Le projet North Stream, déjà bien avancé, pour reprendre une expression célèbre de Charles de Gaulle, c’est l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, ce que les Américains veulent éviter comme la peste.
C’est pourquoi ils freinent la construction de ce gazoduc, véritable lien organique entre la Russie et l’Europe, à coups de provocations militaires et de destabilisations politiques. Pour l’instant, l’Allemagne, qui met (pour une fois) son intérêt économique avant sa soumission à l’Amérique, résiste.
Pour combien de temps ? Quant à Paris, diplomatiquement sinistré, le pauvre Macron n’a même plus voix au chapitre. Il suffit de pas grand-chose, ou d’un pas grand-chose, pour sortir de l’Histoire…
Bienvenue dans la géopolitique énergétique.
– La Rédaction d’E&R –
Alors que l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2 semble plus proche mais aussi plus incertain que jamais, ce projet controversé depuis ses prémices continue de nuire aux relations transatlantiques, russo-européennes, intra-européennes et à alimenter le débat politique en Allemagne. S’il ne reste que quelques kilomètres de tube à poser au fond de la mer Baltique, la pression ne faiblit pas, bien au contraire.
Pour l’Allemagne, ce gazoduc qui va la relier à la Russie par un tube sous-marin qui doit venir longer Nord Stream 1 en doublant ses capacités (55 mds de m3 de gaz par an) vise à l’aider à accomplir la transition énergétique radicale dans laquelle le pays s’est engagé. Il doit également lui permettre d’asseoir son rôle de hub gazier en Europe puisque, avec une potentialité de 110 Mds de m3 de gaz russe par an arrivant sur les côtes près de Greifswald, le pays va s’arroger un pouvoir considérable en termes de redistribution en Europe. Pour la Russie, Nord Stream 2 serait avant tout une affaire de prestige.
C’est du moins ce qu’affirme l’expert russe Mikhaïl Kroutikhine, qui estime que l’objectif initial de Vladimir Poutine – permettre à la Russie d’éliminer totalement l’Ukraine du jeu du transit gazier russo-européen – a été fortement entamé par la pression américaine : par leurs sanctions, les États-Unis ont en effet forcé Moscou, fin 2019, à négocier avec Kiev un nouveau contrat de transit pour les cinq années suivantes.
Les derniers kilomètres
Alors que près de 40 % du gaz naturel importé par les pays de l’Union européenne (en provenance de pays hors-UE) en 2019 comme en 2020 sont provenus de Russie, le calcul des capacités des tubes traversant le continent européen pour acheminer ce gaz montre l’inutilité de Nord Stream 2 : à supposer que tous les tubes reliant la Russie à l’Europe soient en service, leur capacité cumulée excède les besoins d’une Europe par ailleurs en pleine transition énergétique (montée en puissance des énergies renouvelables, accès au gaz naturel liquéfié par bateau, potentialités de l’hydrogène, etc.)
Pourtant, dans la zone économique exclusive (ZEE) danoise, les navires russes Fortuna et Akademik Tcherski s’affairent ces jours-ci de manière à gagner du temps. Le 31 mars, un total de 2 339 km de tube avait été immergé sur les 2 460 prévus, soit 95 % du gazoduc sous-marin. Il reste à installer 93 km de tube dans les eaux danoises et 28 dans les eaux allemandes. À ce rythme, la pose devrait s’achever fin 2021.
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Personne, en revanche, ne s’aventurerait aujourd’hui à parier sur la date, très incertaine, de mise en service du gazoduc : certains experts, prudents, évoquent une vaste plage située entre l’hiver prochain et celui de 2023-2024. En réalité, la question reste encore à ce jour celle de l’achèvement du gazoduc.
La menace venue de Washington
Durant son mandat, Donald Trump a porté de sérieux coups au projet, menaçant à plusieurs reprises de sanctions les entreprises impliquées dans sa réalisation (financement, construction mais aussi certification…). Ces ultimatums répétés se sont, un temps, révélés suffisants pour faire reculer lesdites entreprises, qu’il s’agisse des sociétés initialement parties prenantes au projet (et qui sont finalement devenues simples partenaires financiers), de celles possédant les navires aptes à poser le tube au fond de la mer (et qui se sont retirées), ou de la société norvégienne de certification (qui a discrètement renoncé à remplir son contrat).
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Sous l’impulsion de Joe Biden, la nouvelle administration n’a pas changé de discours, le gazoduc germano-russe réussissant à souder la classe politique américaine dans une rare unanimité bipartisane. En mars, le secrétaire d’État Antony Blinken a qualifié le projet de « mauvais accord » et prévenu que toute entité impliquée devait abandonner les travaux sous peine de sanctions immédiates, tandis que deux sénateurs républicains publiaient un appel exhortant le nouveau président à cesser de « traîner les pieds » et à passer à l’action.
Ces rodomontades semblent toutefois avoir atteint leurs limites. Aujourd’hui, le temps est compté, pour chacun : le sprint final oppose la compagnie Nord Stream 2 – qui tente d’accélérer les travaux – et l’administration américaine – qui est consciente que chaque jour passé rend ses menaces plus inopérantes.
La diplomatie en action
Dénoncées avec véhémence par l’UE, les sanctions extra-territoriales américaines sont en effet préjudiciables à tous, y compris aux États-Unis qui ont besoin d’entretenir une relation commerciale équilibrée avec l’Europe.
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Si le projet n’était qu’économique, comme le soutient Berlin depuis des années, la menace des sanctions aurait fait bien plus que le retarder. Or, son caractère géopolitique lui a permis de résister à ce chantage, grâce au soutien indéfectible de Moscou et de Berlin.
Aujourd’hui, le temps est maître du destin de Nord Stream 2 et son devenir a toutes les chances de se jouer à l’automne prochain. L’Allemagne connaîtra en effet en septembre des élections décisives, qui vont mettre fin au règne d’une Angela Merkel qui, de fait, n’a jamais tenté d’entraver le tube…
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Les Verts allemands, en revanche, y sont très opposés et leur possible entrée dans la prochaine coalition gouvernementale pourrait bouleverser l’engagement de Berlin vis-à-vis du tube. Washington serait donc avisé d’attendre ce scrutin qui pourrait porter le coup fatal à Nord Stream 2 sans besoin d’une intervention extérieure radicale ; et de continuer à retarder son achèvement. Si le tube est posé d’ici l’automne, il est en effet peu probable que même une opposition verte puisse empêcher le gaz de couler, à terme.
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