Des chercheurs ont établi une stratégie contre l’épidémie, fondée sur la science : le zéro covid. Son coût est très faible et elle suppose des changements profonds dans les décisions du gouvernement. Pour le moment, aucun ministre ne les a reçus malgré leurs demandes répétées depuis décembre dernier.
« Il faut freiner le virus », a enfin reconnu Emmanuel Macron au soir du 31 mars, plus d’un an après avoir décidé un premier confinement contre l’épidémie de Covid-19. C’est ce que lui demandent depuis des mois les soignants, les profs et des chercheurs. Cette fois, il annonce la fermeture des établissements scolaires pour quelques semaines, précisant : « Nous avons tout fait pour prendre ces décisions le plus tard possible et au moment où elles devenaient strictement nécessaires. »
Le lendemain, devant l’Assemblée, le Premier ministre Jean Castex s’est lui aussi félicité : « Nous avons rapidement réagi en prenant ces derniers mois et ces dernières semaines plusieurs mesures fortes (…). Ces décisions ne sont jamais faciles ; elles obéissent à plusieurs exigences : (…) agir ni trop tôt ni trop tard, en s’adaptant en temps réel aux évolutions de l’épidémie (…). » C’est grâce à l’équilibre entre ces différents principes « que nous sommes parvenus depuis maintenant quatre mois à maintenir la situation sous contrôle », a-t-il ajouté.
Les réa débordent et la situation serait sous contrôle ?
Le président Macron minimise les effets sanitaires de la pandémie, occultant la hausse de la mortalité de 11 % entre le 1ᵉʳ janvier et le 15 mars dernier, selon la dernière actualisation de l’INSEE. Un chiffre supérieur aux 9 % enregistrés pour l’ensemble de l’année 2020, alors qu’il ne s’agit encore que d’un bilan de début d’épidémie et que 8 à 15 % de la population française ‘‘seulement’’ a été infectée. Prendre préventivement des mesures limitant le nombre de contaminations est crucial car « le taux de létalité avoisine les 1 % », comme le remarque avec justesse, auprès de Golias Hebdo, une biologiste membre du collectif RogueESR.
Sous ce nom, qui signifie ‘‘les révoltés de l’enseignement supérieur et de la recherche’’, se regroupent des chercheurs de premier plan, aussi bien dans les disciplines directement en jeu dans l’épidémie (physicien, virologue, immunologiste, généticien, chimiste, etc.) que des spécialistes des mathématiques, des langues, de la littérature, de l’histoire ou de la sociologie. Ils souhaitent éclairer le débat public par leurs compétences scientifiques et leur pratique de la discussion argumentée.
« Sous contrôle », c’est aussi passer rapidement par pertes et profits « les cas graves, mais non létaux, de la maladie, les mois passés sous assistance respiratoire, les séquelles à long terme chez des sujets dans la force de l’âge et en pleine santé, les ‘‘Covid longs’’ et l’accablement qui les accompagne », remarquent les membres du même collectif. Dès décembre 2020, RogueESR avait demandé au ministère de la Santé, à Matignon et à l’Élysée à être reçu pour présenter un plan de sécurisation des établissements universitaires, à la fois chiffré et fondé sur les données scientifiques les plus solides.
Le 25 janvier, enfin, une réponse leur parvenait de la part du chef de cabinet du Premier ministre : « Jean Castex a bien pris connaissance de votre requête. Cependant, il n’est pas possible au chef du gouvernement d’y répondre favorablement dans l’immédiat. »
Fins de non-recevoir en série de la part des ministères
Puis, fin février, nouvelle demande auprès du président de la République, du Premier ministre et du ministre de la Santé pour leur proposer une série de mesures de sécurisation sanitaire constituant une stratégie globale d’élimination de la circulation du Covid-19, appelée « Zéro Covid ».
Le 25 mars, réponse négative à nouveau transmise par le chef de cabinet de Jean Castex : le Premier ministre ne donne pas « de suite favorable dans l’immédiat », mais ses services précisent : « Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, examine néanmoins la possibilité de vous recevoir. » Au bout de quatre mois, alors que chaque jour compte car la pandémie suit sa trajectoire exponentielle avec le développement des variants, comme prévu par les chercheurs.
Ces derniers s’opposent à la politique actuelle de « vivre avec le virus », qu’ils rebaptisent justement « mourir du Covid, mais à (…) petit feu », et proposent à la place une politique « Zéro Covid », soulignant la nécessité « d’agir très vite ». La ligne suivie par le gouvernement favorise, insiste RogueESR, une circulation élevée du virus, tout en espérant que la vaccination suffira à enrayer cette mécanique mortifère.
L’outil vaccin, écrivent les chercheurs, « a une place importante à jouer dans un dispositif d’élimination », mais « ne peut en constituer l’alpha et l’oméga » en raison « des incertitudes sur l’efficacité de la protection vaccinale contre certains variants » et à cause des retards français dans le processus de vaccination, lié en partie à l’absence de lignes de production sur notre sol.
Plutôt que de tout miser sur les vaccins, les membres du collectif s’inspirent d’exemples étrangers et de l’état actuel de la littérature scientifique pour mettre en avant trois outils destinés à tester, tracer et isoler. Il faut pour cela mettre en place « un réseau dense de centres de tests permettant d’obtenir des résultats rapides » ; déployer des « équipes d’arpentage épidémiologique, composées d’environ cinq personnes et disposant d’une formation médicale de base, avec, pour travail, d’enquêter sur les chaînes de contamination ». Enfin, il faut « procéder à des réquisitions d’hôtels permettant de mettre à l’isolement les malades avérés et les cas contacts suspects ».
Réorientation de la production et de la recherche
S’appuyant sur le modèle de simulation mis à disposition par l’Organisation mondiale de la santé, les chercheurs détaillent les conditions de formation et de déploiement d’équipes de traçage épidémique et d’isolement des malades afin de casser les chaînes de contagions épidémiques. Cela « ne prendrait que trois semaines et les épidémiologistes de terrain les constituant seraient totalement formés après cinq semaines », durant lesquelles les équipes alterneraient formation et travail de terrain, ajoute la biologiste membre du collectif.
La généralisation de tests rapides suppose de mobiliser entre 40 000 et 50 000 enquêteurs de terrain « astreints au secret médical, assurant un suivi humain des malades et des cas contacts et mettant en œuvre leur prise en charge et leur isolement ». L’analyse systématique des eaux usées, quartier par quartier, permettrait de détecter d’éventuels redémarrages épidémiques très rapidement. En cas de réveil de l’épidémie, des « reconfinements brefs et très localisés » seront alors techniquement possibles.
Cette technique du tester / tracer / isoler s’accompagne d’investissements supplémentaires destinés à sécuriser les lieux publics contre la transmission du virus par aérosol, la principale voie de contamination. Il faut pour cela équiper les lieux de restauration collective, en particulier les cantines scolaires, de ventilateurs à filtre HEPA, de purificateurs d’air à flashs UV, de capteurs de CO2 et de particules fines qui permettent de quantifier précisément le risque dans un lieu donné et donc d’adapter la réponse sanitaire aux caractéristiques de l’endroit.
En outre, maîtriser l’épidémie suppose aussi « la généralisation du port du masque FFP2 (…) dans les lieux de réunions clos [afin de] diminu[er] la quantité de particules inhalées par un facteur 50 ». Le coût de l’ensemble de ces mesures est évalué à 3 milliards d’euros par un autre collectifs de chercheurs. Un chiffre à comparer à l’énorme masse de 550 milliards d’euros perdus par le recul du PIB en 2020 et en 2021 parce que le virus continue de circuler.
En complément, les chercheurs précisent que cette stratégie doit être concertée et synchronisée à l’échelle européenne afin d’éviter les réintroductions incessantes du virus par les frontières. L’urgence de la situation ne doit pas occulter que cette « stratégie d’élimination pose de plus la question du pilotage social de l’appareil productif, dans la mesure où, à moyen terme, ces équipements imposeront une production publique continue de masques, de tests, de ventilateurs et de filtres ».
Ceci passe par une réindustrialisation mais aussi l’arrêt de la casse de la recherche publique que le gouvernement a poursuivie, afin de restaurer cet outil de compréhension du monde. Pour le moment, l’exécutif s’en tient à sa stratégie de « vivre avec », appelée aussi « de mitigation » des risques. Une réorientation vers le « zéro Covid » est urgente : le gouvernement doit recevoir ces chercheurs et, soyons fous, s’en inspirer.
Cet article est paru dans
Golias Hebdo n° 667
semaine du 8 au 14 avril 2021
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir