Paroles de Louise

Paroles de Louise

Paroles de Louise

7 avril 2021 – Je ne suis pas vraiment un partisan de Napoléon 1, dont on commémore le décès dans un mois moins deux jours. Je lui préfère Talleyrand, même si la comparaison peut paraître oiseuse et vaseuse, – mais c’est dit. Ce sera tout pour l’introduction.

Alors, les hordes wokeniennes, regroupées en ordre équitable selon la Racial Equity Theory, décidèrent qu’il lui ferait sa fête, et commencèrent les grandes manœuvres d’encerclement. Deux universitaires jugent qu’il faut retirer ses restesdes Invalides et les rendre à sa famille sans doute éplorée. C’est dans Le Monde. Les lendemains chantent : ô, combien votre bonheur du lendemain est plein d’une lasse tristesse. J’éprouve moi-même une grande bassitude à tenter d’exercer mon esprit de moquerie polémiste, contre ce frontal entêtement de la triomphante bêtise. Même leur triomphe est un peu blette, comme dirait une pomme du même nom.

Aussi ai-je pensé qu’il serait bienvenu, après tout, de publier ce texte du 30 mars 2021de monsieur Philippe Mesnard, rédacteur-en-chef de Politique Magazineet déjà invité dans cette rubrique il y a peu, qui exerce sa verve avec bien plus d’entrain que moi. J’ai trouvé à ce texte une certaine vigueur roborative, avec la dérision qu’il faut, l’humour à peine dédaigneux que méritent bien ces gentils-furieux wokenistes, comme pour les encourager dans leur marathon poussiéreux et hurlant, et moi leur criant le titre de Montherlant : « Va jouer avec cette poussière ». C’est ainsi, en plein dans le cœur du XXIe (21ème) siècle, que s’exprime l’espoir du monde. Il paraît que, bientôt, on choisira la priorité des malades selon la couleur de la peau, tout noir devant avec brun-clair type-Latino juste derrière, au Brigham and Women’s Hospital de Boston, cela pour réparation des préjudices de plusieurs siècles.

Courage camarades dirais-je à mes marathoniens-wokenistes, le Vieux-Monde est devant toi, première porte à gauche, tirer le chasse en entrant et les pieds devant en sortant.

Mais le texte de monsieur Mesnard, lui, est bien plus entraînant. Je l’ai lu pour la première fois comme un remontant, à une heure de fatigue d’un moment d’une rude journée de plus à poursuivre la chronique de toutes les bêtises du monde, – la bêtise, qui roule, qui roule, « like a rolling stone ».

Mais je vais cafeter un peu, je ne peux pas me retenir. Monsieur Mesnard termine son texte par une magnifique citation. Il manie un peu le suspens, en nous dévoilant le nom de l’auteur.e qu’à la toute avant-dernière ligne (selon l’empattement de ma saisie de texte). Je respecte cet art du suspens et me contenterai de citer-la-citation, qui est d’une autre commémoration (150e, première !) dont je m’étonne tout de même qu’on n’y ait pas trouvé quelque chose à redresser de façon significative et révolutionnaire ; commémoration qui est celle de la Commune, peut-être en ferait-on bien le premier acte wokeniste à célébrer en faisant du Louvre, que les Communards faillirent brûler, le premier musée mondial de l’Art Contemporain ? Cela ne vaudrait-il pas une tribune dans L’im-Monde, comme dit l’autre ?

J’arrête ici, avant la citation promise, ce texte de présentation sans queue ni tête, qui n’a comme ambition, outre sa mission d’introduire un texte d’une belle ironie, que de vous montrer combien parfois la lassitude envahit l’esprit. (Et d’ailleurs, je m’interroge : comment font-ils, les deux universitaires signalés plus haut, pour rester sérieux tout dressé en smoking d’une belle soierie de bêtise, en lisant leur tribune dans un tel journal de référence ? Ils s’interrogent, eux : est-ce qu’on se moque du Monde ?)

Voici la citation avant de passer à l’original, cela se passe alors qu’on fusille devant l’Hôtel de Ville :

« Je ne pouvais détacher mes yeux de ces pâles faces de sauvages, qui […]tiraient sur nous comme ils eussent fait sur des bandes de loups et je songeais : Nous vous aurons un jour, brigands, car vous tuez, mais vous croyez ; on vous trompe, on ne vous achète pas, il nous faut ceux qui ne se vendent jamais ; et les récits du vieux grand-père passèrent devant mes yeux, de ce temps où héros contre héros, implacablement combattaient les paysans de Charette, de Cathelineau, de La Rochejacquelein, contre l’armée de la République. »

