par Igor Delanoë.
Une vidéo diffusée par le Ministère russe de la Défense le 26 mars dernier montre trois sous-marins faire surface sur la banquise arctique dans le cadre de l’exercice militaire « Oumka-2021 » débuté le 20 mars au large de l’archipel François-Joseph et qui s’est déroulé sur plusieurs jours. Cette manœuvre a été présentée comme une première par le commandant en chef des forces navales russes l’amiral Evmenov lors de son rapport au président Poutine effectué le 26 mars, et un tour de force compte-tenu de la proximité des 3 submersibles (300 m l’un de l’autre) lors de la phase d’émersion.
Quel est le signal envoyé par cette manœuvre et que retenir de « Oumka-2021 » ?
Contexte
Oumka-2021 a mobilisé 600 personnels et 200 véhicules et plateformes militaires, dont (au moins) 3 sous-marins nucléaires et des intercepteurs MiG-31. Cet exercice se déroule alors que la marine américaine a présenté son plan d’action pour l’Arctique début janvier. Début février, les États-Unis déployaient une escadrille de bombardiers stratégiques B-1B Lancer et 200 personnels pour les servir sur la base norvégienne d’Orland. La première patrouille de ces appareils intervenait dès le 26 février en direction de la mer de Norvège, à proximité immédiate de la péninsule de Kola. L’objectif d’Oumka-2021 était donc de démontrer que l’armée russe est en état de répondre, de contenir et le cas échéant, de contrer la pression américaine sur le Grand Nord en dépit des conditions climatiques très rudes (-25C à -30C ; vitesse du vent à 32 m/s). Le présence de sous-marins nucléaires, dont des SNLE, confère en outre à Oumka-2021 un volet dissuasion stratégique indissociable du théâtre arctique.
Oumka-2021, le ICEX russe
Depuis la fin des années 50, la marine américaine réalise tous les deux ans l’exercice ICEX qui consiste en particulier en des déploiements de sous-marins nucléaires en zone arctique, en des tirs de torpilles sous la banquise et des émersions. Le dernier s’est tenu en mars 2020, aura duré 3 semaines et aura fait intervenir les sous-marins nucléaires d’attaque USS Connecticut (type Seawolf) et USS Toledo (type Los Angeles). Oumka-2021 est la réponse russe à ICEX à ceci près que les sous-marins mobilisés par la marine russe sont plus nombreux (au moins 3) et d’autres types. Lors de son rapport au président Poutine, l’amiral Evmenov a par ailleurs expressément mentionné la réalisation d’un tir de torpille, ce qui constitue une première dans la mesure où la marine russe communique très peu sur ce genre d’exercice entrepris sous la banquise.
Et pour cause : jusqu’à récemment, les sous-marins russes étaient armés avec des torpilles électriques UCET-80 en service depuis une quarantaine d’années (voir notre dossier sur les torpilles russes). Or leur efficacité en milieu arctique était manifestement sujet à interrogation dans la mesure où le cycle d’essais en milieu arctique n’aurait jamais été complété alors que les conditions climatiques qui y règnent diffèrent sensiblement de celles de la mer Noire où se trouve le polygone d’essai pour la partie lancement (Crimée). Oumka-2021 intervient ainsi quelques mois après qu’ait été versé à l’arsenal de la marine une nouvelle torpille électrique : la torpille Fizik (probablement la Fizik 2 ?), dont les essais ont été conclus en 2020. Aussi, il est fort probable qu’un des objectifs d’Oumka-2021 était de vérifier le niveau opérationnel des torpilles en service à bord des sous-marins nucléaires. L’emploi de torpilles avait ici deux finalités : la destruction de sous-marins ennemis et la création de polynies artificielles (photo ci-dessous) autorisant ensuite le tir de missiles.
La création de polynies artificielles est une technique maîtrisée par la marine russe depuis les années 1980. Depuis 2014, un nouveau type de munition conçue spécialement pour cet emploi – des roquettes guidées – a été testé en vue d’être versé aux SNLE du Projet 955/955A et aux SSGN du Projet 885/885A. Bien que l’amiral Evmenov évoque dans son rapport un tir de torpille pour créer une polynie artificielle, on peut se demander si ces nouvelles roquettes n’ont pas été employées lors de cet exercice. Étant donné que cette munition va équiper les nouveaux SSGN du Projet 885, ces derniers auront donc aussi vocation à évoluer sous la banquise et à y contribuer à la posture de dissuasion stratégique dans son volet non-nucléaire grâce notamment à leurs missiles hypersoniques Tsirkhon. La nécessité de réaliser ces tirs à l’abri de la banquise présente un intérêt dans la perspective du potentiel déploiement d’un groupe aéronaval américain en zone arctique, comme ce fut le car lors de l’exercice otanien Trident Juncture 2018 (USS Harry Truman).
D’ailleurs, quels sous-marins ont pris part à Oumka-2021 ?
Un panachage générationnel et fonctionnel
L’examen attentif de la vidéo diffusée par le MinDéf russe laisse apparaître 3 sous-marins qui sont les suivants par ordre d’émersion :
– un SNLE du Projet 667BDRM (type Delta IV) qui émerge avec ses barres de plongée situées sur le massif orientées vers le haut. Selon toute vraisemblance, il s’agirait du K-114 Toula, rattaché à la 31e Diviziya des sous-marins de la flotte du Nord.
– le BS-64 Podmoskovié, un ex-SNLE du Projet 667BDRM requalifié en sous-marin à emploi spécial et porteur de semi-submersibles, et que la marine russe présente comme une station de plongée profonde de 1ère classe. Cette unité est rattachée à la 29e Brigade autonome des sous-marins qui est placé sous le contrôle de la Direction principale pour les Études en Eau profonde (GUGI) du Ministère de la Défense.
– un SNLE du Projet 955, très probablement le K-549 Kniaz Vladimir (Projet 955A), rattaché à la 31e Diviziya des sous-marins de la flotte du Nord.
Ces émersions se déroulent de manière progressive, à vitesse d’environ 20cm à la minute, afin de venir à bout des près de 1,5 m de banquise qui tapisse l’océan glacial arctique sur cette zone.
On retrouve donc des SNLE de 3e et 4e génération pour le volet dissuasion de l’exercice, et un sous-marin à emploi spécial pour le volet souveraineté territoriale. Rappelons qu’Oumka-2021 a été présenté par le Mindéf russe comme une « expédition arctique » et qu’il se déroulait en coopération avec la Société de géographie russe. Le GUGI reste en outre directement impliqué pour les opérations ayant vocation à affirmer la souveraineté de la Russie sur le plateau continental arctique.
En résumé, Oumka-2021 est un exercice qui visait à réaffirmer la posture de souveraineté de la Russie en Arctique ainsi qu’à démontrer la capacité de ses forces sous-marines à tenir tête à celles de l’OTAN. Au plan opérationnel, Oumka-2021 a permis de vérifier le caractère opérationnel des systèmes d’arme qui équipent les SNLE russes (probablement la nouvelle torpille Fizik et/ou les roquettes) et leur permettent de créer des polynies artificielles en vue de mettre en œuvre des tirs de missiles dans la cadre de la posture de dissuasion, qu’elle soit nucléaire ou non.
source : http://www.rusnavyintelligence.com
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