par Alexandre Lemoine.
La signature d’un nouvel accord stratégique de coopération sur 25 ans entre l’Iran riche en pétrole et la Chine revendiquant le statut de puissance mondiale change les règles du jeu non seulement au Moyen-Orient, mais également en Asie. La Chine met en place un nouveau « tentacule stratégique » pour les États-Unis et leurs alliés dans la région, estiment les observateurs de la revue analytique australienne The Strategist.
Cet accord marque un point culminant dans les liens économiques, commerciaux et militaires grandissants entre les deux pays depuis la Révolution islamique de 1979 en Iran. Bien que le contenu de l’accord ne soit pas intégralement dévoilé, il impliquera forcément des investissements chinois d’envergure dans l’infrastructure et les secteurs industriel et pétrochimique de l’Iran. Il renforcera également la coopération militaire, dans le renseignement et la lutte contre le terrorisme et reliera étroitement l’Iran à l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » en tant qu’instrument d’influence mondiale, indique la revue.
Selon certaines sources, l’accord prévoit des investissements chinois à hauteur de 400 milliards de dollars, notamment sur le marché iranien du pétrole et du gaz d’ici 25 ans.
Les échanges sino-iraniens, en 2016, s’élevaient à 31 milliards de dollars après la signature un an plus tôt du Plan d’Action global commun sur le nucléaire iranien. Cependant, ils ont diminué après la rupture unilatérale, en mai 2018, de l’accord nucléaire par Donald Trump, malgré l’opposition d’autres signataires du Plan d’Action, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, en décrétant ensuite des sanctions sévères contre l’Iran. Néanmoins, à présent, le commerce sino-iranien s’apprête à atteindre de nouveaux sommets.
Ce développement exponentiel des relations est basé sur l’intérêt mutuel des pays pour faire face aux États-Unis et à leurs alliés. Une coopération plus large et profonde entre la Chine et l’Iran, notamment dans le contexte de leurs liens étroits avec la Russie et des relations hostiles de ce « trio » avec les États-Unis, comporte un puissant potentiel pour changer le paysage stratégique régional, constate The Strategist.
Jusque-là, la Chine s’efforçait de ne pas coopérer avec l’Iran jusqu’à un point où cela puisse menacer ses relations lucratives avec l’Arabie Saoudite riche en pétrole, l’un des principaux rivaux régionaux de l’Iran, ainsi que d’autres partenaires parmi les monarchies arabes. En 2019, la Chine a importé près de 17% de ses besoins en pétrole d’Arabie Saoudite, ainsi que des quantités plus modestes du Koweït, des Émirats Arabes Unis et d’Oman. La deuxième puissance économique du monde couvrait seulement 3% des besoins intérieurs en cet hydrocarbure stratégique grâce aux fournitures d’Iran, placé sous l’embargo pétrolier américain depuis novembre 2018.
La Chine entretient également à un niveau raisonnable la coopération miliaire et de renseignement avec Israël, un autre grand adversaire de l’Iran au Moyen-Orient.
La signature par Pékin de ce très important accord avec Téhéran suscite une sérieuse préoccupation des pays arabes du Golfe, d’Israël et des États-Unis. Ils étaient déjà préoccupés par la « menace » iranienne dans la région, compte tenu de l’élargissement de l’influence de Téhéran en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, ainsi que de son soutien des Palestiniens. Les États-Unis sont également inquiets par l’influence de l’Iran en Afghanistan, où les Américains et leurs alliés se battent sans succès contre le mouvement radical des talibans depuis deux décennies, d’où Washington veut se retirer au plus vite en prenant certaines mesures pour sauver la face, poursuit le média.
Et maintenant, après plusieurs années de politique américaine de pression maximale des États-Unis sur l’Iran visant à détruire l’économie iranienne et à déstabiliser son système politique de l’intérieur, Pékin affiche sa disposition à investir des centaines de milliards de dollars dans cette économie et prêter ainsi main forte à Téhéran.
Compte tenu des liens étroits entre l’Iran et la Russie, l’accord entre la Chine et l’Iran crée potentiellement un axe puissant qui ne ferait que renforcer la position régionale de Téhéran et ses positions aux négociations avec l’administration de Joe Biden concernant le retour des États-Unis dans le Plan d’Action.
Les Iraniens craignaient traditionnellement une alliance avec toute puissance mondiale, même si à l’époque du chah leur pays s’est déplacé dans l’orbite américaine, ce qui a contribué considérablement aux prémisses pour des mouvements révolutionnaires en Iran à la charnière des années 1970 et 1980. Mais les tentatives permanentes des États-Unis de faire pression et d’isoler l’Iran, notamment sous Donald Trump, poussaient systématiquement Téhéran à regarder vers l’Est et à avancer vers la signature d’un accord avec la Chine.
Puisque la Turquie s’écarte également des États-Unis en tendant vers la Chine et l’Iran, malgré les différends entre Ankara et Téhéran en Syrie, les alliances factuelles qui se forment dans cette région stratégiquement et économiquement vitale représentent un bien plus grave problème pour l’administration Biden qu’on ne pouvait s’y attendre. Si jusqu’à présent Joe Biden pensait que la Russie et la Chine seraient ses cibles principales en politique étrangère, maintenant, après l’accord sino-iranien qui change les règles du jeu, le Moyen-Orient pourrait devenir tout aussi difficile pour les Américains, conclut The Strategist.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, et son homologue chinois, Wang Yi, ont signé le 27 mars un pacte de coopération stratégique entre les deux pays. La cérémonie de signature s’est déroulée à Téhéran. D’après les autorités iraniennes, le document est prévu pour 25 ans et contient des éléments politiques, stratégiques et économiques.
Désormais, les États-Unis et leurs alliés pourraient perdre une grande partie de leur influence, ainsi que la possibilité de faire pression sur Téhéran qui, avec le soutien de Pékin, pourrait rétablir sons influence d’antan, voire aller au-delà, tout en attirant la Chine parmi les acteurs centraux sur cette arène.
source : https://www.observateurcontinental.fr
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