Par Khider Mesloub.
L’imminence d’une catastrophe économique et sociale, couplée à une dislocation des institutions, se précise chaque jour avec plus d’acuité. Et nos élites apeurées, autoproclamées expertes, n’épargnent pas leur vénale intelligence pour se dépenser dans des préconisations aussi hypothétiques que pathétiques.
Pour nous dispenser leurs leçons politiques libérales éculées qui ramèneraient l’Algérie aux temps faméliques reculés. Nous prodiguer leurs conceptuels cataplasmes afin de soigner le purulent économique marasme. Chaque « expert » y va de sa plume magique ou de son clavier informatique thaumaturgique, pour se livrer à des prestidigitations analytiques et recommandations économiques fantasmagoriques. Toute cette élite solipsiste fait la réclame de ses recettes économiques périmées, de ses stratégies politiques surannées. « L’adoption en urgence d’un plan anti-récession économique s’impose, pour démarrer une croissance économique, impulser un développement de l’investissement », recommande-t-elle en chœur, en forme de litanie désespérée.
Toutes ces élites, autoproclamées expertes, font partie du gratin de la bourgeoisie algérienne, qui grattent du papier avec le même esprit prédateur que sa classe dirigeante s’applique à gratter les richesses du pays à son seul profit depuis l’indépendance. Aujourd’hui, outre le fait qu’elles se heurtent à la résurgence du mouvement populiste hirakien incontrôlé, les élites algériennes affrontent également une discréditation politique insurmontable, aggravée par une crise économique mondialisée et insoluble.
Déboussolées par l’intensification de la crise, ces élites affairistes et étatiques algériennes se démènent dans une angoissante agitation pour éviter le chavirement de leur « Algérie gouvernementale », leur « nation royale ». En d’autres termes, pour sauver leur parasitaire existence sociale privilégiée. Car la vraie Algérie, celle du peuple, elles n’en ont cure, aujourd’hui comme hier, depuis l’indépendance.
Pour preuve : cyniquement, à l’époque de l’enrichissement inespéré de l’Algérie, où les milliards de dollars coulaient à flots par la grâce de l’enchérissement de cet or noir tiré des entrailles du désert par les braves travailleurs algériens, ces élites bourgeoises naviguaient dans la mer de l’insouciance à bord de leurs richesses matérielles achetées clés en main à l’étranger, sans se soucier du développement économique du pays, ni de l’investissement industriel. Sans se préoccuper de la dilapidation criminelle des milliards de dollars opérée par le mafieux régime bouteflikien.
Aujourd’hui, au moment où la conjoncture économique algérienne subit les tempêtes de la récession mondiale, aggravée par la gestion calamiteuse de la crise sanitaire, ces élites, affolées par la dégradation de la conjoncture économique, s’emploient à se muer en expertes pour nous livrer leurs recettes en vue de sauver l’Algérie de la banqueroute, de la débâcle, de la déroute. En vrai pour sauver leur système rentier. Car les classes populaires algériennes, depuis l’indépendance, sont confrontées à la banqueroute de leurs conditions sociales, à la débâcle de leur dignité, à la déroute de leur Révolution « novembriste ».
À entendre ces thuriféraires du libéralisme, de simples réformes politiques suffiraient pour enrayer la crise. À les lire, une futile élection législative serait à même d’assainir l’économie algérienne. Un dérisoire changement du personnel politique à la tête de l’État algérien serait à même de freiner l’enlisement économique, la banqueroute financière ; de régénérer une conjoncture économique malmenée par l’effritement des cours du pétrole, unique source de revenus extérieurs de l’Algérie ; de rétablir la confiance entre le « peuple » algérien meurtri par la paupérisation généralisée et la répression politique et « ses » gouvernants bouffis d’aisance financière et boursouflés d’autorités despotiques.
Leur naïveté est criante, leur ignorance navrante, leur duplicité affligeante. En réalité, aucun « nouveau » gouvernement hissé aux commandes de l’État algérien, fût-il constitué d’un personnel politique compétent et démocrate, élu librement au suffrage universel, n’est en mesure de freiner la récession économique, ni juguler la crise de légitimité de la classe dirigeante. Il suffit d’observer la conjoncture économique et institutionnelle catastrophique du Venezuela et de nombreux autres pays, comme la Grèce, l’Argentine, le Liban. Même les principales puissances économiques occidentales (la France, l’Italie, l’Angleterre, les États-Unis) sont aujourd’hui embourbées dans une désastreuse crise économique et instabilité institutionnelle, exacerbée par la gestion calamiteuse de la pandémie du Covid-19 et les tensions commerciales avec la Chine, préludes à une Troisième Guerre mondiale.
En tout état de cause, qu’il s’agisse de l’option industrielle ou de l’option agricole préconisée par ces élites, dans l’affolement et la précipitation, comme panacée pour dynamiser l’économie algérienne, aucune mesure politique ne peut modifier le cours de la crise institutionnelle, infléchir la tendance récessive de l’économie. L’industrialisation ne se décrète pas (on connaît le résultat avec l’ère Boumediene caractérisée par les usines clé en main construites à l’époque stalinienne des « industries industralisantes »). Pareillement pour l’agriculture, elle ne s’implante pas sur le sol algérien par un oukase. Quoi qu’il en soit, la Chine et quelques autres pays émergents, devenus les Ateliers du monde, pourvoient amplement à la consommation effrénée de la planète. Notamment aux besoins de l’Algérie.
