La faiblesse du monde occidental nous renvoie à des moments charnières de l’histoire moderne comme l’été 1914, selon Bernard Wicht, historien militaire et stratège.
Comme je l’ai dit à plusieurs reprises après l’élection de Donald Trump en novembre 2016: en tant qu’Européen, j’ai «voté pour lui». En effet, il allait nous éviter un conflit avec la Russie alors que son adversaire, Hillary Clinton, en avait fait une priorité de son agenda.
Aujourd’hui, avec l’élection de Joe Biden, les va-t-en-guerre sont à nouveau aux commandes à Washington et on peut donc penser qu’ils chercheront vraisemblablement à provoquer un «incident» avec la Russie. Expliquons.
D’une part, avec la nouvelle équipe au pouvoir, la vision géopolitique de McKinder (éviter le contrôle du Heartland par une grande puissance) revient hanter les salons de la Maison Blanche ainsi que les couloirs du Pentagone et de Langley – on se souvient de la crise ukrainienne mise en scène par l’UE et les États-Unis pour sortir ce pays du giron russe, précisément en fonction de cette vision géopolitique. D’autre part, les va-t-en-guerre ne représentent pas les intérêts des citoyens américains, mais ceux de la finance globale et du Complexe Militaro-Industriel pour qui les cycles de guerres sont bons pour les affaires et permettent d’engranger les commandes d’armement.
Mais il importe aussi de se demander, a contrario, si l’orchestration d’un simple «incident de frontière» suffit à déclencher une guerre? Dans le cas de l’Ukraine, ce pays est devenu un État failli, mais ça s’est arrêté là et c’est dorénavant plutôt un problème pour l’UE que pour la Russie. Ne faut-il pas plutôt chercher les sources de conflits potentiels ailleurs, dans les cycles et les rythmes des sociétés et des États concernés. Or que nous disent les États-Unis et l’Europe occidentale à cet égard?
- Les États-Unis apparaissent de plus en plus comme un colosse aux pieds d’argile. Leur leadership mondial est en déclin, de même que leur puissance économique, et surtout la fracture au sein de la société américaine est aujourd’hui béante et connue de la planète entière.
- Les États-Unis perdent chaque jour un peu de leurs capacités de production industrielle comme en témoignent les graves problèmes techniques et technologiques rencontrés par le chasseur F-35 et le Boeing 737 Max. Plus encore, emblème de l’innovation made in USA, le iPhone est produit et assemblé entièrement hors du pays.
- Si l’on regarde maintenant du côté de l’OTAN, la situation n’est guère meilleure. Hormis les forces armées US, les capacités opérationnelles des membres européens de l’Alliance ont fondu comme neige au soleil. Le cas de la Bundeswehr est même devenu préoccupant. L’armée allemande est en effet au bord de la banqueroute en termes d’effectifs et de matériels.
- En Europe occidentale, plusieurs pays sont d’ores et déjà en état de guerres internes avec une violence pandémique à l’échelle moléculaire (agressions à l’arme blanche, rixes mortelles, fusillades, attentats, etc.). Il s’agit en particulier de la France, de la Belgique, du Royaume-Uni et de la Suède.
En conséquence, fragilité et instabilité semblent caractériser la réalité actuelle du monde occidental. Ceci n’a rien de rassurant ! Comme le rappelle l’étude magistrale de Paul Kennedy (Naissance et déclin des grandes puissances: transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000, publié en français en 1989), ce sont généralement les puissances sur le déclin qui déclenchent les guerres, à l’instar de l’Autriche-Hongrie en 1914: «un bon exemple de grande puissance “sur le déclin” qui contribue à déclencher un conflit mondial».
Un casus belli? Lequel? La Turquie (et sa politique néo-bismarckienne) mérite une attention toute particulière parce qu’elle pourrait fonctionner comme déclencheur. La stratégie de Vladimir Poutine vise à la soustraire à la sphère d’influence américaine. Le président russe a de bonnes chances d’y parvenir et, dès lors, de disposer d’un accès facilité aux mers chaudes – la Méditerranée en l’occurrence. A terme, il y a là une possible cause de guerre si les États-Unis et leur allié israélien jugent qu’un tel défi est inacceptable.
En conclusion: guerres en Europe? On vient de le voir, plusieurs schémas belligènes sont déjà à l’œuvre. Dans quel horizon de temps: cet été? en 2022 ou 2023? C’est à ce stade qu’il convient de se souvenir de l’enseignement de Fernand Braudel: comme les hommes, les États et les autres institutions naissent, vivent et meurent mais, précise Braudel, leur rythme est beaucoup plus lent. On peut donc envisager un horizon de 5 à 10 ans.
P.S. : En est-on conscient en Suisse? Je dirais que NON. Avec le gouvernement, le parlement et les militaires actuellement en place, avec l’indigence de la réflexion stratégique, notre pays est aujourd’hui un joyau économique sans protection.
- Bernard Wicht est privatdocent auprès de la Faculté́ des sciences sociales et politiques de l’Université́ de Lausanne où il enseigne la stratégie. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment Citoyen-soldat 2.0 (2017) ; Europe Mad Max demain? Retour à la défense citoyenne (2013) ; Une nouvelle Guerre de Trente Ans: réflexion et hypothèse sur la crise actuelle (2012) ; L’OTAN attaque: la nouvelle donne stratégique (1999) ; L’idée de milice dans la pensée de Machiavel (1995).
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