Situation : Un démantèlement accéléré des bases productives et des grandes infrastructures du pays. C’est la dernière lubie de la Macronie : le projet « Hercule », qui vise à séparer les activités rentables d’EDF de « celles qui ne le sont pas » pour ouvrir au privé le capital des premières. Une énième illustration de la politique économique et dé-productive menée depuis des décennies d’euro-politiques ayant débouché sur le triple désastre de la désindustrialisation, des fusions transcontinentales détruisant la souveraineté productive, et la privatisation galopante de toutes les infrastructures de la France.
1) La dramatique désindustrialisation et ses désastreuses conséquences sociales
C’est désormais une triste habitude : pas un jour ne passe sans que soit annoncé un plan de licenciements dans l’industrie, quel que soit le secteur : automobile avec la fermeture du site de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) dont les activités sont transférées à Flins (Yvelines) ; pneumatique, à l’image de la fermeture du site de Bridgestone à Béthune (Nord) débouchant sur le licenciement de 863 salariés – un « assassinat prémédité » selon le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand – tandis que Michelin a annoncé la suppression de 2.300 postes ; pharmaceutique, comme le montre l’annonce par Sanofi de son intention de supprimer 1.000 postes dans la recherche-développement en France – alors même que la France est incapable d’enrayer efficacement la crise sanitaire ; agroalimentaire, comme le prouve l’annonce par le groupe Danone de la suppression de 400 postes (sur 2.000) et l’intention d’Auchan de licencier environ 1.000 travailleurs ; aéronautique, avec l’annonce de la disparition de près de 30.000 postes (!) à Roissy-Charles-de-Gaulle, notamment à Air France (où l’on se souvient aussi de l’annonce fracassante de la suppression de 2.900 emplois en octobre 2015, ayant poussé les travailleurs licenciés à arracher la chemise du « directeur des ressources humaines » de l’époque, Xavier Broseta) et au sein des Aéroports de Paris (ADP) ; téléphonie, puisque Nokia a l’intention de supprimer près de 1.00 emplois ; hôtellerie, puisque le groupe Accor prévoit la disparition de près de 2.100 emplois ; ou encore énergie, puisqu’est programmée la disparition de près de 1.500 emplois chez General Electric (GE). Ce désastre frappe également des secteurs davantage « tertiaires » comme le journalisme, à l’image du projet de Presstalis de supprimer jusqu’à 70% des emplois, et le secteur bancaire, la Société générale prévoyant la disparition de 350 emplois.
Au-delà de l’actuelle conjoncture de plus en plus calamiteuse, la France est le pays de l’Union européenne (UE) qui s’est le plus désindustrialisé depuis les années 1970 : en effet, de 5,7 millions de personnes employées dans l’industrie en 1974, on est passé à un peu plus de 3 millions en 2019, soit une chute de près de 2,6 millions d’emplois en 45 ans. Dans certains secteurs comme le textile, la chute est dramatique : alors que ce secteur employait 500.000 personnes en 1965, ce nombre a été divisé par plus de 5 depuis.
Désormais, l’industrie ne pèse plus que 13% de la richesse nationale (contre près du ¼ en 1980), tandis que la part de l’emploi industriel a été divisée par 2 depuis la fin des années 1960 pour ne représenter qu’à peine 20% aujourd’hui du total de l’emploi.
Entre mars et décembre 2020 plus de 700 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE, c’est-à-dire plans de licenciements) ont été annoncés, soit 76 100 ruptures de contrat de travail, près de trois fois plus que sur la même période en 2019.Les conséquences sont catastrophiques : non seulement la France ne dispose plus que d’une souveraineté industrielle réduite à peau de chagrin, en témoigne l’impuissance à produire des masques – importés pour nombre d’entre eux depuis la Chine populaire – efficacement et rapidement en pleine crise sanitaire, mais de plus les conséquences sociales sont désastreuses à l’image d’un chômage qui, derrière la propagande macroniste faisant croire à une amélioration de la situation (à travers des stages bidons et autres emplois précaires, à temps partiel, etc.), reste à un niveau élevé (plus de 10% de la « population active ») et, quand il baisse, c’ est avant tout le résultat d’une opération mécanique faisant sortir des statistiques des demandeurs d’emplois ne correspondant plus aux critères officiels du chômage.
Un chômage dont les conséquences sont dramatiques en termes de suicides notamment, la moitié des décès concernant des personnes de 35 à 64 ans en âge de travailler ; il faut y ajouter également le fort taux de suicides plus prononcés chez certains types de travailleurs, à commencer par les agriculteurs les plus fragiles (plus d’un suicide par jour en 2015) du fait de la fort chute des petites exploitations dont le nombre a été divisé par 3,5 entre 1988 et 2016, cette chute se poursuivant sous le quinquennat Macron.
À quoi s’ajoute également une pauvreté effrayante : plus de 2 millions de travailleurs vivent avec moins de 1 041 euros par mois, tandis que plus de 2,1 millions de personnes bénéficient de l’aide alimentaire en ce début d’année 2021 et que plus généralement, en 2019, le taux de pauvreté a retrouvé son niveau de 1979 avec près de 15% des habitants vivant sous le seuil de pauvreté (60% du revenu médian, soit moins de 1.041 euros par mois). Au-delà des circonstances exceptionnelles liées au coronavirus, il faut bien y voir le résultat de la dramatique désindustrialisation frappant le pays depuis plus de 40 ans.
2) Des fusions transcontinentales détruisant la souveraineté productive et le monde du travail
Cette désindustrialisation recoupe fortement la réorganisation européiste et mondiale de l’économie dans le sens de la concentration croissante du capital en faveur des grands trusts transnationaux. Au-delà de la naïve croyance dans la « concurrence pure et parfaite » dont se targuent les capitalistes « libéraux » (sauf pour réclamer des subventions massives à l’État bourgeois selon le principe « socialisation des pertes, privatisation des profits ») et des formules en partie fausses comme celle de l’« économie ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » dont l’UE chante les louanges, on assiste en réalité à une concentration accélérée du capital à l’échelle mondiale, détruisant les structures du « produire en France » (et les structures productives d’autres pays comme, en Europe, ceux du Sud et de l’Est dont les structures étaient déjà très fragiles à l’image de celles de la Grèce, et jusqu’aux États-Unis). En effet, comme le démontre fort justement Georges Gastaud, « quand les fusions capitalistes transnationales intéressant les grands capitalistes sont en jeu, ce sont, en dernière analyse, non pas la « concurrence libre et non faussée », mais les rapports de force entre grands États bourgeois, y compris à l’intérieur même de la Commission européenne, qui font la décision comme on l’a vu récemment avec les Chantiers de l’Atlantique, Alstom/Siemens, Renault-Nissan, PSA-Chrysler-Fiat, et autres bras de fer inter-impérialistes qui se sont régulièrement traduits par l’humiliation de l’État impérialiste français décadent : un État qui, ayant le plus misé historiquement, depuis au moins Colbert, sur l’État-nation centralisé, parmi les « grands États » impérialistes, paie logiquement le plus cher, en termes industriels et culturels, la transition en cours – voulue par le MEDEF et le CAC 40 – vers l’Empire euro-atlantique du grand capital. » Il en résulte d’importantes délocalisations industrielles et la fermeture des usines consécutives au « redéploiement des activités ».
À tout cela, il faut ajouter, s’agissant de la France, un acharnement politique consécutif à l’énorme grève ouvrière de mai-juin 1968. Traditionnellement en effet – de la Commune aux grandes grèves de 1947-1948 en passant par la CGTU et le Front populaire –, le prolétariat industriel français était « rouge », syndiqué à la CGT et votant majoritairement communiste. Dès les années 1970, les oligarchies française et allemande, notamment Giscard et Schmidt, s’entendent pour parer à ce danger pour leur classe : pour ce faire, le gros de l’industrie européenne sera concentré sur la RFA, où le PC d’Allemagne avait été interdit par Adenauer et où la classe ouvrière était fortement « tenue » par les syndicats contrôlés par le Parti social-démocrate (SPD) ; pendant ce temps, l’oligarchie française acceptait de tailler à la faux dans la métallurgie française, de fermer toutes les mines et le textile, afin de spécialiser l’Hexagone dans le transport et la logistique européenne, le tourisme, l’armement et la banque. Première victime : l’usine Renault de Renault-Billancourt, cœur de la grève de 1968 et qui produisait une bonne partie de la machine-outil, ce socle de toute l’industrie nationale… Le résultat en termes d’importations, de perte de savoir-faire, d’endettement et d’impuissance sociale du prolétariat, est désastreux pour notre pays qui, bien qu’héritier de Pasteur, cinquième puissance économique mondiale et seul de tous les membres du Conseil permanent de l’ONU, a été incapable de mettre au point et de produire un vaccin.
Depuis des décennies, les fusions-acquisitions – ou une seule de ces deux opérations – ont essaimé et se sont accélérées ces dernières années, causant d’importants dégâts pour les travailleurs français et étrangers, et plus généralement pour les travailleurs des pays membres de l’UE, étasuniens, etc. Dans le cas d’Alstom, on peut parler d’un véritable « scandale d’État », Jean-Michel Quatrepoint analysant dans son ouvrage « les pillages des actionnaires et les méthodes de l’État américain pour casser la concurrence, grâce à un arsenal législatif qui lui permet de faire le procès d’entreprises étrangères sous prétexte de lutter contre la corruption. Il a ainsi infligé à un groupe déjà exsangue une amende de 772 millions de dollars pour des affaires de pots-de-vin en Arabie saoudite, Égypte et Indonésie. Le coup, fatal, a conduit à cette vente du secteur électrique d’Alstom, ultraperformant, au géant américain. » (Martine Bulard, Le Monde diplomatique, mai 2016). La branche énergie avait ainsi été vendue à GE pour 13 milliards d’euros, transférant ainsi la maintenance des turbines des 58 réacteurs nucléaires français au géant étasunien ; cette opération se déroula au moment où Macron était ministre de l’Économie : il valide la signature de la vente, et le député « Républicain » Olivier Marleix a même soupçonné Jupiter, dans une commission d’enquête, d’être lié à un « pacte de corruption » qui aurait tiré profit de cette vente pour financer la campagne présidentielle. Cette concentration croissante favorise l’explosion des profits de groupes échappant en grande partie à la crise, à l’image de PSA : désormais fusionné au sein de Stellantis avec Fiat et Chrysler, PSA « a affiché une rentabilité de l’automobile de 7,1% en 2020 et un résultat net de 2,2 milliards d’euros », et l’on apprend que « Stellantis démarre avec une position nette de liquidités de 17,8 milliards » (Les Échos, 3 mars 2021). Il faut bien reconnaître que les milliards d’aides déversés par l’État aux grands groupes favorisent grandement cette dynamique au détriment des travailleurs : Renault a beau avoir bénéficié de 5 milliards de prêt garanti par l’État (PGE), la suppression de 4.600 emplois a été annoncée dès la fin du printemps ; quant à PSA, 500 postes d’intérimaires ont été supprimés à la fin de l’année. De fait, les profits du CAC 40 ne faiblissent pas : « le CAC 40 a bondi de près de 16 % au cours du dernier trimestre [2020], l’une de ses meilleures performances de la décennie » (Les Échos, 31 décembre 2020), cette performance profitant essentiellement aux secteurs du luxe (chiffres records pour LVMH et Hermès) et de la haute technologie.