En matière de développement économique de l’Algérie, la pierre d’achoppement est paradoxalement économique. Dans une économie capitaliste mondialisée fondée sur le profit, sur la vente des marchandises produites, la saturation des marchés est déjà suffocante de pollution et alarmante de destruction écologique. En effet, la surproduction a atteint des proportions inégalées. De la résulte l’exacerbation de la concurrence entre les pays pour écouler leurs produits toxiques. Dans cette guerre économique internationale impitoyable, seuls les pays hautement développés tirent leur épingle du jeu et raflent l’enjeu. Les nations à économie développée anciennement établie disposent de puissances financières et d’infrastructures technologiques plus performantes pour accaparer les marchés, par la vente de leurs produits compétitifs échangés à des prix défiant toute concurrence. Évinçant ainsi du marché les pays sous-développés, comme l’Algérie. Force est de relever que, dans le cadre de cette économie concurrentielle mondialisée, il revient moins cher à l’Algérie d’acquérir les marchandises à l’étranger que de les fabriquer sur son territoire. C’est l’imparable et implacable loi du développement inégal du capitalisme.
En outre, actuellement, au moment où des milliers d’entreprises à travers le monde ferment pour raison de faillite (mévente) ou de destruction délibérée, programmée par le grand capital à la faveur de la pandémie du Covid-19 instrumentalisée, avec comme corollaire un chômage endémique, la perspective pour l’Algérie, comme le préconisent ces experts illusionnistes, de s’élancer dans l’investissement industriel est illusoire, pour ne pas dire impossible. Il en est de même pour l’investissement agricole. S’il fallait développer ces deux secteurs, il eût fallu l’impulser au lendemain de l’indépendance, à cette période de prospérité économique au niveau international, de croissance soutenue. Aujourd’hui, la récession obère cette perspective de développement, car le déclin du capitalisme est irréversible.
La solution n’est donc pas politique. Encore moins économique dans le cadre du système capitaliste enlisé dans une crise systémique mortelle. En réalité, sans rupture radicale avec le capitalisme aucune solution n’est envisageable. Aussi, le peuple algérien doit-il se défier de toutes ces élites. Faute de quoi, c’est la reconduction de la même politique libérale antisociale, la perpétuation de la même misère pour la population algérienne paupérisée.
Le salut du « peuple » algérien (qu’il faut différencier des élites bourgeoises rentières), ne viendra pas de ces experts autoproclamés ou de ces « nouveaux » politiciens recyclés, propulsés sur le devant de la scène médiatique à la faveur du Hirak. De ces escrocs de la politique, déconnectés des réalités sociales mais, par ailleurs, les yeux toujours rivés vers les cimes du pouvoir.
Une chose est sûre, le prolétariat algérien ne doit pas lutter abstraitement contre le « Système », contre les classes dirigeantes étatiques et politiques, avec des slogans nihilistes. Encore moins contre l’armée populaire susceptible de devenir son allié (une fois expurgée de ses éléments corrompus et antinationaux) au cours de sa révolution. Car c’est la seule institution moderne organisée apte à apporter sa logistique pour édifier une nouvelle société, surtout la seule structure puissante capable d’éviter la dislocation des institutions étatiques aujourd’hui menacées d’éclatement, d’assurer la sécurité du pays assiégé par des puissances ennemies. Somme toute, le prolétariat algérien ne doit pas lutter contre un « Système » abstrait, mais contre le système concret économique dominant, en d’autres termes le mode de production capitaliste.
Le « peuple » algérien, aujourd’hui de nouveau investi dans l’acte II du Hirak, doit prendre concrètement son destin national en main, s’organiser réellement en dehors des instances politiques parasitaires et des récentes entités bourgeoises et populistes hirakiennes, islamistes ou berbéristes, autoproclamées représentantes du peuple algérien. Le « peuple » laborieux algérien, par-delà les dissensions ethnolinguistiques et religieuses savamment orchestrées par certains clans du pouvoir et des officines des puissances étrangères, doit se structurer afin d’autonomiser sa lutte en vue d’édifier son propre pouvoir politique, à l’échelle locale et nationale, dirigé par ses intègres représentants, dans le cadre d’une démocratie directe autogestionnaire, avec l’objectif politique de bâtir une société égalitaire débarrassée du profit, de la marchandise, de l’argent. En un mot : une économie produisant pour la satisfaction des besoins sociaux populaires, non pour le profit élitique.
« Ce n’est pas l’impossible qui désespère le plus, mais le possible non atteint. »
“Lorsqu’on rêve tout seul, ce n’est qu’un rêve. Alors que lorsqu’on rêve à plusieurs, c’est déjà une réalité. L’utopie partagée, c’est le ressort de l’Histoire.”
Khider Mesloub
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec