos survivants à 1 an. On les fait mourir en multipliant par le taux de survie à 1 an. Nos survivants à 2 ans, sont donc la multiplication du taux de survie à 0 an et du taux de survie à 1 an. Pour tous les âges c’est le même calcul. Notre nombre de survivants est le nombre de survivants de l’âge précédent multiplié par le taux de survie de cet âge. Le nombre de survivant d’un âge, c’est le produit de tous les taux de survie des âges précédents.
Dans le 6e onglet (non-survivants), on calcule le nombre de morts à chaque âge, c’est tout le taux de mortalité multiplié par le nombre de survivants.
Dans le 7e onglet (age_gagné), on calcule l’âge gagné par les personnes qui sont décédées. C’est le nombre de non-survivants multiplié par l’âge qu’ils ont au moment de leur mort.
Dans le 8e onglet (espérance_vie_naissance), on calcule l’espérance à la naissance pour toutes les années de 1962 à 2020. C’est la somme de tous les âges gagnés par notre population.
Voilà à cette étape, on a l’espérance de vie à la naissance pour chaque année. En 2020, on voit à la naissance, une espérance de vie de 81,63 ans, ce qui veut dire que la moyenne standardisée de l’âge des décès en 2020 est de 81,63 ans. Et ça ne veut pas dire du tout que les français d’aujourd’hui vivront en moyenne 81,63 ans.
Pierre C.
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca