par Nadia Khost.
Mes chers amis,
Nous ne nous sommes pas revus depuis votre lointaine visite en Syrie. Et, aujourd’hui, nous voici dispersés en divers points de la planète, l’entrée dans certains pays arabes étant désormais chose plus facile pour un Américain ou un Israélien que pour un Syrien.
J’ai senti dans votre courrier une certaine tristesse à notre égard. Vous avez raison. La Guerre mondiale qui a suscité l’écriture de tant d’épopées n’a duré que quatre ans, tandis que la guerre contre la Syrie se poursuit depuis dix ans. Une guerre menée avec la participation de grandes puissances ainsi que de petits États et au cours de laquelle les crimes commis ont bénéficié de la couverture de conférences de presse internationales, de réunions de chefs d’États européens, de larmes d’organisations humanitaires et d’un cortège d’intellectuels syriens.
Croyez que je mesure votre tristesse. Dix années de nos vies et de la vie de nos enfants englouties dans une guerre qui a raccourci nos routes et nous a privés de nos forêts comme de nos montagnes, tandis que le sable de nos plages a oublié les traces de nos pas. Dix longues années au bout desquelles même la joie normalement inspirée par la floraison de nos bigaradiers et de nos cédratiers ne peut plus dissiper notre amertume, puisque les ailes du bonheur ne se posent qu’en pays sûrs.
Néanmoins, même les enfants ont résisté en chantant. Certains ont continué à défiler sous les obus des groupes armés et nous avons marché à leurs côtés. Un obus est tombé à un pas de nous et lorsque nous sommes rentrés sains et saufs chez nous, nous avons célébré notre victoire sur la mort dans le pays du premier alphabet.
J’espère que des experts sincères écriront la vérité sur cette guerre menée contre nous, vu que généralement les Syriens accomplissent des exploits et passent outre sans les fixer pour l’Histoire. J’espère qu’ils se souviendront de ces jours difficiles, notamment du jour où le président français Hollande a déclaré à Poutine que la carte de la Syrie était désormais tel le damier du jeu d’échecs, signifiant la partition de fait du territoire de l’État syrien. Et ce, au moment même où les terroristes tentaient d’envahir le quartier d’Al-Qassa’ depuis la Place des Abbassides et d’entrer dans Damas depuis Daraya.
Daraya, cette banlieue de l’ouest de Damas transformée en caserne de terroristes hébergeant des Américains, dont un agent de la CIA suscitant l’envoi de toutes sortes de messagers à sa recherche ; alors que les obus de mortiers pleuvaient sur les rues de Damas et interrompaient le silence de ses nuits, que « les bannières noires » flottaient sur les banlieues voisines de Jobar et de Zabadani, et alors que nous disions adieu à nos enfants et à nos époux partis étudier ou travailler sans aucune certitude de les retrouver sains et saufs à leur retour.
Les terroristes ont même bombardé la Faculté d’architecture en plein centre de la capitale ainsi que l’Opéra de Damas. Cependant, les vendeurs de légumes sont restés disponibles, les magasins et les pharmacies ont gardé leurs portes ouvertes, les cliniques ont continué à recevoir les patients, les fonctionnaires ont tenu leurs postes dans les différentes institutions, les musiciens n’ont pas interrompu leurs répétitions, les concerts se sont poursuivis et les invités aux soirées culturelles ont répondu par leur présence.
Jouions-nous avec la vie et la mort ? Probablement. Mais posons plutôt la question de savoir pourquoi un tel destin monstrueux a soumis le pays de tant de civilisations à autant de démantèlement et de destruction. Cela ne peut s’expliquer que par le fait que la Syrie, l’Irak et le Liban ont combattu Israël et qu’ensemble nous représentons le front oriental de ce combat. Explication à laquelle il faut ajouter la haine du faux contre l’authentique tout autant que la haine de l’inculte contre les héritiers de la civilisation. Bush n’a-t-il pas déclaré qu’il ramènerait l’Irak à l’âge de pierre ?
Malgré nos propres souffrances, nous ressentons douloureusement ce qui est arrivé à l’Irak et nous craignons ce qui risque de lui arriver encore avec la présence des Étatsuniens sur son sol, car nous ne sommes pas habitués à penser uniquement à la Syrie, notre cœur étant toujours tourné vers ces pays frères avec la certitude que, de Bagdad à Beyrouth, le même sort nous est réservé sur la carte des partitions israélo-américaine.
Une certitude fondée sur le complot ourdi contre la Syrie par les États-Unis à cause de son importance géopolitique ? Certainement pas ! Cela, nous le savions bien avant eux avec, cependant, une vision différente de la leur. Une vision qui nous invite à défendre ensemble la dignité de l’arabité et de la personne humaine contre la barbarie occidentale que nous devons vaincre et évincer de notre Histoire.
Nous comprenons donc pourquoi une nouvelle guerre a démarré contre nous : une guerre dirigée contre notre Livre syrienne et notre pain parfumé.
Nous comprenons pourquoi l’occupant étasunien et ses agents kurdes volent notre blé ainsi que notre pétrole et, comme leurs ancêtres pilleurs, coupent les routes qui mènent à nous dans l’espoir de dessiner une nouvelle réalité sociale au sommet de laquelle trôneraient les courtiers de guerre et dans le gouffre de laquelle tomberait le peuple appauvri.
Nous comprenons pourquoi nous faisons la queue devant les stations-service et les fours à pain, alors que si vous demandiez à l’un de ceux qui patientent dans les files d’attente s’il accepterait un accord favorable aux États-Unis et à Israël pour en finir avec la crise, il sursauterait de colère et vous répondrait : « Dans ce cas, comment nos anciens pourraient-ils nous pardonner ? Les « Martyrs de Mai » n’ont-ils pas été les premiers à nous éclairer sur le sionisme ? ».
Avant la guerre, je n’avais pas imaginé que nous étions capables d’autant de patience et de courage. Est-ce le cas parce que nous sommes convaincus que notre défaite plongerait la région dans les ténèbres et la barbarie ? Est-ce parce que nous pensons devoir payer le prix du changement des relations internationales ? En effet, nous aurons contribué pour une large part à l’avènement d’une nouvelle réalité : celle d’un monde désormais multipolaire.
Mes amis, ne vous inquiétez pas pour moi. Certes, durant cette guerre, j’ai souvent pleuré de tristesse devant les souffrances du peuple et du pays. Une tristesse qui n’a cependant rien à voir avec la résignation ou la faiblesse. D’ailleurs, les Syriens n’ont jamais courbé la tête, sauf lorsqu’ils ont été décapités par les terroristes wahhabites.
En revanche, nous avons perdu nos belles illusions quant à l’idée que tout Arabe est plus proche de nous que le Russe, l’Iranien et le Vénézuélien. Nous avons découvert que ce qui unit ou divise les gens tient de la vision, du comportement et de la conscience.
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Dr Nadia Khost, écrivaine syrienne, auteur de nombreux ouvrages, d’essais, et de nouvelles portant sur l’histoire, l’architecture, la conservation et la protection du patrimoine de la Civilisation Arabe. Elle vit à Damas
source : https://www.facebook.com/nadia.khost
traduit par Mouna Alno-Nakhal
Source: Lire l'article complet de Réseau International