PhG : Semper Phi

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Le sens de l’Histoire

Napoléon n’a pas la cote. On lui reproche, à juste titre, d’avoir rétabli l’esclavage. Les gens de bon sens avaient l’habitude de lui reprocher mille autres choses, comme son goût de l’invasion, sa folie impérialiste, sa prétention de réformateur des mœurs et sa mise au pas des Français, enrégimentés quand bien même ils n’étaient pas soldats ; bref, son progressisme autoritaire (en est-il une autre sorte ?). Notre époque le traite aujourd’hui de suprémaciste blanc, lui qui ne fit quasiment la guerre qu’aux nations européennes, et de misogyne. C’est dommage, nous avons rêvé deux siècles durant que l’usurpateur soit jugé avec justesse, c’est-à-dire assimilé à un méchant dictateur, et voilà que la gauche indigéniste nous frustre d’un légitime examen des années napoléoniennes. Tout juste si les nostalgiques d’une France forte ne se prennent pas à rêver d’un bonapartisme un peu brutal qui remettrait d’aplomb la nation. Mais Napoléon est en passe d’être déboulonné, lui aussi, et l’on passera par pertes et profits le bon (il y en eut) comme le mauvais (il en demeure beaucoup). La Société Française des Monnaies nous console un peu : sous prétexte d’hommage du bicentenaire de la mort du tyran, elle offre à la souscription « un sublime billet de 0 €, homologué par la Banque Centrale Européenne. » C’est en effet dire assez la valeur du personnage.

Pendant qu’on célèbre avec embarras Napoléon 1, certains musées ont décidé d’écrire Henri 4, Louis 14 et 20e siècle. Il paraît que ceux qui ne déchiffraient pas les chiffres romains en concevaient un vif dépit. Chaque mention d’un siècle et chaque rang d’un roi étaient une micro-agression que d’immenses foules supportaient en silence, leur plaisir définitivement gâché. On n’explique pas autrement la désaffection des musées. Les gardiens de musée se racontent en frémissant d’horribles histoires de marmots tétanisés devant l’affreux spectacle de parents brisés, écroulés au sol, atrocement convulsés pour n’avoir pas su répondre « quatorze » à la question fatidique. Il se murmure qu’un Haut Conseil au Déchiffrage des Cartels, composé de soixante-dix-huit citoyens, tirés au hasard parmi les minorités officielles et encadrés par des inspecteurs d’académie de stricte obédience pédagogiste, va désormais mener ce combat (le mot n’est pas trop fort), pour faire aboutir la révolution de la simplification. On estime qu’à terme on pourra remplacer quelques millions de notices inutilement complexes par deux cartels normalisés sans ambiguïté : « Chose d’avant maintenant », pour les œuvres précédant le XXIe siècle, et « Chose qui est bien », pour les œuvres contemporaines validées par le Comité Consultatif Pour un Art Responsable et Inclusif. Il faut juste régler le délicat problème de l’usage de l’écriture inclusive, difficile à concilier avec les principes de la littéracité, qui défend une écriture facile à lire et à comprendre, surtout pour les textes publics et administratifs. Un Haut Conseil de Régulation Consensuelle des Tendances Langagières va donc sans doute voir le jour.

Pour se consoler de Napoléon, la nation entière célèbre la Commune. Martyrs, réformateurs, utopistes, héros, victimes, on ne compte plus leurs mérites, si bien qu’il paraît inutile de compter leurs crimes. Là aussi, cette célébration progressiste a ce caractère monolithique exaspérant qui consiste à occulter et même nier des pans entiers d’une histoire complexe (on dit peu qu’ils furent patriotes, que Thiers était un républicain de gauche) pour n’en retenir que ce qui sert, hic et nunc, à l’agenda politique du moment, les uns puisant dans cet exemple la force de contester Macron, les Marcheurs y voyant la préfiguration de leur propre volonté réformatrice. On se contentera de rappeler ces propos, qu’un communard nous a livrés, pensées qu’il formait en regardant les jeunes conscrits fusiller les insurgés devant l’Hôtel de ville de Paris : « je ne pouvais détacher mes yeux de ces pâles faces de sauvages, qui […] tiraient sur nous comme ils eussent fait sur des bandes de loups et je songeais : Nous vous aurons un jour, brigands, car vous tuez, mais vous croyez ; on vous trompe, on ne vous achète pas, il nous faut ceux qui ne se vendent jamais ; et les récits du vieux grand-père passèrent devant mes yeux, de ce temps où héros contre héros, implacablement combattaient les paysans de Charette, de Cathelineau, de La Rochejacquelein, contre l’armée de la République. » C’est de Louise Michel. Voilà une leçon inattendue de la Commune, et que nous pouvons méditer.

Philippe Mesnard

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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