En ces temps troubles où le sensationnalisme de bas étage et la recherche du “buzz” sont devenues des normes de la mise en forme de ce qui reste de l’opinion publique, n’importe quel geste anodin est devenu un sujet d’actualité.
Ainsi, la rencontre du 06 avril 2021 entre le président turc, Reçep Tayyip Erdogan et les présidents des institutions de l’Union européenne a donné lieu à une petite polémique autour d’un divan ou d’un canapé, et certains esprits forts sont allés jusqu’à évoquer une question de protocole alors que cette affaire ne dépasse pas un ergotage de bistrot sur la qualité du canapé sur lequel la trés arrogante Ursula von der Leyen a posé son postérieur.
Au-delà de cette polémique qui n’en est pas une, les médias ont manqué un aspect important de la politique turque à l’égard de cette entité supranationale et ultras bureaucratique qu’est l’Union européenne. Contre toute attente, le président turc Erdogan dont les ambitions géostratégiques sont affichées, reconnaît non seulement cette entité mais traite avec elle.
En habile politique, Erdogan sait cultiver son image et voit bien plus loin que les critiques sur les droits de l’homme formulées contre son pays après la décision d’Ankara de se retirer de la Convention d’Istanbul sur la prévention des violences contre les femmes et les enfants, un cheval de Troie de la pensée politiquement correcte visant un tout autre registre selon des éditoriaux turcs. Par dessus tout, Erdogan sait qu’une minorité de turcs caresse encore le rêve d’intégrer cette Union qui fait rêver les pays d’Europe orientale. C’est dans le cadre de sa stratégie de redéploiement de l’influence turque sur l’Europe de l’Est, dont le territoire fut pendant des siècles le champ de manœuvre de l’Empire Ottoman qu’Erdogan ménage une Union européenne qui peut servir l’intérêt de la Turquie dans ce sens.
La porte d’entrée de la Turquie en Europe orientale est l’Ukraine, pays instable et en conflit avec la Russie. Or, l’Union européenne est la manoeuvre en Ukraine en tant que second couteau de Washington dans le cadre de la stratégie d’endiguement et de déstabilisation de la Russie et la Biélorussie.
La posture funambule de la Turquie entre Moscou et Washington est un succès: d’un côté la Turquie acquière des systèmes d’armes russes sophistiquées comme le complexe S-400 et d’un autre côté, elle vend ses drones Bayraktar à l’Ukraine; en un mouvement, la Turquie se rapproche de la Russie tout en demeurant un allié stratégique et indispensable des États-Unis. Pour Erdogan, l’Europe est la portion congrue. Celle qui fait un peu de figuration dans un jeu qui la dépasse. L’UE peut toutefois servir. Erdogan est le gardien des portes. Il peut ouvrir la porte du déluge migratoire sur une Europe forteresse qui s’est verrouillée. Celle-ci préfère payer un service (et beaucoup d’autres car les turcs détiennent des dossiers fort sensibles sur les activités clandestines de certains pays européens) et se prémunir ainsi d’une crise provoquée en premier lieu par la politique erratique d’une Union européenne suivant un agenda qui n’a jamais été le sien.
Le président turc ne fait qu’exploiter des opportunités créées par les contingences et les contradictions des stratégies suivies par l’Empire pour se “faire une place sous le soleil” selon la formule d’un ancien Premier ministre israélien.
Reste la question de l’ego d’une von der Leyen et ses semblables. Question moins que subsidiaire relevant d’un certain passéisme aggravé par le diktat médiatique de la culture Woke inhérente à une période de décadence marquée par l’absurde et l’arrogance. Le monde réel est tout autre.
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