Avant d’être emporté par un cancer du larynx, le journaliste-écrivain Gil Courtemanche a écrit Je ne veux pas mourir seul (Boréal, 2011), une « autofiction » bouleversante. Bref récit d’un échec amoureux, le livre expose l’une des peurs qui nous habite tous : celle précisément de quitter ce monde dans une solitude noire, rongés par la culpabilité de ne pas avoir su aimer assez…
J’ai repensé à ce livre et à sa noirceur avant les Fêtes. Les bilans quotidiens de la pandémie font état des décès, mais il n’est jamais question des heures qui précèdent ces disparitions.
À la fin du mois de novembre, j’ai accompagné mon père à l’urgence pour une vilaine bronchite. Il avait beaucoup de mal à respirer. Le moindre effort lui demandait un trésor d’énergie. Nous n’avions d’autre option que de le laisser à l’hôpital.
Quiconque a eu quelques amis chers ou des parents attentionnés espère rendre son dernier souffle entouré de regards aimants.
Il s’en est fallu de peu pour qu’il soit dirigé vers les soins intensifs, tellement ses poumons étaient hypothéqués. Heureusement, son état s’est stabilisé. Il a néanmoins dû poireauter à l’urgence quelques jours, le temps qu’on lui trouve une chambre.
La douzaine de tests qu’il a subis ont convaincu l’équipe médicale qu’il n’avait pas la COVID. Toutefois, pendant les 72 premières heures de son hospitalisation, nous avons craint le pire, et lui aussi. Au téléphone, il broyait du noir.
Cet article est paru dans le magazine Le Verbe. Cliquez ici pour consulter la version originale.
Pendant ces moments critiques, j’ai été tétanisé par la peur de le perdre dans des circonstances aussi tristes. COVID oblige, les consignes étaient claires : aucune visite permise. Je l’imaginais donc complètement seul, parqué dans un couloir, entouré d’un personnel surmené, incommodé par des néons agressants.
Pendant ces longues heures sans nouvelles, j’ai vraiment cru qu’il allait mourir seul… J’étais à la fois triste et bouleversé par cette éventualité, bien sûr, mais surtout profondément révolté.
Humanité en voie de disparition
Quiconque a eu quelques amis chers ou des parents attentionnés espère rendre son dernier souffle entouré de regards aimants. Pour peu qu’on ait pensé aux autres dans la gratuité de l’amitié ou de l’amour, on risque de ne pas finir ses jours seuls.
Tout au long de sa vie, mon père a été présent pour ses enfants, ses parents, des amis, de mille façons. L’imaginer partir complètement seul me semblait la pire des calamités.
Difficile en effet d’y voir autre chose qu’une régression. Tous les anthropologues le disent : ce qui nous distingue des animaux, ce qui a fait de nous des êtres « civilisés », c’est le soin que nous apportons aux morts, une manière plus sophistiquée d’accompagner les êtres chers durant la dernière étape de la vie.
Personne ne devrait être privé de ces contacts fondamentalement humains lorsque l’heure du grand départ a sonné.
Grâce à du repos, des antibiotiques et un peu de physiothérapie, mon père est rentré à la maison la veille de Noël, où ma mère l’attendait les bras ouverts. Notre famille a eu beaucoup de chance, car cette histoire s’est finalement bien terminée.
J’ai cependant pu voir un autre visage de cette pandémie et de l’étrange époque que nous traversons.
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