Au Mali où nous sommes face à trois guerres, la situation évolue différemment sur chacun des trois fronts.
La première guerre, celle qui a tout déclenché, a éclaté au nord fin 2011 – début 2012. Sur ce front, où le problème n’est pas tant celui de l’islamisme que celui de l’irrédentisme touareg, les rapports de force locaux ont changé depuis 2012. En effet, ses « émirs » algériens ayant été tués les uns après les autres par Barkhane, al-Qaïda-Aqmi est désormais localement dirigée par le Touareg Iyad ag Ghali ; même si. au début du mois de février 2021, Aqmi a nommé un successeur à Abdelmalek Droukdel tué au mois de juin 2021 par Barkhane, en la personne d’un autre Algérien, Abou Oubéida Youssef. Pour le moment, résultat des négociations menées avec Bamako, le nord du Mali, c’est à dire la région de Kidal est « calme ». L’Algérie qui ne veut pas d’un embrasement à sa frontière soutient Iyad ag Ghali et les trafics qui font vivre la région ont repris.
Au centre et au sud du Mali, c’est la résurgence de conflits antérieurs à la période coloniale qui a fait entrer des querelles paysannes amplifiées par la surpopulation et par la péjoration climatique, dans le champ du djihad régional. Ici aussi, l’approche ethnique actuellement suivie par les négociateurs maliens devrait permettre de faire baisser l’intensité des affrontements.
Reste la région des « trois frontières » – Niger, Mali, Burkina Faso – où les massacres qui se succèdent provoquent une situation apocalyptique. Ici, l’alchimie ethnique avec son mille-feuille de revendications contradictoires offre un terrain favorable à Daech à travers l’EIGS (État islamique dans le Grand Sahara).
En dépit d’actions violentes de plus en plus meurtrières dans la région des « trois frontières », le djihadisme sahélien stagne. Cependant, le non règlement des grandes questions ethno-politiques qui sont à la base des conflits lui permet de maintenir des foyers d’infection qui pourraient lui permettre de déclencher une septicémie sahélienne. Mais, pour le moment, les trois conflits dont nous venons de parler n’ont pas « coagulé » car les djihadistes se trouvent face à une grande contradiction. Leur islam qui se veut universel, n’a en effet pas réussi, à ce jour, à transcender les ethnies. Tout au contraire, puisque, face à l’échec de leur projet universaliste, ils ont été contraints de prendre appui sur certaines d’entre elles. S’obstiner à ne pas le voir comme continuent à le faire certains conduit à l’impasse. Le djihadisme se trouve en effet pris au piège des rivalités ethno-centrées qui constituent la vraie réalité sociologique régionale. Tout le reste n’est que bavardage européocentré.
Le conflit ouvert localement entre l’EIGS et al-Qaïda, s’explique ainsi parce que le premier accuse les chefs locaux d’al-Qaïda d’être des ethno-djihadistes privilégiant leurs ethnies et voulant conserver le cadre politique du Mali aux dépens du califat transfrontalier. La clé de la paix est dans cette donnée.
Bernard Lugan
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