3) La privatisation galopante des infrastructures de la France
Il faut ajouter, comme l’avait déjà signalé la mesure d’urgence n°1, la privatisation des grandes infrastructures du pays, parmi lesquelles se trouvent :
SNCF : le groupe n’embauche plus au statut de cheminot depuis le 1erjanvier 2020 et est désormais une « société anonyme », qui n’hésite pas à tailler dans les effectifs si nécessaire (7.000 emplois supprimés entre 2017 et 2019, essentiellement des postes « de terrain » au profit des postes d’encadrement) et à se débarrasser de lignes jugées « non rentables » : tandis que les lignes nationales non desservies par le TGV sont de plus en plus délaissées, « la SNCF a pris la décision de supprimer des liaisons Dijon-Montbard-Paris pour adapter son offre à la baisse de fréquentation. Un coup porté au dynamisme économique et à l’attractivité du territoire, notamment de la haute Côte-d’Or. » (La Tribune, 10 novembre 2020).
Engie, ex-GDF : Officiellement fusionné avec Suez en 2008 – l’opération a été lancée par le gouvernement Villepin – pour faire face à une « offre publique d’achat » de l’Italien ENEL, GDF a été happé par la privatisation. Nommé désormais Engie depuis 2015, ce dernier a désormais la forme d’une société anonyme et cherche prioritairement la rentabilité : le groupe a ainsi transféré 27 milliards d’euros au Luxembourg par le biais de la holding Engie Invest International chapeautant les quatre filiales d’Engie, selon une enquête publiée en 2016. Parallèlement fuitent les bruits de « cession d’activités » au printemps 2020, afin de « rétablir le paiement du dividende » et de supprimer près de 15.000 emplois dont 9.000 en France…
EDF : le projet Hercule nourrit une forte hostilité – à raison – des syndicats qui « estiment que le projet acte le démantèlement du groupe. Ils craignent également que l’ouverture du capital d’EDF « Vert », qui concentre les activités les plus rentables, conduise à une privatisation des profits et à une nationalisation des pertes. Avec, à plus long terme, une menace pour l’emploi et leurs conditions de travail. Les syndicats craignent aussi une moindre optimisation de la production d’électricité liée à la séparation des activités nucléaires et hydrauliques, qui jusqu’ici travaillaient de concert pour produire au meilleur moment. In fine, ils estiment que cela pourrait se traduire par une hausse des prix de l’électricité pour le consommateur. Enfin, plus globalement, les syndicats craignent que cette réforme affaiblisse EDF et acte la fin « du service public de l’électricité », la mission originelle d’EDF. » (Les Échos, 10 décembre 2020). Dans le même temps, comme le signale l’économiste Nicolas Boroumand, « Les barrages hydroélectriques ont été financés par les contribuables français. Ce n’est pas au moment où ils sont rentables qu’il faut les vendre ou ouvrir à la concurrence pour le secteur privé. Il s’agit d’un patrimoine naturel, et d’infrastructures qui sont stratégiques dans le cadre de la souveraineté énergétique française. » (France Info, 12 février 2021).
Aéroports de Paris (ADP) : alors que le projet de privatisation lancé à l’été 2019 est « en suspens » (donc non abandonné) et pourrait rapidement revenir sur la table, « ADP qui gère les aéroports parisiens, prévoit de diminuer les salaires. En cas de refus des employés, ils pourraient être licenciés. Les syndicats crient au chantage. » (Le Parisien, 26 janvier 2021). Une nouvelle fois se vérifie l’adage de la « privatisation des profits » et de la « socialisation des pertes », même si le secteur souffre de la crise sanitaire.
Ces projets prennent la suite d’autres secteurs privatisés comme les autoroutes à l’été 2006 (gouvernement de Villepin), France Télécom par les gouvernements Jospin (ouverture au capital), Raffarin (privatisation partielle) et Fillon (fin de la minorité de blocage de l’État), ou encore la Poste transformée en société anonyme en 2010, débouchant sur la fermeture croissante des agences postales : « En 2008, on comptait 204 bureaux de poste en Isère. Dix ans plus tard il n’en reste plus que 125. Beaucoup ont tout simplement fermé, d’autres ont plus subtilement été « adaptés en point de contact ». En novlangue managériale cela signifie qu’un recoin de mairie ou de supérette orné du logo jaune et bleu permet de faire quelques opérations basiques comme déposer un colis. Cette ruse est inspirée de la poste allemande privatisée dès 1995, qui est parvenue à fermer la majorité de ses bureaux en ouvrant des points relais dans des commerces. Fermer des bureaux de poste fait partie des objectifs des directeurs de La Poste. Un consultant en « management du changement » chez IBM a même rédigé des « modes opératoires » pour aider les cadres sup’ de La Poste à bien s’y prendre. » (BastaMag, oct. 2018).
Explication : Une application zélée des politiques capitalistes à toutes les échelles
1) Des gouvernements croyant dans les « vertus du marché » et au service du MEDEF
Le triptyque désindustrialisation-concentration-privatisations résulte de la croyance dogmatique et imbécile dans les « vertus du marché, autrement dit de l’application de la logique capitaliste avec zèle par des dirigeants formés dans les grandes écoles (HEC, Sciences Po Paris) où règne sans partage la pensée économique néoclassique basée sur les bienfaits du « libre-échange » et de la « mondialisation » (capitaliste, évidemment), de la prétendue « construction européenne », de la « loi de l’offre et de la demande », etc. Si la droite a massivement contribué cette évolution depuis Giscard, Barre, Chirac et Balladur, des dirigeants de « gauche » ont également accompagné cette funeste évolution, à commencer par le Parti dit « socialiste » qui a introduit la « révolution néolibérale » en France sous Mitterrand (par le biais de Mauroy, Delors, Fabius et Bérégovoy notamment), qui a battu le record de privatisations sous le gouvernement de « gauche plurielle » dirigée par Lionel Jospin entre 1997 et 2002 (210 milliards de francs), ou encore sous Hollande-Ayrault-Valls-Macron (ministre de l’Économie) qui ont mis en place le « Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi », dont le montant de 20 milliards d’euros annuels n’a entraîné la création que de 100.000 emplois, et sans que cela mette un terme aux licenciements bien plus nombreux que le nombre d’emplois créés (de surcroît, sans préciser quel type d’emploi).
Il faut avouer que les euro-dirigeants successifs ont multiplié les déclarations d’amour à l’adresse du MEDEF, à l’image de Manuel Valls ovationné lors de l’université d’été de cette dernière à l’été 2016 alors qu’il était Premier ministre : « Je le dis et je l’assume, devant vous et au-delà de vous, devant nos compatriotes : la France, Mesdames et Messieurs les chefs d’entreprises, Mesdames et Messieurs les entrepreneurs, la France a besoin de vous. La France a besoin de ses entreprises ; et moi, j’aime l’entreprise, j’aime l’entreprise ! […] L’institution qui arrive en tête dans toutes les enquêtes d’opinion, ce sont les PME et les PMI, là où travaille l’immense majorité des salariés. Il n’y a pas d’emplois sans employeurs : c’est pourquoi il est absurde de parler de cadeaux faits aux patrons, ce langage n’a aucun sens. » Ce qui n’empêche pas les actionnaires et grands patrons de recevoir de nombreuses « subventions » et « aides » pour faciliter une création d’emplois globalement misérable, tandis qu’essaiment les suppressions d’emplois comme dans le cas de Bridgestone. Alors Premier ministre, Manuel Valls avait pu apprécier le licenciement de 2900 travailleurs chez Air France où, pourtant, les bénéfices nets s’étaient élevés à 118 millions d’euros en cette année 2015…
Il est vrai que les euro-gouvernements de droite et dits de « gauche » (avec, parfois, la participation de ministres PCF comme en 1981-1984 ou en 1997-2002) obéissent rapidement aux desiderata d’un haut patronat qui a trouvé en Emmanuel Macron le représentant le plus zélé de l’ordre capitaliste euro-atlantique, méprisant « ceux qui ne sont rien » et glorifiant « les premiers de cordée », croyant dur comme fer dans une pseudo « théorie du ruissellement » dont l’application ne fonctionne que pour les plus grandes fortunes du pays, promouvant la « start-up nation », c’est-à-dire « une nation où chacun pourra se dire qu’il pourra créer une start-up. Je veux que la France en soit une. » (Macron, 13 avril 2017) ; et de s’enflammer, une fois élu, le 15 juin 2017, à l’occasion de Viva Tech, à la porte de Versailles à Paris, le grand salon professionnel de la Tech, équivalent du Consumer Electronics Show (CES) qui se tient à Las Vegas, dans le Nevada, la grande messe mondiale des start-ups : « La France est un pays d’entrepreneurs. C’est un pays de start-up. Mais je veux qu’il devienne aussi un pays de licornes, de grands groupes nouveaux, le pays des géants de demain. Je veux que la France soit une nation qui pense et bouge comme une start-up. » Autrement dit, Macron, comme d’autres avant lui, appliquent le « Besoin d’aire » publié par le MEDEF en février 2012, en faveur du non-remplacement de deux fonctionnaires sur trois, de l’aire européiste « parce que les entreprises ont besoin de nouvelles frontières, de nouveaux horizons, d’espace » comme le proclame le manifeste rédigé sous la direction de Laurence Parisot qui, déjà sur France 3 en 2006, proclamait dans un savoureux échange avec Christine Ockrent : « C’est que nous n’aimons pas assez nos entreprises. C’est que tous les publics qui sont concernés n’ont pas assez le goût, la curiosité, l’amour de l’entreprise. »
2) La transposition des directives et des dispositions des traités européistes
Il faut ajouter à cela la transposition des directives adoptées par l’UE et l’application des traités européistes depuis les « traités fondateurs » de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) du 18 avril 1951 et de la Communauté économique européenne (CEE) du 25 mars 1957, dont le « radical-socialiste » Pierre Mendès-France pourfendait déjà la logique désastreuse pour l’économie et le monde du travail :
« Certaines de nos industries, tout au moins, ne pourront pas s’adapter ou s’adapteront mal. Il en résultera du chômage dans divers secteurs de nos régions sous-développées, notamment celles du sud de la Loire qui ont beaucoup à craindre de la rivalité commerciale et industrielle qui va se déclencher à l’intérieur du marché unifié et dont les populations peuvent être poussées à émigrer, à moins de consentir sur place à un niveau de vie très bas pour ne pas s’expatrier. »
Mendès France
Et d’ajouter avec une grande lucidité :
« Ne nous ne le dissimulons pas, nos partenaires veulent conserver l’avantage commercial qu’ils ont sur nous du fait de leur retard en matière sociale. Notre politique doit continuer à consister, coûte que coûte, à ne pas construire l’Europe dans la régression au détriment de la classe ouvrière et, par contrecoup, au détriment des autres classes sociales qui vivent du pouvoir d’achat ouvrier. »
Naturellement, il n’en a rien été puisque la promotion de la « totale liberté de circulation » (surtout des marchandises et des capitaux, sans compter les travailleurs exploités) a favorisé une régression sociale pour tous les travailleurs des classes populaires – surtout les ouvriers – tout en introduisant une concurrence entre travailleurs délétère et mortifère : c’est ainsi que Whirlpool (alors à Amiens) en 2017 et Bridgestone en 2020 peuvent délocaliser leurs activités en Pologne ; parallèlement, le paiement des « charges sociales » (comprenez : cotisations) par les pays d’origine pour les « travailleurs détachés » (ou plutôt, exploités) depuis 1996 a grandement contribué à la destruction des infrastructures du pays et du « produire en France ». Or les directives et décisions européistes se sont multipliées : « paquets ferroviaires » (au nombre de quatre) de 2001 à 2016 – le dernier paquet ayant été transposé au printemps 2018 en France – débouchant sur la mise en concurrence et la privatisation de fait des lignes nationales et régionales, dont la rentabilité devient un critère central pour les entreprises prenant en charge les lignes ferroviaires ; pressions de la Commission européenne pour que la France privatise EDF et les barrages hydroélectriques – avec l’assentiment des euro-gouvernements serviles ; « ouverture à la concurrence » de la Poste et des télécommunications sous la pression du Conseil européen de 1994 adoptant une résolution pour la « libéralisation du marché postal », avant que la directive 97/67/CE, qui prévoyait la libéralisation et la privatisation des services postaux, soit adoptée en décembre 1997 et validée par la « gauche plurielle » (dite « gauche plus rien »), etc. Et comme le stipule l’article 106 du Traité sur le fonctionnement de l’UE : « Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités » ; par conséquent, « les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie » (cette « limite » n’étant, naturellement, pas respectée).
3) Une économie broyée par la « mondialisation heureuse »
Enfin, comment ne pas souligner la responsabilité majeure de la « mondialisation heureuse » pour les grands capitalistes, profitant à plein du « grand retournement » néolibéral initié par Pinochet au Chili, Thatcher et Carter-Reagan. Suivant la logique minarchiste d’Ayn Rand estimant que l’État est un problème (quand il ponctionne et « entrave » les capitalistes), l’ordre économique mondial se caractérise par une « totale liberté de circulation » défendue par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la raison d’être est d’éliminer par touches successives tous les services et toutes les industries nationalisés et publics. Cette évolution s’appuie sur les grands « accords de libre-échange » (ALE) comme ceux signés par l’UE avec le Japon (JEFTA), le Canada (CETA) ou les États-Unis (TAFTA), offrant la possibilité aux grandes multinationales de recourir à une juridiction privée (pour ne pas dire privatisée) afin d’exiger des États de réviser les « réglementations » sociales, environnementales et fiscales. De tels accord provoquent, pour les travailleurs agricoles, industriels et même de plus en plus de cadres diplômés, des dommages considérables en matière de niveau de vie, de santé, etc. Cet ordre mondial est élaboré, en outre, par un ordre juridique privé international régi par les normes anglo-saxonnes et bénéficiant de l’hégémonie de l’anglais (la « langue des affaires » dixit le baron Seillière, ancien président du MEDEF, en 2004). Elle facilite la constitution de vastes mastodontes à l’échelle mondiale, selon la logique déjà décrite en son temps par Lénine du capitalisme monopoliste d’État – les États soutenant mordicus les « champions nationaux ». Symboles de cette concentration capitalistique appuyée par les États bourgeois : les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et des NATU (Netflix, AirBnb, Tesla, Uber), qui imposent une hégémonie inégalable sur de grands secteurs stratégiques comme les communications, l’informatique ou la grande distribution et la restauration, au détriment de milliers de PME (commerce, artisanat, production agricole) et de PMI laminées par la concentration. Ainsi en va-t-il d’Amazon qui, profitant de la mise sous cloche des petits commerces – et en particulier les librairies –, étend son influence et multiplie les dépôts en France, avec le plein assentiment de la Macronie qui, contrairement à ses promesses de « moratoire » du développement d’Amazon, a lancé à l’automne 2020 une mission pour « garantir un développement durable du commerce en ligne et des entrepôts logistiques ». Entre 2015 et 2020, les GAFAM ont accumulé 929 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit l’équivalent du produit intérieur brut des Pays-Bas et un chiffre multiplié par deux. Au-delà, les délocalisations industrielles et stratégiques détruisant les emplois en France s’opèrent aussi à l’échelle mondiale : « le centre d’appel d’Euro CRM à Chauny (Aisne), qui a notamment eu pour clients Engie, Canal+ ou Orange, a fermé brutalement début juin [2020] » (Le Figaro, 8 juin 2020), après qu’un centre a été ouvert à Madagascar, où les travailleurs locaux seront exploités à plein.
Solutions : Reconquérir la propriété des grands moyens de production et reconstruire les grandes infrastructures publiques
Au triptyque désindustrialisation-concentration-privatisations doit être opposé celui qui repose sur les nationalisations, la planification et la reconstruction du « produire en France », ce qui nécessite en particulier l’appropriation des grands moyens de production. Des mesures plus précises seront abordées par secteur dans les mesures d’urgence suivantes.
1) Des nationalisations urgentes et sans indemnités
Nationalisation de tous les grands secteurs indispensables à l’économie productive : énergies, transports, communications, informatique, grande distribution, aéronautique, automobile, laboratoires pharmaceutiques, assurances, commerce extérieur, bâtiment, poste.
Inscription dans la constitution future de l’interdiction de privatisation des grands moyens de production.
Désobéissance absolue à tous les traités et directives liées à l’UE.
Aucune indemnisation pour les grands actionnaires et le grand patronat qui licencient alors qu’elles font des bénéfices.
Prise de contrôle progressive des travailleurs au sein des groupes nationalisés.
Création d’une « taxe GAFAM » afin de contribuer au financement d’un grand pôle national public en charge des industries de haute technologie.
Arrêt des aides financières publiques à des entreprises privées sans droit de regard et d’intervention de l’État dans leur gestion.
Dénonciation des concessions d’exploitation accordées à des sociétés étrangères, et création d’entreprises sous propriété nationale, démocratiquement constituées et contrôlées par leur propriétaire, la Nation, pour exploiter toutes les ressources de notre sous-sol qui nous sont nécessaires.
2) La planification au service du « produire en France »
Création d’un grand commissariat national en charge de la planification productive, comprenant l’État, les représentants des salariés et des territoires en vue de reconstituer la force productive nationale, de relancer la production dans le respect de l’équilibre républicain entre les territoires. Ce commissariat travaillera en étroite collaboration avec les ministères de l’Équipement et de la Recherche, dont les moyens seront abondés.
Mise en place d’un puissant pôle national consacré à la recherche et au développement dans les secteurs économiques stratégiques.
Création de comités de travailleurs chargés de contrôler et d’évaluer les priorités liées à la planification selon chacun des secteurs productifs.
Plan d’urgence pour développer la production et la recherche autour de toutes les formes d’énergie renouvelable afin de favoriser la diversification des ressources.
La sécurité des centrales nucléaires sera renforcée. Une étude impartiale, aussi scientifique que possible, sera menée de manière transparente, à l’écart des groupes de pression profitant du nucléaire comme des mouvements d’opinion qui, en réalité, souhaitent la “décroissance” de l’économie française et qui accompagnent “de gauche” la casse de l’indépendance énergétique française.
3) La reconstitution prioritaire des infrastructures stratégiques et de l’emploi
Dénonciation de tous les accords conclus entre l’Europe et l’OMC visant à libéraliser et déréglementer l’économie, notamment l’Accord Général sur le Commerce des Services.
Interdiction des délocalisations, de tout projet d’investissement à l’étranger ayant pour effet de démanteler le potentiel national en portant atteinte à l’emploi et au développement industriel ou agricole.
Mesures de protection de l’économie nationale, principalement contre les produits de la surexploitation capitaliste de la main-d’œuvre des pays pauvres, et contre la domination du « made by Germany » favorisé par la « zone euro ».
Dans le domaine très menacé de l’automobile et de la métallurgie, des filières franco-françaises seront constituées sous pilotage d’un secteur public revitalisé et démocratisé ; obligation sera faite aux constructeurs de développer les usines-mères en France et de travailler avec les équipementiers basés sur le territoire national.
Redémarrage des productions sabotées par le capital et ses intérêts financiers, dans l’industrie et dans l’agriculture.
Relance géographiquement équilibrée, notamment de l’industrie lourde (chimie, métallurgie), de l’industrie textile par la participation de l’État.
Versement des allocations chômage tant que le travailleur privé d’emploi n’aura pas retrouvé une embauche équivalente à son précédent travail.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir