Dans le temps, quand ce sont des communautés religieuses qui possédaient et géraient hôpitaux et autres institutions de santé, on disait que les travailleuses et les travailleurs qui y oeuvraient étaient payés « en indulgences plénières applicables aux âmes du purgatoire… »
Il y a un an, c’est-à-dire hier, on les appelait « nos anges gardiens ». Si l’inspiration religieuse est toujours là, les conditions de travail de ces femmes et de ces hommes ne font l’envie de personne. Et si les Sœurs n’y sont plus, le réseau est plus que jamais une tour de Babel.
Soit comme journaliste, soit comme syndicaliste, j’ai été témoin, depuis 1966, des luttes menées dans les institutions de santé pour améliorer des conditions de travail parmi les plus pénibles. Et de 1966 à nos jours, chaque fois que ces travailleuses et ces travailleurs ont tenté de lever le ton pour attirer l’attention, leurs appels sont reçus par des cris d’orfraie.
Aujourd’hui, ce sont les Mario Dumont et Luc Lavoie de ce monde qui s’étouffent en entendant le mot grève. Ils ont cependant des prédécesseurs dont ils pourraient s’inspirer. Ces hâbleurs qui, il y a 50 ans, déversaient leur bile sur les syndicats ont été oubliés.
Les Paul Coucke, Alban Flamand, Yvon Dupuis, Claude Lavergne, Marc Trahan, France Fortin et autres agitateurs médiatiques ont fait des petits. Voici un florilège des aménités destinées aux syndiqués.
« Il ne faut pas que le syndicalisme accepte de se donner l’image de quatre ou cinq ambitieux personnages pour qui tous les moyens sont bons, même la violence, le meurtre ou la guérilla urbaine. »
« Les chefs syndicaux sont devenus beaucoup plus politicailleurs que syndicalistes, plus despotes que ne le fut Néron lui-même avant d’assassiner Britannicus, Agrippine et Octavie. »
« La preuve est faite que le droit de grève ne peut être donné à des enfants qui ne savent pas s’en servir. »
« C’est toute la philosophie du droit de grève dans les services publics et parapublics qu’il va falloir reconsidérer. C’est le droit de grève lui-même qu’il faudra limiter. »
Et celle-ci, qui est prémonitoire : « En fait, quoiqu’on veuille laisser croire au public, surtout du côté du gouvernement, rien ne fonctionne normalement dans tout le secteur hospitalier… »
L’année qui vient de s’écouler aura ouvert les yeux à bien du monde. Mais ce qui s’est passé dans le réseau ne peut être mis sur le dos des syndicats, des travailleuses et des travailleurs. Le monde politique, le monde médiatique, le temps d’une larme fugitive, se sont découvert, l’espace d’un instant, une soudaine compassion pour ces vieilles dames, ces vieillards abandonnés depuis des lustres, malades chroniques et impotents.
Plus personne n’ignore désormais ce qui fait le dramatique quotidien de milliers de femmes et d’hommes qui, à la minute, à l’heure, à la journée, à la semaine, au mois et à l’année, leur vie entière, lavent, soignent, torchent, nourrissent et réconfortent ces êtres fragiles. Ce qui les raccroche encore à un filet d’humanité alors qu’ils sont souvent abandonnés par leurs propres enfants, ce sont ces travailleuses et ces travailleurs de l’ombre.
À l’occasion d’une Commission parlementaire tenue en 1986, le Conseil pour la protection des malades affirmait ceci : « Voilà ce que fait une grève, à notre avis, dans les hôpitaux et les centres d’accueil et ce qui fait que la grève, pour nous, est essentiellement inhumaine. Loin de vouloir soulager les malades, on leur inflige délibérément, sciemment, un surcroît de souffrances morales et physiques. Des malades qu’on laisse dans leurs excréments et dans leur urine parce que le personnel est insuffisant ; des malades qu’on expose à des plaies de lit purulentes parce qu’ils ne sont pas tournés aussi souvent qu’ils devraient l’être; le problème des plaies. Et combien de plaies de lit ont été causées par diverses grèves ? »
Ce que fait une grève, disent-ils ? Parbleu ! Depuis 30 ans, il n’y a eu que quelques jours de grève dans le réseau, en 1995 ! Et quelles horreurs y a-t-on vues depuis un an ? Ce que les syndicats dénoncent depuis des lustres, sans être entendus. Ces vieillards dans les résidences pour personnes âgées, ces patients cordés dans les corridors des urgences demeurent pour notre société un reproche permanent. Et ce ne sont pas les hommes et les femmes qui s’en occupent qui sont responsables de cet état de fait. Malheureusement pour eux, ils sont toujours en attente d’une convention collective. Après un an… Quelqu’un a-t-il pensé, dans les officines des différents pouvoirs, jeter un œil sur les politiques néolibérales et les politiques d’austérité pour comprendre ce qui se passe ?
Alfred de Musset avait bien vu, qui a écrit : … « qui mettent leurs vertus en mettant leurs gants blancs ».
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal