Le 7 mars 2021, Arte a diffusé un numéro de Vox Pop, l’émission présentée par Nora Hamadi, sur le thème de l’intersectionnalité et ses conséquences dans le domaine de la lutte, ou des luttes féministes.
Le constat est simple : depuis que les femmes de couleur sont entrées dans la danse, le féminisme n’est plus une chasse gardée occidentale, ou, pourrait-on dire, blanche. Ainsi, la féministe blanche, sous la pression de la féministe noire, doublement discriminée selon elle, s’est aperçue qu’elle pouvait être une oppresseuse. On aurait dû écrire oppresseur (ou oppressœur ?) mais les féministes en furie nous seraient tombées sur le dos.
- L’activiste (noire) Angela Davis
Cependant, il n’y a pas que l’irruption de la femme de couleur dans le féminisme qui a bouleversé les lignes, il y a aussi l’homme blanc qui s’en prend au patriarcat dans la population immigrée, majoritairement musulmane, et qui prend la défense des femmes racisées qui sont obligées de porter le voile ! La féministe blanche se retrouve donc malgré elle sur la même longueur d’onde que le fasciste blanc qui veut libérer la musulmane prétendument soumise !
Toutes les délimitations classiques tombent, et les féministes se retrouvent avec des problèmes quasi insurmontables. Sur la convergence inattendue des luttes, laissons la parole à Francisca de Haan, professeur (les féministes mettent un e) d’études de genre et d’histoire :
« Entendre des politiciens d’extrême droite prétendre être en faveur des droits des femmes, ça peut paraître contradictoire. Mais il ne faut pas oublier un aspect très important dans l’histoire des mouvements féministes. Jusqu’au XVIIIe siècle, le féminisme était alors utilisé comme un moyen de justifier le colonialisme, nous devions y aller pour libérer les femmes. Et d’ailleurs, ça a été un argument utilisé par les Anglais en Inde, par exemple. Et actuellement, certains politiciens de droite ressortent cette même rhétorique. Ils disent que ce sont les immigrés masculins, souvent musulmans, qui sont un danger [elle mime des guillemets] pour nos femmes, et que nous, Blancs, devons sauver et protéger nos femmes. C’est un raisonnement politique problématique et dangereux, qui a malheureusement beaucoup d’influence. »
Écoutons maintenant Natasha Kelly, sociologue et activiste, qui nous donne sa définition de l’intersectionnalité :
« Kimberlé Crenshaw utilise la métaphore routière. L’un des axes est l’axe du genre et l’autre, l’axe de ce qu’on appelle la race. Et juste à l’intersection, là où les routes se croisent, il y a un accident. Alors que les hommes noirs ne sont touchés que par le racisme, et les femmes blanches uniquement par le sexisme, nous les femmes noires nous sommes touchées par les deux. Et c’est cette rencontre, ce croisement qu’on appelle intersectionnalité, c’est-à-dire une discrimination multiple. »
- Kimberlé Crenshaw
Nous ferons des commentaires plus tard, passons d’abord en revue toutes les féministes du reportage et de l’émission (en Zoom).
Emilia Roig, directrice du centre pour la justice intersectionnelle de Berlin :
« C’est un réflexe très colonial de voir le voile en tant que tel comme un outil du patriarcat parce que ça représente aussi l’islam et les communautés musulmanes comme étant intrinsèquement patriarcales. Il y a du patriarcat dans ces communautés tout comme il y a des patriarcats dans la société allemande. »
Quand Nora Hamadi l’interroge à propos des nouveaux conflits au cœur du féminisme, Emilia Roig répond :
« Y a pas de oppresseur/oppressé, victime/bourreau d’une manière totalement rigide, on voit par exemple les féministes, dites féministes blanches mainstream qui ne sont pas intersectionnelles, vont avoir une vision très manichéenne en disant nous les femmes les opprimées et eux les hommes les oppresseurs, sans voir que elles-mêmes elles ont des actes où elles sont dans le rôle de l’oppresseur. Dans le rôle justement des femmes blanches qui vont, au niveau de l’axe racisme, jouer ce rôle-là. Donc l’intersectionnalité ça met en lumière cette complexité. »
Nora Hamadi soumet la même problématique – « ces féministes dites intersectionnelles sont accusées de diviser le mouvement féministe » – à Martine Storti, ancienne prof de philo et membre du MLF :
« Je trouve que c’est tout à fait essentiel à condition qu’au nom de l’intersectionnalité on n’introduise pas une hiérarchie des luttes… Si on est vraiment intersectionnelle, on ne dit pas que la lutte antiraciste est prioritaire par rapport à la lutte contre le sexisme. Prenons l’exemple du harcèlement de rue, ou de la lutte contre les violences, quand il y a eu la loi en France contre le harcèlement, il y a des collectifs afro-féministes qui ont tout de suite dit, “ça va viser que les hommes racisés [elle mime les guillemets], donc c’est une loi raciste”. Mais, comme si c’était que les hommes racisés qui étaient responsables du harcèlement de rue ? Pas du tout ! MeToo montre justement que les violences, le harcèlement ça dépasse toutes les catégories identitaires. »
On sent qu’il y a de l’eau dans le gaz ou, pour parler moins vulgairement, un conflit entre l’antiracisme et le féminisme à l’ancienne, le nouveau féminisme prenant en compte la discrimination qui serait faite aux femmes noires. Mais ce que le reportage et le débat ne disent pas, c’est que celui qui oppresse, ou oppresserait la femme noire, ou la femme de couleur, c’est généralement l’homme noir, et non pas l’homme blanc.
Car on n’est plus au temps des colonies, même si certains arguent que les immigrés en France, par exemple, sont en situation d’être toujours colonisés. C’est le point de vue de Pascal Blanchard, qui a actuellement l’oreille très électoraliste de Macron. Malheureusement pour les intersectionnels de France, la femme noire en France ne subit pas un racisme vraiment monstrueux. Le cas des États-Unis est différent, avec une société beaucoup plus éclatée communautairement. D’ailleurs l’intersectionnalité vient de là-bas.
- Ceci n’est pas une pub Banania
Quand on écoute Emilia Roig, qui défend becs et ongles l’intersectionnalité, c’en est devenu un job, il y a un hic, pour ne pas dire une impasse. Emilia, mi-blanche mi-noire, ne peut donc être totalement intersectionnelle, à moins qu’il y ait des teneurs en intersectionnalité, par exemple 25 % noire dans son cas, donc souffrant de racisme (potentiel) à 25 %, et 100 % femme, donc très souffrante, mais en même temps bourgeoise – sur l’axe social – donc oppresseuse.
Il faudrait alors trouver, pour donner raison à Emilia Roig, une femme noire victime de racisme, de sexisme, et battue par son mari (blanc) qui la violerait chaque soir, pour que l’intersectionnalité fonctionne parfaitement. Là, on pourrait enfin parler sans risque de se tromper de souffrance due au patriarcat blanc. On comprend aisément que les intersectionnelles visent plus l’homme blanc que l’homme de couleur, racisé ou non chrétien. Elles ne peuvent ou ne veulent pas risquer d’être taxées de racistes…
Bug dans la matrice progressiste
Cette problématique qui se complexifie à mesure qu’on l’analyse empêche toute organisation collective, car Emilia, si elle est un peu noire et très femme, est plutôt bourgeoise, donc on ne saurait la situer précisément entre la victime noire et l’oppresseuse blanche (sinon au milieu), et encore moins si la pauvre Noire est heureuse en ménage avec un mari blanc, tandis que la pauvre Blanche est battue par un mari de couleur !
Nous plaisantons à peine : il y a de la part des deux camps – les féministes blanches et les féministes noires, – une hypocrisie commune sur les hommes qui harcèlent dans la rue, et les hommes violents à domicile, ces deux marqueurs forts du patriarcat des sociétés africaines. Les Blanches ne veulent pas voir – souvenons-nous des « trottoirs trop étroits » de Caroline de Haas – la violence des racisés ou des immigrés, les déracinés de l’Afrique subsaharienne, et les Noires encore moins, qu’on se souvienne de l’étonnante sortie de l’indigéniste Houria Bouteldja sur la violence sexuelle des hommes de couleur qui serait une sorte de droit sur leurs « sœurs » racisées…
Bref, une démonstration par l’absurde que rien ne tient dans la maison dite progressiste.
Les incohérences et les conflits s’accumulent entre les piliers qui constituent l’idéologie mondialiste : le féminisme, l’antiracisme, le sionisme (ou l’antichristianisme), l’immigrationnisme, le mercantilisme (ou l’américanisme), l’homosexualisme et l’antinationalisme.
Le féminisme historique, qu’on peut appeler matriarcat blanc, est déstabilisé par l’arrivée de l’antiracisme à la sauce féministe, qui trouve là une deuxième corde à son arc victimaire, ou plutôt une deuxième flèche. La bourgeoise blanche qui se trouvait oppressée se retrouve oppresseuse, son statut vacille, d’autant que les jeunes Blanches, par antiracisme ou soumission à l’idéologie dominante, ou par compassion avec leurs « sœurs » de couleur, tapent aussi dans le matriarcat blanc. C’est à qui sera la plus solidaire avec la plus discriminée. Et à ce jeu, ce sont des Assa Traoré et des Yseult qui gagnent, si on y rajoute la grossophobie, cerise sur le gâteau multivictimaire.
Avec des Assa et des Yseult, on le sait, le gâteau s’effondre sur lui-même, sous le poids de ses insolubles contradictions. L’une a été embauchée par une association contrôlée par les Rothschild (Macron aussi, en quelque sorte), l’autre est partie s’exiler fiscalement en Belgique après avoir raflé une Victoire de la musique à un jury plutôt blanc et masculin.
L’irritation palpable de la militante du MLF (Mouvement de libération des femmes, le noyau historique de la lutte féministe en France) Martine Storti en fin d’émission montre que la planète féministe est déstabilisée sur son fondement. Et ce n’est pas fini, car dès le départ, la lutte était perdante, ou plutôt déviante. Regardez les féministes espagnoles, qui font la fierté de toutes invitées de Nora Hamadi : ces militantes se revendiquent de la « lutte contre le patriarcat et le capitalisme ». Or, le féminisme est le meilleur allié du capitalisme car ce dernier vise la décomposition des catégories sociales inférieures qui lui sont opposées, des collectifs de lutte unisexes ou asexués, et que le féminisme brise de fait la convergence des luttes entre hommes et femmes, la seule qui vaille. Idem avec la fracture gauche/droite, la meilleure alliée de la dominance ou du grand capital, un grand capital qui existe toujours, sous une autre forme, que les anticommunistes ne se leurrent pas. Finalement, tous les discriminés victimes du capital arrivent, comme la gauche aux élections, en désordre de marche désunis contre le capital, qui se frotte les mains.
Le fractionnement féministe est l’outil pervers du capitalisme, et les femmes dites de gauche ne le comprennent même pas. Pire, elles pensent lutter contre le capitalisme en luttant pour leur libération. Elles se libèrent des hommes, certes, mais pour tomber dans les bras de Satan, celui qui s’attaque à l’Amour.
La couleur sociale
Cette erreur fondamentale, qui consiste à fonder un mouvement de libération sur une soumission invisible mais objective à la dominance, ne peut mener, on le voit, qu’à des échecs tactiques et un désastre stratégique. Tant que les féministes ne prendront pas en compte la catégorie sociale, celle qui unit les hommes et les femmes – car les hommes pauvres sont aussi discriminés que les femmes pauvres ou de couleur –, elles se crêperont le chignon, se diviseront entre catégories non politiques (les sexistes, les féministes, les Blanches, les Noires), et leur combat sera vain.
D’ailleurs, en 50 ans, qu’ont-elles véritablement gagné ? Pas grand-chose, à part le travail à bas salaire (c’est le capital qui vous paye mal, les filles, pas l’homme blanc !) et la solitude, le découplement et l’obligation de consommer pour compenser le manque d’amour. Le capitalisme a fait des féministes un ennemi intérieur, les ennemies des hommes qui ne sont pas leurs ennemis, et qui ont dû regarder leurs sœurs de lutte se faire manipuler par l’ennemi de classe.
Se tromper d’ennemi est la plus grande erreur qu’on puisse commettre dans une vie.
Important : les recommandations d’Annette Davis du collectif afroféministe
(Cliquez sur l’image pour zoomer)
Bourgeoisie et féminisme, par Alain Soral (1998)
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation