Les facettes sociologiques et politiques du terrorisme 2/2

Les facettes sociologiques et politiques du terrorisme 2/2

Par Vladislav B. SOTIROVIC − Le 5 mars 2021 − Source Oriental Review

Des membres de l’IRA lors d’une cérémonie de commémoration du soulèvement de Pâques, à Londonderry, en Irlande du Nord, 2010

Les Politologues et le terrorisme « à l’ancienne » ou « renouvelé »

Pour les politologues, il existe une différence historique entre le terrorisme « à l’ancienne » et sa version « renouvelée ». Le terrorisme contemporain se démarque historiquement des actes de violence visant à terroriser les gens lors de plus anciens épisodes historiques, comme la pratique de raser les villes jusqu’à ce qu’il n’en reste pas pierre sur pierre, dans l’Antiquité. Il faut bien comprendre et reconnaître que le phénomène du terrorisme est lié à des modifications des technologies de communication. Pour terroriser la population sur un large spectre, il faut que l’information au sujet des violences commises parvienne aux populations en temps réduit.

Cet article est la seconde partie d’une suite de deux. Le premier article est ici.

Cependant, dans les faits, ce ne fut que lors de la montée des communications modernes, à la fin du XIXème siècle, que cela devint techniquement possible. Mais avec l’invention du télégraphe électronique, les communications rapides devinrent possibles, transcendant à la fois le temps et l’espace. Mais avant cela, l’information pouvait mettre des jours ou des mois pour se propager. Par exemple, comme déjà mentionné, la nouvelle du décès d’Abraham Lincoln mit 12 jours à parvenir à Londres. Néanmoins, une fois qu’une communication rapide fut rendue possible, il devint possible qu’un acte de violence symbolique soit projeté à distance — la connaissance de son occurrence ne se trouvait plus réduite aux personnes vivant à proximité.

L’intérêt public quant au phénomène du terrorisme, en particulier en Occident, s’est mis à croître très fortement par suite des actes terroristes du 11 septembre. Il est désormais largement reconnu que le monde est confronté à ce que l’on peut appeler « terrorisme renouvelé », dont les premières manifestations claires remontent au début des années 1990, au moment de la fin de la première guerre froide. Le « terrorisme à l’ancienne », différent de sa version « renouvelée », connut son apogée dans les années 1960 et 1970.

« Le terrorisme à l’ancienne »

Il est clair qu’une distinction existe entre les anciennes et nouvelles formes de terrorisme. Le « terrorisme à l’ancienne » fut le mode dominant historiquement durant la plus grande partie du XXème siècle et reste de nos jours en opération. Ce style « classique » de terrorisme est habituellement associé à la montée du nationalisme, à la décolonisation, et à la création d’États-nations comme entités indépendantes et occupant chacune un territoire précis. Ce processus se déroula principalement durant la seconde moitié du XXème siècle, et n’est pas encore terminé.

Le stress du « terrorisme à l’ancienne » fut le plus souvent appliqué à des problèmes territoriaux, impliquant des velléités d’indépendance vis-à-vis d’États impériaux, ou pour que soient corrigées des frontières injustes (un phénomène d’irrédentisme). Dans de nombreuses occurrences, l’ancien type de terrorisme réussissait directement, par exemple, lorsqu’Israël proclama son indépendance en 1948, sur la base d’actes terroristes commis contre les Britanniques, lorsque les autorités françaises furent contraintes de partir d’Algérie, ou les Britanniques de Chypre. Cependant, à d’autres occasions, les terroristes obtinrent des concessions de compromis qui, bien souvent, ne résolurent pas le problème soulevé, mais suffirent à contenir le niveau de violence. Par exemple, l’armée républicaine irlandaise provisoire (IRA) et l’Euzkadi ta Askatasuma basque (l’ETA) entrent dans cette catégorie. Néanmoins, d’autres groupes terroristes échouèrent et se dissipèrent, comme les Brigades rouges italiennes. En général, ceux qui sont motivés par l’idéologie et non par l’identité ethnique, religieuse ou culturelle ont tendance à mal interpréter le niveau de soutien populaire qui leur est acquis.

Il faut conserver à l’esprit que dans presque toutes les nations du monde (les États), les frontières ont été arrangées de manière arbitraire en principe, soit en traçant des lignes sur une carte, comme le firent les impérialistes en Afrique et en Asie, ou bien en résultat de guerres et de conquêtes comme en Europe (par exemple, les fluctuations historiques de frontières de la Pologne, ou la frontière franco-allemande en Alsace-Lorraine). Nous avons ici également un bon exemple avec l’Irlande, qui fut rattachée au Royaume-Uni en 1800, ce qui conduisit à des luttes pour l’indépendance, et finit par déboucher sur la partition de l’île en Irlande du Nord (Ulster) et en République d’Irlande, à l’issue de la première guerre mondiale. Cependant, les nationalistes irlandais continuèrent de se battre pour l’unification nationale, en usant à de multiples occasions des méthodes de « terrorisme à l’ancienne ». En outre, une carte de nations fut établie par les puissances coloniales occidentales, ou simplement fondées par la force, ce qui amena en de nombreuses occurrences à des nations sans État. Ces nations (comme les Kurdes) ont une identité ethnique et culturelle commune, mais restent cependant dénuées de l’appareil d’État et du territoire qui, par définition, appartient à une nation. Par conséquent, la plupart des formes de « terrorisme à l’ancienne » relèvent principalement de nations sans État.

La tâche fondamentale du « terrorisme à l’ancienne » était politique — établir des États-nations dans des régions où les groupes ethno-culturels n’avaient pas le contrôle des institutions de l’État du territoire. C’est tout à fait le cas, par exemple, pour les nationalistes irlandais comme l’IRA, ou des nationalistes basques, comme l’ETA en Espagne. Les problèmes centraux étaient l’intégrité territoriale d’un espace ethnographique et l’identité nationale au sein du processus de création d’un État-nation. En pratique, « le terrorisme à l’ancienne » existait lorsqu’existaient des nations sans État et là où des terroristes-nationalistes étaient prêts à faire usage de violence pour parvenir à leurs desseins politiques. Un autre trait de « terrorisme à l’ancienne » est qu’il relève fondamentalement d’un caractère local, pour la raison même que ses ambitions ont été ou sont locales, car il aspire surtout à établir un État au sein d’une région nationale spécifique.

Néanmoins, au cours des trois dernières décennies, le « terrorisme à l’ancienne » a également reçu un caractère international, car il puise son soutien depuis des facteurs externes, comme l’IRA et l’ETA qui étaient soutenues selon des modalités diverses par certains États d’Europe de l’Est, la Libye, la Syrie, ou certains groupes étasuniens. Néanmoins, bien que le « terrorisme à l’ancienne » impliquât un plus vaste réseau de soutiens pour son financement ou pour gérer des trafics d’arme et de drogues pour acheter des armes, ses ambitions politiques restent d’un caractère local/régional. Un autre trait significatif du « terrorisme à l’ancienne » est qu’outre ses limites d’ambition du point de vue géographique, il est également limité dans son usage de la violence. Avec toute forme de terrorisme, indépendamment du fait que le nombre de personnes blessées et tuées était significatif, l’utilisation de la violence est limitée, du fait que les objectifs poursuivis par ce type de terrorisme sont également relativement limités.

Il faut noter que la forte contrainte morale qui est générée par l’identité nationale généralement acceptée (la « communauté imaginée ») rend difficile la lutte contre le « terrorisme à l’ancienne ». Sans doute la meilleure preuve de ce fait réside-t-elle dans toutes les difficultés que rencontra le gouvernement du Royaume-Uni en Irlande du Nord, le nationalisme ayant une puissance énergisante importante. En outre, le mythe de l’identité nationale continue d’apporter des membres et du soutien à un mouvement national qui lutte pour l’établissement d’un État-nation dans des instances où une nation existe sans État, ou pour un État-nation uni dans des cas d’irrédentisme politique. Historiquement, dans les cas de revendications contestées pour la même zone (province, région), un règlement pacifique du problème est souvent difficile à établir comme, par exemple, en Irlande du Nord, où persiste le conflit entre unionistes qui aimeraient rester avec le Royaume-Uni et nationalistes qui luttent pour l’unification avec l’Irlande.

« Le terrorisme nouvelle formule »

On peut établir une différence fondamentale entre le « terrorisme à l’ancienne » et le « terrorisme renouvelé », ce dernier ayant été rendu possible par les évolutions des technologies de communication qui poussent la globalisation depuis la fin de la première guerre froide, et présentant un caractère global (par exemple, internet). En principe, cette forme de terrorisme est le plus souvent associée au fondamentalisme islamique d’al-Qaeda. Mais elle n’est pas du tout limitée à ce seul groupe. Néanmoins, la chose que tous les « terroristes à l’ancienne » avaient en commun était que leurs opérations étaient centrées sur un espace géographique limité, et que leurs méthodes ne visaient pas à répandre le maximum de sang. En d’autres termes, les terroristes à l’ancienne voulaient qu’autant de gens assistent à leurs actions terroristes que le nombre de gens qui s’y faisaient tuer. En principe, dans la majorité des cas, ils entretenaient des objectifs politiques que l’on pouvait rationnellement (moralement, historiquement, légalement) défendre.

Les « terroristes nouvelle formule » sont en revanche dans la plupart des cas des nihilistes, inspirés par des croyances religieuses fanatiques, et aspirent au martyre en commettant leurs actions terroristes. Leurs principaux traits sont :

  • Ils n’énoncent que rarement des objectifs publics pour leur lutte qui apparaît en réalité que difficilement réalisable.
  • Ils ne préviennent pas de leurs actions.
  • Ils ne s’engagent dans aucun processus de négociation.
  • Ils ne s’intéressent guère aux solutions de compromis à leurs problèmes.
  • Ils sont prêts et même désireux de tuer des civils en grands nombres.
  • Il est fréquent qu’ils ne prennent même pas la peine de revendiquer leurs actions terroristes. On peut penser que tel est le cas parce qu’ils n’estiment avoir de comptes à rendre qu’à une divinité.

C’est un grand débat d’établir quand la première action de « terrorisme nouvelle formule » fut commise, mais peut-être qu’elle remonte à 1993, et à la tentative de faire s’effondrer le World Trade Center à New York. Le désir d’assassiner des milliers de travailleurs innocents était clair, en dépit du fait que l’incident ne fit en fin de compte qu’un nombre assez limité de victimes, les explosifs n’ayant pas eu la puissance suffisante à détruire l’édifice. À l’époque, l’administration étasunienne de Bill Clinton avait accusé l’extrémisme islamique et par conséquent, plusieurs Musulmans avaient été jugés pour ce crime, mais dans le même temps, la même administration Clinton collaborait avec le gouvernement islamique fondamentaliste de Bosnie-Herzégovine dans ses actions de terrorisme d’État contre les Serbes locaux. La manifestation suivante du « terrorisme nouvelle formule » aux États-Unis peut être imputée au fondamentalisme chrétien, lorsqu’en 1995, 168 civils furent tués dans l’explosion d’un bâtiment du gouvernement à Oklahoma City. En comparaison à ces deux incidents, l’utilisation d’armes de destruction massive (chimiques et biologiques), dans les années 1990, à Tokyo, fut plus grave. Le nombre de morts ne s’éleva qu’à 12 par suite de plusieurs tentatives de répandre ces armes dans le métro. La tâche finale assignée à cette action terroriste était d’assassiner autant de gens que possible, mais heureusement, l’incompétence technique de ses propagateurs empêcha l’occurrence d’une vraie catastrophe. Comme dans les cas sus-mentionnés, les personnes qui se rendirent responsables de ces actions étaient motivées par la religion — à Tokyo il s’agissait de la secte Aum Shinrikyo.

Le « terrorisme renouvelé » présente plusieurs différences centrales par rapport au « terrorisme à l’ancienne ». La première d’entre elles porte sur la portée de ses revendications. On peut comprendre, par exemple, en partant de la vision du monde d’al-Qaeda, que cette organisation nourrit des objectifs géopolitiques globaux — restructurer globalement la société mondiale. Plusieurs de ses dirigeants eurent pour tâche de reconstruire la société islamique du sous-continent indien à l’Europe occidentale, ce qui passe par l’établissement d’États et de gouvernements islamiques dans les Balkans (Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Albanie), au Moyen-Orient, et en Afrique du Nord. Tous les fondamentalistes islamiques affirment qu’au cours des mille dernières années, les Chrétiens européens ont expulsé les Musulmans de ces terres, sur lesquelles ils prétendent nourrir des revendications légitimes. Ces territoires « anciennement musulmans » comprennent les Balkans et quelques zones en Espagne, administrées jusqu’en 1492 par les Maures (les Musulmans originellement en provenance d’Afrique du Nord, et qui contrôlèrent une grande partie de l’Espagne du VIIIème au XVème siècle, époque où démarra l’étape finale de la Reconquista catholique romaine espagnole). De grandes parties d’Europe du Sud et du Sud-Est ont été islamiques par le passé, dirigées soit par l’Empire ottoman, soit par les Arabes en provenance d’Afrique du Nord. Le fait est qu’al-Qaeda et d’autres groupes islamiques veulent rétablir le rôle global de l’Islam dans ces régions. Par conséquent, le « terrorisme nouvelle formule » est global de par ses ambitions, et veut renverser la marée du pouvoir mondial.

Deuxièmement, il existe de fortes tensions entre le modernisme et l’anti-modernisme dans la vision globale des organisations terroristes d’orientation fondamentaliste islamique (état islamique, al-Qaeda). Dans leur tentative de ré-établir la dominance islamique et des autorités gouvernementales fondées sur le Coran sur de grandes parties de l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie et l’Afrique du Nord, comme cela exista historiquement, ils usent fortement de moyens de communication moderne pour critiquer la modernité (occidentale) et essayer de renverser ce qu’ils considèrent comme la dégénérescence morale (occidentale).

Des combattants de l’état islamique arborant des armes étasuniennes.

Troisièmement, le « terrorisme nouvelle génération » s’écarte de son ancêtre quant à sa structure organisationnelle. Dans cette structure, par exemple, al Qaeda déploie la même forme d’organisation que la majorité des ONG. Pour clarifier ce point, les organisations terroristes comme les ONG sont menées par un sens de la mission, et un engagement qui permet à une organisation globale assez floue de fonctionner. Chacune de ces typologies d’organisations sont basées sur des réseaux qui sont des structures fortement décentralisées. On trouve un fort degré d’autonomie dans les unités locales, et celles-ci peuvent se reproduire sans recevoir d’impulsion forte depuis le centre. Une nouvelle forme d’organisation terroriste et d’ONG dispose également d’une vaste étendue de soutiens sur le globe, et chacune de ces deux typologies travaille également avec les États. C’est un fait établi qu’aucune ONG ne peut exister et surtout s’épanouir complètement en tant qu’organisation non-étatique. Toutes les ONG entretiennent d’une manière ou d’une autre des contacts avec les États, au même titre que les organisations « terroristes de nouvelle génération ». Mais l’analogie entre ONG et terroristes nouvelle formule ne peut pas être portée trop loin. Cependant, dans leurs structures organisationnelles et par un sens partagé de missions qui sont certes très différentes, al-Qaeda ou état islamique peuvent être perçues comme une forme maligne d’ONG.

La dernière différence entre terrorisme « à l’ancienne » et « renouvelé » réside dans les moyens mis en œuvre. Les terroristes à l’ancienne avaient des objectifs limités et par conséquent, la violence dont ils faisaient usage se limitait à des régions locales ou régionales. Le terrorisme de nouvelle formule est plus global et brutal quant aux méthodes qu’il est prêt à adopter. Son vocabulaire de propagande est plus large du point de vue territorial, car l’ennemi est l’Occident et sa civilisation, par exemple. Les actions terroristes visent à tuer autant de gens que possible, par exemple, tous les Étasuniens et leurs alliés, comme l’affirme clairement la charte fondatrice d’al-Qaeda en 1998. C’est très différent de l’usage plus limité et modéré de la violence caractérisant le « terrorisme à l’ancienne ».

Le « terrorisme nouvelle formule » n’a pas été éradiqué avec l’assassinat supposé d’Oussama Ben Laden, ancien dirigeant d’al-Qaeda, il y a 10 ans, le 2 mai 2011, au Pakistan (il était né en 1957 en Arabie Saoudite). De nouvelles formes d’extrémisme radical islamique ont émergé, comme état islamique et ses tentatives militaires de création d’un califat islamique universel sur ses fondations historiques allant de l’Espagne à l’Inde. Bien qu’état islamique soutienne le terrorisme au niveau global, avec des disciples « engagés » menant des attaques suicides en Floride, à Paris, et en Allemagne, le label de terrorisme état islamique a également dépassé les tactiques traditionnelles pour user du viol et du mariage force comme méthode de terreur, ainsi que la capacité à mener des meurtres de masse au sein de zones occupées au Moyen-Orient.

L’état islamique en Irak et en Syrie est une organisation terroriste transnationale d’un nouveau style, basée en Irak et en Syrie. Elle est bien connue sous le nom d’état islamique en Irak et au Levant, et de DAESH — son acronyme en langue arabe. Elle a pris le nom d’état islamique après son occupation de la ville de Mosoul en Irak, et proclamé un califat islamique au mois de juin 2014. Les origines de cette organisation résident dans une organisation de groupe militant du monothéisme et du Jihad, qui fut établie par le djihadiste jordanien Abu Musab Al Zarqawi en Jordanie en 1999. Al Zarqawi a fait fonctionner des camps d’entraînement militants en Afghanistan, et établi des liens avec al-Qaeda et son dirigeant Oussama Ben Laden, mais a fui le pays après la chute du régime des Talibans en novembre 2001, et a entrepris de nouvelles activités en Irak en 2002. De nos jours, al-Qaeda et l’état islamique sont des exemples globaux du « terrorisme nouvelle formule ».

Vladislav B. SOTIROVIC

Traduit par José Martí pour le Saker Francophone

Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone

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