Par Salman Rafi Sheikh − Le 12 Mars 2021 − Source New Eastern Outlook
L’administration de Joe Biden n’a pas mis longtemps à finaliser sa stratégie envers la Chine. La conversation téléphonique entre Biden et Xi, qui s’est déroulée dans une soi-disant « bonne ambiance », a déjà laissé place à une « stratégie chinoise » qui n’est pas différente de celle de l’administration Trump. Cependant, certains développements récents montrent que l’administration Biden n’a pas seulement décidé de faire monter les enchères contre la Chine, mais qu’elle est aussi pleinement concentrée sur la confrontation de cette dernière au niveau mondial. L’urgence et la primauté que l’administration Biden accorde à la Chine sont évidentes dans la manière dont Biden & Co. ont décidé de rencontrer leurs alliés dits QUAD avant les alliés les plus proches des États-Unis en Europe. Si l’une des raisons de cette décision est la distance croissante entre les États-Unis et l’Europe, il est également vrai que l’UE n’est pas un partenaire volontaire des États-Unis dans le conflit qui les oppose à la Chine. Comme le montrent les derniers chiffres d’Eurostat, l’office statistique officiel de l’UE, la Chine a déjà détrôné les États-Unis en tant que premier partenaire de l’UE pour les échanges de marchandises.
L’UE n’a donc aucune raison de considérer la Chine comme un rival. Bien qu’il existe un sentiment de concurrence entre l’UE et la Chine, il existe également un sentiment de coopération qui se développe rapidement et que l’Europe considère comme vital pour sa propre position mondiale et son autonomie par rapport aux États-Unis. En l’état actuel des choses, si les États-Unis et l’Europe partagent de nombreuses valeurs, l’appétit pour le risque est différent de part et d’autre de l’Atlantique. Après le discours de Joe Biden à la conférence de Munich il y a environ deux semaines, dans lequel il a insisté sur le leadership américain, la chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron ont tous deux fait des remarques mettant davantage l’accent sur la nécessité de coopérer avec la Chine. L’administration Biden n’a donc eu d’autre choix que de recourir une fois de plus au groupe QUAD pour « contenir » la Chine, au moins dans la région indo-pacifique, sinon en Europe.
Selon une récente déclaration de la Maison Blanche, le président Biden organiserait un sommet virtuel QUAD pour partager sa « stratégie chinoise » avec les alliés des États-Unis. Alors que le candidat Joe Biden avait donné l’impression qu’il suivrait une « approche différente » vis-à-vis de la Chine, son approche montre que la seule différence est qu’il pense pouvoir élaborer une stratégie beaucoup plus efficace et rassembler des alliés contre la Chine. La stratégie de Joe Biden à l’égard de la Chine est déjà décrite comme « dure, mais soutenue par une alliance », rassemblant des nations partageant les mêmes idées.
Il est évident que l’administration de Joe Biden s’éloigne de son approche précédente qui mettait l’accent sur le dialogue. Un haut responsable de la Maison-Blanche l’a confirmé en déclarant que les États-Unis n’allaient pas abandonner le dialogue, mais qu’ils souhaitaient d’abord explorer des terrains d’entente avec leurs alliés. « Nous accordons une grande importance à un partage approfondi des points de vue avec nos partenaires et alliés pour nous aider à nous doter de perspectives stratégiques », a déclaré le responsable.
En effet, l’administration Biden a déjà mis en place une « stratégie vaccinale » pour contrer l’influence chinoise en Asie et dans le Pacifique. Un autre fonctionnaire de la Maison Blanche aurait déclaré que la « stratégie vaccinale » fait partie des « dernières étapes de préparation des États-Unis pour ce qu’ils espèrent être une initiative majeure et audacieuse dans la région Indo-Pacifique » [contre la Chine].
Le fait que Biden ait réactivé le QUAD montre comment la nouvelle administration accélère sa « stratégie chinoise ». La raison sous-jacente reste la capacité croissante de la Chine à défier l’hégémonie américaine. C’est ce qu’a très bien expliqué Antony Blinken dans son premier grand discours de politique étrangère prononcé la semaine dernière. M. Blinken n’a pas mâché ses mots lorsqu’il a déclaré que la Chine était « le plus grand test géopolitique du 21e siècle » pour les États-Unis.
Décrivant l’approche fondamentale envers la Chine, Blinken a insisté sur la nécessité d’un retour en arrière et de forcer la Chine à le faire :
La Chine est le seul pays à disposer de la puissance économique, diplomatique, militaire et technologique nécessaire pour remettre sérieusement en question le système international stable et ouvert, c’est-à-dire l’ensemble des règles, des valeurs et des relations qui font que le monde fonctionne comme nous le souhaitons, parce qu’il sert en définitive les intérêts et reflète les valeurs du peuple américain. Notre relation avec la Chine sera compétitive lorsqu’elle doit l’être, collaborative lorsqu’elle peut l’être et conflictuelle lorsqu’elle doit l’être. Le dénominateur commun est la nécessité d’engager la Chine en position de force. Cela nécessite de travailler avec les alliés et les partenaires, et non de les dénigrer, car il est beaucoup plus difficile pour la Chine d’ignorer notre poids combiné. Cela nécessite de s’engager dans la diplomatie et dans les organisations internationales, car là où nous nous sommes retirés, la Chine a pris le relais.
Comme l’explique Blinken, leur motivation première reste de rétablir le leadership américain et d’empêcher tout autre pays de les remplacer. Cette conviction est ancrée dans une approche néo-impérialiste classique qui met l’accent sur le leadership américain comme seul moyen de suivre un ordre international « fondé sur des règles ». L’administration de Joe Biden, ne voyant pas comment l’influence et le leadership des États-Unis ne comptent déjà plus en Europe, continue de croire qu’ils comptent en Asie et dans le Pacifique. Comme l’a noté Blinken :
… Le leadership et l’engagement américains comptent. C’est ce que nous entendons maintenant de la part de nos amis. Ils sont heureux que nous soyons de retour. Que nous le voulions ou non, le monde ne s’organise pas tout seul. Lorsque les États-Unis se retirent, l’une des deux choses suivantes risque de se produire : soit un autre pays essaie de prendre notre place, mais pas d’une manière qui favorise nos intérêts et nos valeurs ; soit, et c’est peut-être tout aussi grave, personne ne prend la relève, et c’est alors le chaos et tous les dangers qu’il engendre. Dans tous les cas, ce n’est pas bon pour l’Amérique.
Le passage de l’approche de Joe Biden du dialogue à la confrontation virtuelle et au repli s’inscrit dans le contexte de la présence rapide et apparemment inarrêtable de la Chine dans les pays du monde entier.
Ironie du sort, la Chine continue de développer des liens avec les pays du QUAD, ce qui limite la capacité des États-Unis à obtenir le soutien des pays membres contre la Chine. Les États-Unis ont déjà perdu l’Europe face à la Chine. Il est tout à fait possible que les liens économiques croissants de la Chine avec les pays d’Asie et du Pacifique puissent faire de même pour les États-Unis. Cela est particulièrement vrai pour la région de l’ANASE, une région qui a déjà signé un pacte commercial global impliquant la Chine. Toute aventure américaine doit d’abord neutraliser ce pacte commercial qui promet un développement et un commerce d’une ampleur sans précédent. Les États-Unis, quant à eux, continuent de proposer la confrontation, un message qui ne passe pas bien lorsqu’on le compare à l’approche multilatérale de la Chine qui met l’accent sur la coopération plutôt que sur la concurrence.
Salman Rafi Sheikh
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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