Chargée de cours à l’UQAM, Regroupement vigilance hydrocarbure Québec et Membre Des Universitaires
Dans son plus récent livre, l’écrivain islandais Andri Snaer Magnason rapporte les constats de scientifiques au sujet de l’impact des gaz à effet de serre (GES) sur l’océan. Les mesures effectuées révèlent que, en seulement quelques décennies, le degré d’acidité (communément appelé pH) de l’océan est passé de 8,1 à 7,8. Du jamais vu depuis 30 à 50 millions d’années.
Une baisse de 0,3 parait insignifiante. Mais comme la valeur du pH est mesurée sur une échelle logarithmique, chaque unité multiplie par dix la valeur qui précède. La baisse d’une unité équivaut à 10 fois plus d’acidité. La baisse de deux unités équivaut à 100 fois plus d’acidité, etc. Si on compare avec le pH du corps humain, on réalise la gravité de cette acidification.
En effet, tous les médecins savent que le pH du sang humain peut varier de 7,35 à 7,45. Au-delà ou en deçà de cette fluctuation de 0,1, nos organes cessent de fonctionner normalement et nous sommes en danger de mort. C’est précisément ce qui arrive à une multitude d’espèces marines, dont le phytoplancton, responsable de la production de 60 % de l’oxygène terrestre.
Moins médiatisée que les continents de plastique, le raclage des fonds marins et la surpêche, la disparition silencieuse de la vie marine qui se produit présentement, due aux effets conjugués de l’acidification de l’océan, du réchauffement des eaux et de la baisse du taux d’oxygène dans l’eau (hypoxie), n’en est pas moins tragiquement grave. C’est toute une génération qui souhaitera bientôt désespérément faire un bond en arrière dans le temps pour conserver son paradis. Magnason joue de tous les registres du langage pour faire comprendre ce fléau. Il écrit : «Pour quantité d’espèces vivantes, le taux d’acidité de l’océan est aussi vital que pour nous celui de notre sang. Les conséquences de ce 0,3 de pH en moins sont si GRAVES qu’il faudrait l’écrire en gras et en majuscules, et ajouter une vingtaine d’émoticônes….».
L’acidification fulgurante des océans, rappelons-le, est attribuable à la combustion des énergies fossiles : pétrole, charbon et gaz naturel. C’est une des raisons pour lesquelles, depuis plusieurs décennies, la communauté scientifique internationale presse les gouvernements de cesser de financer les énergies fossiles et d’opérer une transition énergétique rapide vers les énergies renouvelables. Malgré ces avertissements, le gouvernement québécois vient d’accorder 10,6 millions de dollars de fonds publics à Énergir pour la construction d’un nouveau gazoduc en Estrie.
Ces sommes s’additionnent à une véritable cascade de fonds publics alloués ces dernières années pour soutenir l’industrie gazière. Tous ces millions pourraient servir à développer la géothermie et à mettre au point un réseau intelligent d’énergie renouvelable pour alimenter les zones industrielles et les habitations. Cette véritable transition énergétique permettrait d’éliminer les GES et les effets néfastes du gaz méthane sur la santé humaine et sur celle des océans.
Les enfants qui ont aujourd’hui 11 ans devraient en avoir 90 en 2100. Ce sont eux qui subiront tout au long de leur vie adulte le plein impact du chaos annoncé, provoqué par le refus obstiné de nos élus de suivre dès maintenant les recommandations des scientifiques sur le climat. Comme le rapporte le biologiste expert du réchauffement climatique Claude Villeneuve, avec l’inertie actuelle, il n’est pas assuré que l’humanité survive au 21ème siècle. Si la tendance se maintient, la trajectoire de vie de nos familles risque de ressembler tristement à celle des coraux, des tortues marines et des bélugas. Au Québec, existe-t-il des responsables de la santé publique capables d’interpeler le gouvernement et de prendre publiquement la parole sur ces enjeux?
La génération qui nous a précédés a inventé les chambres à gaz pour éliminer dans l’indifférence générale des millions d’Européens. Est-ce que notre génération laissera nos gouvernements priver de tout espoir les enfants nés et à naitre pour accommoder des intérêts économiques à court terme? Sommes-nous dans l’attente d’un vaccin pour le plancton marin?
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