La bourgeoisie a la noblesse comme « modèle ». C’est bien connu et cela a été dit et répété dès le XVIIe et surtout pendant le XIXe siècle. Le « bourgeois » veut être « gentilhomme ». Les généraux de Napoléon se donnent des titres de princes. Balzac se donne une particule et il aime une comtesse. Dans Le rouge et le noir, Julien Sorel n’aime que des femmes de l’aristocratie, Mme de Rênal ou Mathilde de la Mole et il devient Julien Sorel de La Vernaye. Dans Bel-Ami, Georges Duroy devient Georges Du Roy de Cantel. Le grand Meaulnes est amoureux d’Yvonne de Galais. Tous les héros de Proust sont dans la grande noblesse française. Etc. etc. etc. Et Julien Sorel et Georges Duroy ont des prétentions aristocratiques alors même que l’ancien régime est fini et qu’on sait bien qu’il ne reviendra jamais. L’imitation de la noblesse a été l’obsession bourgeoise du XIXe. Et cela a duré jusque dans les années 1960, où un phénomène bien plus important a tout balayé. Aujourd’hui, la bourgeoisie n’a plus la noblesse comme modèle mais c’est parce que plus personne ne peut avoir de modèle, notre monde est un chaos de désirs et de modèles qui ne cessent d’apparaître et de disparaître.
Et ce dont la bourgeoisie a la culture, c’est de la rivalité, en tant qu’elle est la classe moyenne où les plus infimes différences prennent les plus grandes significations et où tout objet sanctifié par la rivalité devient désirable et magnifique, fût-il rien, fût-il laid. Pour celui qui est à la moyenne, le 0,001 qui le sépare de 49,999 et de 50,001 a autant de sens que le 40 qui sépare 10 et 90 de 50/100, ce 0,001 est la différence qui le fait basculer dans la classe supérieure ou dans l’inférieure. D’où sans doute l’obsession des moyennes dans notre système scolaire. L’obsession bourgeoise, c’est de vérifier sans cesse qu’on est dans la classe supérieure et non dans l’inférieure. Et cette inquiétude touche maintenant les plus riches comme les plus pauvres, qui sont tous embourgeoisés, c’est-à-dire tous égalisés de fait.
L’état de notre société embourgeoisée et égalisée est d’ailleurs l’état archétypal décrit dans les mythologies quand elles parlent de lutte et de violence : l’état des frères et même des frères jumeaux. Et ça, le marxisme l’a complètement ignoré : l’histoire de la violence n’est pas entre classes différentes mais à l’intérieur d’une même classe, entre les plus égaux – les frères, et entre les égaux des égaux – les jumeaux.
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